Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Ah, ce Be !

par Paris : Akram Belkaid

Je n'avais pas beaucoup d'argent en poche. Un euro, pour tout dire. Même pas de quoi se payer un bon dîner kebab avec petits poivrons verts et moutarde, le tout arrosé d'un bon ayran frais (on se calme, ce n'est que du lait fermenté ; du lben turc, si vous préférez). Je me suis donc rabattu sur d'autres nourritures, intellectuelles celles-ci.      J'ai relevé le col de mon blouson, baissé la visière de ma casquette et me suis éloigné d'au moins trois kilomètres de mon quartier avant de repérer un kiosque à journaux isolé. C'est là, honte sur moi, que j'ai échangé ma pièce contre Be, prononcez «bi», l'hebdomadaire «for the now generation» lancé récemment par le groupe Lagardère. Un magazine qui fait un buzz, pardon un e-ramdam, du tonnerre puisqu'il s'adresse aux girls qui rêvent de devenir des «serial shoppeuses »

 J'ai trouvé un square tranquille avec un banc à l'écart. Lecture. D'abord, la couverture avec ce titre : « Gerard Butler, le sex-symbol couche-t-il pour réussir ? » Justement, je me suis toujours posé cette question. J'ai même proposé une enquête sur ce thème au Quotidien d'Oran mais aussi au Monde Diplomatique et à la revue Esprit. Jamais eu la moindre réponse. Et voilà que je me fais doubler par ce magazine. Rageant mais passons. Page 15, une chronique signée par une certaine Fiona répond aux critiques-injustes disons le tout de suite-accusant «Be» d'œuvrer à la décérébration féminine et à l'abêtissement du lectorat. Titre du papier «de la chance d'être une pouffe» avec ce débat promis pour le numéro suivant : «la pouffe est-elle forcément blonde». Yô-how ! Un rendez-vous à ne pas rater?

 On tourne la page et là, soulagé, on tombe sur un papier d'enquête à propos de femmes qui se battent pour le droit d'asile. Mais à peine a-t-on commencé à lire que l'œil, ce coquin toujours en vadrouille, accroche la colonne de droite : «L'amour à l'anglaise : un drink et au lit » avec cette légende pour entame: «Une britannique sur vingt n'aurait jamais fait l'amour sans avoir bu.  Trop timides, trop complexées, les girls ? ». Sauve qui peut. Ah, page 18, enfin un vrai sujet : «Lady bag vs School bag ». Vous n'y comprenez goutte ? Quelle bande de nuls ! Explication: «Vous êtes plutôt néo-BCBG ou sage écolière ? Be décrypte ces deux tendances de maroquinerie pour vous aider à choisir votre futur meilleur ami : le it bag 2010». Le «it bag 2010» ? Il paraît que cela veut dire le sac du moment, celui qui n'est pas censé se démoder et que l'on gardera toute sa vie jusqu'à la prochaine mode.

 Retour à des rubriques plus légères. En page 24, un débat d'actu : « Loi contre le voile intégral : les femmes seront-elles plus libres ? » Kenza Drider, 31 ans, qui porte le niqab depuis onze ans répond « non » et se dit choquée, en tant que française, par le projet de loi. « Je continuerai à porter mon niqab dans les services publics et dans la rue, affirme-t-elle. Que les policiers viennent me passer les menottes, j'irai porter plainte devant la Cour européenne des droits de l'homme. » Celle qui répond « non » s'appelle Yamina tout court. Agée de 42 ans, elle a « porté le niqab pendant quinze ans » et a « récemment obtenu de son époux de pouvoir se découvrir le visage ». Elle explique que son mari est très jaloux et qu'il ne souhaite pas « que d'autres hommes posent les yeux » sur elle. Et de préciser : « Si cette loi passe, j'ai peur qu'il refuse de me laisser sortir sans mon niqab. Et si je sors malgré tout, j'ai peur qu'à mon retour, il se venge. »

 Voilà pour la détente. Retour à des thèmes plus durs. Page 41, Be nous vante la « it bague de ma saison. » quelques feuillets et pubs plus loin, le lecteur satisfait a rendez-vous avec l'actrice Anne Hathaway. « Si un réalisateur me demande de perdre des kilos, je n'ai rien à lui dire » nous dit celle qui « aime les bad boys » et qui, en réalité, serait « une vraie rebelle » ayant choisi la comédie « pour se mettre en danger. » Un vrai caractère, aussi fort que celui des « biotiful people » (dont Léonardo Di Carpio) qui ne « sont pas là pour rigoler » puisque « pour ces purs et durs, on ne plaisante pas avec l'avenir de la planète, quitte à nous plomber le moral? »

 A la page 65, j'ai découvert un reportage qui devrait, m'apprend la rumeur (pas celle qui répand des méchancetés sur Nicolas et Carla), décrocher le prix Albert Londres voire le Pulitzer. Ce ne serait que justice ! Incipit : « Ils ont la trentaine, une vie bien rangée et la tête de M. Tout-le-Monde. Pourtant, ils ont choisi de partager leur existence avec des beautés en silicone au physique parfait. » En bref, « des hommes ?mariés' à des poupées » en plastique. Extraordinaire enquête dont a du mal à se remettre. Mais, page 75, une petite déception a tout gâché. Découverte d'un couple mixte, au sens politique. D'un côté, Erwan, apolitique et de l'autre, Camille déléguée nationales des jeunes de l'UMP (Reviens, Jean Ferrat !). Je m'attendais à une photo montrant l'Erwan battant la Camille (ou l'inverse). Et bien pas du tout : gestes tendres, tous mignons. De l'ouverture façon Nicolas et Eric?

 Dépité, je me suis refais une humeur en accompagnant Be qui « part à la chasse aux looks » et en admirant les hardes rétro d'une certaine Hanneli, 27 ans. Label : « Jean vintage style 70's, manteau en agneau de Mongolie Margiela, sac cartable en cuir Mulberry ? it bag de la saison ? (encore !, ndc*) petite chemise blanche? Des valeurs sûres, un rien « tradi », savamment coolisées (ne me demandez pas ce que cela veut dire, ndc) par l'écharpe portée en chèche pour la touche baroudeuse des beaux quartiers. » Voilà, lecture terminée. Je me sentais regaillardi, enrichi, me disant qu'il y a des journalistes qui font sérieusement leur boulot et qui méritent leur carte de presse (comme j'aimerais assister à leur réunion de rédaction !). Vivement le prochain numéro. Au fait, si vous souhaitez être la « poster girl » de Be, il vous faut envoyer une photo à fashionsafari@be.com. Avec un peu de chance, ce sera sûrement le it look 2010. Sinon, sachez aussi que Be cherche des pigistes en Algérie pour alimenter les rubriques suivantes : « le it qamis », « le it djelbab », le « it saharienne fashion FLN », le « it look beggar » sans oublier « le it-claquettes ». C'était la it-chronique de la semaine.

(*) note du chroniqueur.