Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Pourquoi ça ne marche pas ?

par Ahmed Saifi Benziane

« On peut obliger le peuple à obéir. On ne peut pas le forcer à comprendre ». Proverbe chinois

Les Chinois ont construit la Muraille de Chine, d'une longueur officiellement estimée à 8 851,8 km en murs, tranchées et barrières naturelles d'une hauteur variant entre 6 et 7 m de haut.         Méritant le label de patrimoine mondial de l'UNESCO, cette œuvre est le fruit d'un travail de longue haleine de peuples infatigables, qui donnent l'impression de naître une pioche entre les deux mains, souriant au soleil et l'honorant en bridant le regard sur l'avenir. Des peuples qui ont misé sur la démographie et les bras comme ressources principales. C'est que les Chinois construisent des murs depuis le 18ième siècle?avant J-C. Bien avant Jésus Christ. Il n'est donc pas étonnant que leur maîtrise des grands ouvrages fassent d'eux des bâtisseurs qui nous donnent le vertige, nous, qui passons maître dans l'art de vouloir réaliser ce que nous ne savons pas faire, des routes, des logements, de grandes mosquées, des barrages, des chemins de fer. Notre Etat a juste la volonté politique de réaliser de grands ouvrages et pour que sa volonté soit faite, il finit par lancer des appels aux grandes nations de bâtisseurs. Il en a été ainsi du gigantisme de Boumediene qui a associé soviétiques, japonais, américains, français, allemands, espagnols italiens et bien d'autres encore, pour faire émerger un pays à partir d'une guerre et le propulser dans son siècle à coup de plans de développement ; pendant que le discours socialiste servait d'écran à la naissance d'une catégorie enrichie grâce à ses accointances avec le pouvoir, dominé par les services de sécurité et l'armée, ou pour l'en éloigner. Naissance disait-on, d'un « secteur privé national » nécessaire au développement dont l'apport en aval des « industries industrialisantes », devait compléter ce que l'on appelait à l'époque le noircissement de la matrice interindustrielle. On parlait aussi de transfert de technologie du développement des capacités d'acquisition des sciences, d'une université algérianisée, arabisée, de barrage vert, de barrage tout court. De la naissance d'une société nouvelle. Et nous avons réussi. Elle est là sous notre nez à nous interroger sur les bilans. Nous continuons à importer des machines outils, des produits finis et semi-finis, des idées, des chinois, des russes, des allemands, des français, des italiens et d'autres espagnols, des fromages, du blé, des routes, des hijabs, des kamis, des ballerines, des prières, des joueurs de football, de l'encens et de quoi tenir le coup jusqu'à épuisement des hydrocarbures et de la terre qui les contient. L'Etat créateur de richesses par vocation et raison d'être, devient chez nous l'Etat de la consommation et de la dépense publique, celui du marché et du bon de commande. Alors que savons-nous faire qui nous dispense de creuser l'écart des balances commerciales et de paiement, ce qui dans les faits, s'est traduit par la gangrène de la corruption, enfant terrible de la mauvaise gouvernance ou pour plus de précision du pouvoir personnel? Tout, nous savons tout faire même si nos ancêtres n'ont pas eu le privilège ou le temps de nous léguer des murailles longues de 8 851,8 km, afférés qu'ils étaient à repousser les invasions du Nord ou à négocier des trêves. Le temps des accumulations des connaissances pour faire une nation, est maintenant dépassé avec Internet et l'ouragan de la mondialisation, qui ne laissent aux sots que le choix entre la mort et les pleurs. Sinon, il y a l'intelligence dont nous parlent aujourd'hui des utopistes qui préfèrent tout de même vivre sous des cieux moins grisés, de l'autre côté du thon rouge, pour nous transmettre tels des échos des recettes sans modes d'emploi, ni contre-indications. Des paroles que nous retrouvons dans les jeux de société. Mais une société n'est pas un jeu quelconque pour lutter contre l'oisiveté, c'est un jeu de construction qui peut prendre des années voire des siècles à condition de commencer un jour et tous les moyens sont disponibles. Tous sauf l'essentiel. Nous avons des ordinateurs par milliers à ne savoir quoi en faire, des informaticiens par milliers qui profitent aux autres, des chercheurs par milliers qui trouvent peu de choses, des politiciens par couffins entiers qui font tout sauf de la politique, des partis politiques comme en France sans autre idéologie qu'un programme présidentiel de dix lignes, de l'argent par milliards de dollars qui s'évaporent dès qu'on a le dos tourné, des kilomètres carrés par centaines d'hectares qui ne servent qu'à nous concentrer autour des grandes villes, des titres de journaux plus qu'ailleurs qui sont soit pour, soit contre l'Etat, des chinois qui ont trouvé une autre terre promise, des américains comme partout qui nous attendent au tournant, des terroristes, comme tout le monde aujourd'hui, qui n'arrêtent pas d'être résiduels, une armée qui achète des armes au lieu de les produire, des services de sécurité qui se soucient peu des frontières et qui traquent la corruption, des bananes de plus en plus nombreuses depuis qu'on a commencé à les produire chez nous. Tout on a tout et de tout. Des grands des petits, des blonds, des roux, des noirs, des bruns, des gros, des maigres, des kabyles, des touaregs, des arabes faux et vrais, des ibadites, des malékites, des buveurs de bière, des mendiants, des voitures hors de prix. Il nous faut juste un Etat même biométrique et surtout un peuple qui accepte ses singularités et son Histoire complètement et qui veut vivre sur la même terre que son Etat. Et c'est précisément là que commence le problème.

 C'est là que les choses vont mal, et que les uns et les autres se donnent le dos comme pour se préparer à un duel des temps anciens.

 L'Etat ne veut pas de ce peuple autrement il aurait réglé tous ses problèmes et l'aurait conservé comme l'émanation de son pouvoir, même si cela n'est pas le cas. Le peuple ne veut pas de son Etat car jugé trop corrompu et voleur de dote, bourreur d'urnes, méprisant et source de son malheur. Le peuple pense que la seule alternative est celle qui consiste à quitter le pays le plus tôt possible. L'Etat pense bien faire chaque jour mais ne prend pas le soin de vérifier par peur de pousser plus loin la révolte. Nous en sommes à la deuxième génération depuis la fin de la guerre et plus en plus nombreux à être mécontents.  Non seulement nous n'obéissons plus mais nous continuons à ne pas comprendre pourquoi nos reculons en marchant au lieu d'avancer. Comme les Chinois ?