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Elections françaises: échec cuisant pour le cavalier Sarkozy

par Pierre Morville

Une abstention massive, un total de voix de gauche à 49,99 % contre un total des voix de droite à 27,28% ; Une extrême-droite qui caracole à 12,84% ; plus de parti centriste. Nicolas Sarkozy dénie l'échec, il est pourtant bien là Nicolas Sarkozy croit à la force du verbe.

Il enregistre l'un des scrutins le plus calamiteux pour une majorité dans l'histoire de la V° République ? Qu'importe : « J'avais raison et j'aurais raison demain ! On n'a pas perdu ! On va gagner ! Ceux qui traînent des pieds ou qui me critiquent sont des tartes molles ! ».

 Le volontarisme vibrionnaire du président semble cependant avoir atteint ses limites, y compris auprès des élus de l'UMP, le parti sarkozyste.

 L'ancien bras droit de Jacques Chirac, Alain Juppé, a dès le dimanche soir, de sa bonne ville de Bordeaux, tirer les conclusions qui s'imposaient. L'agitation sarkozyste a épuisé ses effets, la réformite permanente désoriente les Français et surtout l'électorat de droite.

 Dans cette élection à deux tours, l'échéance de la semaine prochaine ne fait guère de doute. La gauche va remporter sinon un grand chelem, les présidences des 22 régions françaises, tout au moins une victoire électoralement écrasante sur la majorité actuelle.

 Il parait difficile que l'UMP conserve une seule région tant les analyses sur l'abstention constatée (plus d'un électeur sur deux ne s'est pas déplacé) convergent sur le fait que les mêmes ne se déplaceront pas plus dimanche prochain : il s'agit principalement soit d'un électorat populaire, durement touché par la crise et qui ne croit plus dans les solutions des politiques, soit d'électeurs de droite qui veulent sanctionner le pouvoir en place.

La « stratégie du choc central »

 Nicolas Sarkozy, et cela collerait bien au personnage, semble avoir une fascination pour la charge de cavalerie. Sous Napoléon, c'était l'argument massue qui déterminait pour l'essentiel le sort des batailles. Même en cas d'infériorité numérique patente, sur des terrains d'affrontement éloignés, l'empereur français a souvent joué sur la « furia » française, à savoir la capacité des cavaliers, dragons et cuirassiers, toutes troupes à cheval à enfoncer rapidement sur un point central les lignes ennemies et à disperser les grandes masses inertes de l'infanterie.

 Constatant la guerre de tranchée que se menaient, depuis une décennie le PS et le RPR, via des alternances ou des cohabitations, le jeune Sarkozy lorsqu'il a pris le contrôle du principal parti de droite, avait les idées claires pour pouvoir garantir sa victoire présidentielle :

- à chaque élection, concentrer le tir et effecter une charge contre l'ennemi électoral, violente, rapide et annoncer tout de suite sa victoire même si les résultats sont plus confus.

- concentrer les forces au maximum, en une seule offensive : c'est l'explication de l'unification forcée des différents partis de droite et du centre dans la seule formation présidentielle nouvellement crée, l'UMP, « L'union pour un mouvement populaire », qui a regroupé, souvent de force, anciens gaullistes, libéraux, centristes et toute une galaxie de petites formations de droite, du centre ou de droite extrême...

- Et comme dans les régiments de cavalerie, le chef doit être en 1re ligne et il doit également répéter à l'infini pour galvaniser ses troupes, qu'il est, en cas de victoire réelle ou supposée, définitivement «le meilleur des meilleurs ».

 Cette stratégie a permis à Nicolas Sarkozy, d'emporter haut la main, les élections présidentielles et législatives et faire plus que bonne figure aux élections européennes de 2009.

Mais les charges de la cavalerie française qui ont fait merveille à Arcole, Austerlitz, Iéna, Marengo... n'ont pas empêché les cruelles défaites de l'armée napoléonienne contre des maquis de paysans espagnols ou face à l'hiver russe.

 Car il est vrai qu'en matière militaire comme dans le domaine politique, la charge pour la charge n'a pas toujours de sens, surtout quand l'environnement est mouvant et instable.

