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Que je t'aime, que je t'aime !

par El Yazid Dib

La maladie d'un président n'est pas un fait divers. C'est un événement politique. Si la longévité est un don providentiel ; la pérennité politique n'est qu'une circonstance. Moubarak risque son trône. Kadhafi défie le temps. Benali amadoue la démocratie. Bouteflika subit l'histoire.  

Tous ont eu dans des ressemblances similaires les folles amours de leur peuple. Tous ont eu droit aux enthousiastes acclamations. Le culte de la personnalité n'est plus donc un déboire de peuple. Il s'incruste chaque jour davantage dans le discours et la parole. Des salons, aux coulisses, dans la rue et les meetings le «que je t'aime» inonde les tympans. L'homme est toujours homme mortel et non éternel pervers ou sensé soit-il, führer maghrébin, duché ou César méditerranéen, zaïm ou raïss égyptien.

 A travers le temps les amours se transforment et subissent insidieusement les aléas du modernisme. De nouvelles formes d'adoration et de vénération de personnes politiquement personnalisées s'érigent dans les conciliabules, sur les grilles des écrans ou entre les colonnes, et les chroniques des édits . Le culte de la personnalité n'est plus pratiqué comme antan. Sans rituel apparent, il n'est qu'un conglomérat d'actes opaques et passionnels presque inaudibles.

 Le sens original et inoffensif du respect de tous ; ne cesse de chuchoter aux oreillettes du coeur: trêve de politique ! Arrête tes plongées dans des eaux dont les fonds marins échappent à la petite muse de petit poète de mon ami jamais entendu ! Là bas, le son n'a pas de voix, les yeux, sans regards.       La bas, la vertu est une tare, le vice un étendard. Sa politique à lui est le sujet, le verbe et le complément. Son rôle est de échafauder des textes et non des projets de société. Les présidents, les ministres, les partis etc... ne sont pas des termes de lyrisme, ni ne sont astreints aux règles le régissant. Son inspiration grégaire à la fécondité sarcastique à l'égard de tout qui lui semble, tordu et inique, ne va qu'en accroissant. Advienne que pourra ! Ad vitam aeternam ! me disait-il.  

Le désir d'être le plus en vue dans une société ou à la tête de l'attelage d'un mouvement a tout de temps animé jusqu'à la mort, l'homme. L'histoire nous renseigne et nous enseigne que l'idée première de l'homme fut cette tendance d'hégémonie et de domination de ses pairs tant par la force et la ruse que rarement par la guidance et l'éclairage. C'est la lumière qui chasse les ténèbres comme le savoir chasse l'ignorance. Mais sitôt l'intrigue et la magouille se sont faites des issues à partir des latrines, vérandas et des coulisses pré-romaines.

 Dès que le dit-désir s'est aiguisé de plus en plus, qu'il commence déjà à s'installer dans le corps et l'âme de ceux qui pensent tantôt à tord que les portes de la gloire leur sont grandement ouvertes tantôt à raison pour ceux qui la