 Nicolas Sarkozy avait gagné son accession au pouvoir avec une stratégie qui exaltait, verbalement, les vertus du «travail », mais qui confortait surtout les privilèges de la France « qui possède » : avantages donnés aux entreprises, « bouclier fiscal » pour les Français les plus fortunés. Dès la 1re année, les électeurs sarkozistes ont ressenti un léger sentiment de flottement, voire de désenchantement. La formidable activité déployée par le nouveau président de la République a, néanmoins, permis de colmater les brèches, mêlant dans ses innombrables discours, sans précautions inutiles, l'apologie du libéralisme économique tout en veillant à défendre l'état régulateur, valorisant le colbertisme gaulois tout en se félicitant de la dérégulation économique européenne.

 L'état de grâce permet, en effet, sans sanctions immédiates, beaucoup d'imprécisions.

L'omniprésence médiatique agace

 Octobre 2008 : Pataras ! L'hyper-libéralisme financier s'effondre avec la quasi faillite de toutes les grandes banques internationales. Là encore, Nicolas Sarkozy a su faire la preuve d'une énergie aussi impressionnante que le flou de ses convictions.

 Car pour Nicolas, le Verbe est premier et qu'importe que les discours du lundi soient contradictoires avec ceux de mardi et différents de ceux du mercredi : l'important est de parler tous les jours à la télé quitte à souvent changer d'avis.

Les troupes de cavalerie napoléoniennes, elles aussi chargeaient souvent, quitte à se mordre les doigts des décisions précipitées.

 Les Français, déstabilisés par la crise économique, ont progressivement pris leurs distances face à cette agitation permanente. Ils manifestent peu d'intérêt à « l'identité nationale » ou à l'obsession sécuritaire quand leurs principales préoccupations sont leurs fins de mois. Quand à ceux qui sont obnubilés par ces questions, ils ont voté à 11,42% pour le Front National du vieux Le Pen !

 Tous se moquent bien de la succession interrompue des sommets internationaux (où Nicolas adorent briller !), G7, G20, Copenhague, quand ils ne sont plus sûrs de conserver leur emploi. Ils sont agacés par les innombrables discours du président surtout lorsque celui-ci fait mine de découvrir et de s'indigner des problèmes quotidiens des Français qu'il était censé résoudre.

 Autre difficulté, plus politicienne, rencontrée par Nicolas Sarkozy lors de cette échéance électorale : pour mener à bien sa tactique du « choc central », Nicolas Sarkozy a imposé mi-par menaces, mi-par promesses la réunification de tous les partis de droite dans la seule UMP. Formidable en période offensive ! Déplorable en période de doutes et de contestation du pouvoir élyséen. Des électeurs de droite auraient souhaité donner simplement un avertissement au pouvoir sans déstabiliser la majorité. Bref, ne pas voter UMP mais faire connaître leurs sensibilités diverses, de centristes, gaullistes sociaux, droite de la droite, jusqu'aux listes qui ne peuvent exister qu'en France, comme la mouvance « Chasse, pêche, nature et traditions »...

 Mais comme toutes ces formations ont été assimilées de force à l'UMP : l'électeur de droite aigri s'est réfugié dans un absentéisme boudeur.

Alors ? Une petite dissolution ?

 Le résultat de dimanche prochain a peu de chances de voir les tendances se renverser. Nicolas Sarkozy devra lundi matin affronter sa première grande défaite.

 Il avait jusque là réussi, encore une fois par les menaces et les promesses, à faire taire les critiques de sa propre majorité même quand les initiatives qu'il avait prises étaient au mieux maladroites, les promesses sans lendemain, ou les volte-face qu'il avait imposées à son gouvernement, soulignaient surtout une gouvernance mal contrôlée. La grande « réforme du capitalisme financier » restera ainsi un des musts au Panthéon des « promesses verbales ».

 Face à un Premier ministre plus populaire que lui, l'hypocondriaque Nicolas ne pourra que s'agacer. Changer de N°2 ? Pour le remplacer par qui ? Ouvrir la majorité à d'autres personnalités de gauche ? Il n'y a plus beaucoup de candidats depuis dimanche dernier et « l'ouverture » agace beaucoup l'électeur de droite. Faire une « pause dans les réformes », ce qui signifie dans le langage sarkozien, ne pas faire un nouveau projet de loi, chaque jour ? C'est comme demander à un gros fumeur d'allumer sa 1re cigarette qu'une fois la nuit tombée_

 Les courbes de popularité actuelles du Président Sarkozy, n'incitent pas, aujourd'hui, à envisager une seconde mandature. Les éléments de conjoncture économiques ne pousseront pas des Français, de plus en plus inquiets, à croire que Nicolas Sarkozy, qui les a enrubannés de promesses non tenues, puisse jouer demain les rôles de « sauveur providentiel ».

 Nicolas Sarkozy pourrait donc tranquillement achever son mandat. Mais le fol tempérament de l'homme ne pousse pas à croire à cette issue quasi bucolique.

 Après tout, Nicolas, l'homme de tous les coups, pourrait reproduire ce qu'il a tant reproché à son prédécesseur. Jacques Chirac avait en effet dissous un parlement où il était majoritaire, perdu les élections.

 Il était devenu un président d'opérette pendant la cohabitation avec Lionel Jospin. Mais il avait remporté la présidentielle suivante...

Et la gauche : en forme ?

 Bon ! Il est sûr que le Parti socialiste, les Ecologistes et le Front de gauche (alliance du PC et d'anciens socialistes critiques) ne boudent pas leur plaisir.

 Le Parti socialiste est redevenu, et de loin, la 1re formation politique française, avec 30% des voix.  Les Ecologistes de Daniel Cohn Bendit, amplifient leur percée des Européennes avec 12,46% des voix. La « gauche de la Gauche » représente près de 10% de l'électorat avec un Parti de Gauche, dirigé par Jean-Luc Mélenchon qui ne refusera pas un accord électoral général.

 Après des années de crise et d'échecs répétés, les partis de gauche retrouvent le moral. Soyons clairs ; leur succès est bien plus le fait des erreurs répétées de Nicolas Sarkozy, qu'il procéderait de leur propre vertu. Mais à cheval donné, on ne regarde pas les dents !

 Reste dans la perspective d'une élection présidentielle ouverte sans domination du président sortant, les questions sempiternelles des programmes, des alliances et du choix des candidats finaux. A l'heure actuelle, les programmes des principales formations de gauche restent d'un flou vaporeux et les alliances dépendront surtout des individus, c'est-à-dire des candidats et plus particulièrement du candidat qui pourrait raisonnablement emporter la victoire.

 Ce dernier ne pourra émaner que du Parti socialiste.

 Après un fourmillement d'ambitions diverses, les « papabiles » (gentil nom qu'on donne aux candidats à la papauté) se retrouvent au nombre de quatre :

- Martine Aubry, l'actuelle 1re secrétaire, bénéficie évidemment pleinement des résultats de cette « élection-miracle ». Fille de Jacques Delors, maire de Lille, elle sut démontrer sa capacité à unifier un parti encore hier empli de bruits et de fureur. Pourrait-elle être la 1re présidente de la République française ? On n'en sait pas beaucoup sur sa vision générale du monde et des affaires.

- Ségolène Royale, ex-candidate en 2002, peut se prévaloir de son excellent succès aux Régionales : 40% dans une région traditionnellement classée historiquement et sociologiquement plutôt à droite. Mais elle a agacé au sein de son parti et largement à l'extérieur par un ego surdimensionné, quasi à l'égal de son ancien concurrent Nicolas Sarkozy.

- Dominique Strauss-Kahn qui préside aujourd'hui le FMI joue les « fées du logis », toujours absent/toujours présent. Il n'est pas à Paris mais à Washington. Il ne veut pas pour autant se faire oublier et garde toutes ses ambitions pour la charge suprême. Il semble d'ailleurs qu'un pacte ait été signé entre lui, Martine Aubry et Laurent Fabius, pour un partage intelligent des dépouilles, le cas échéant.

- François Hollande, ex-1er secrétaire, ne doit pas être oublié. Il est loin dans les sondages. Mais il possède trois qualités essentielles, il connaît l'appareil, il travaille énormément et il a énormément d'idées.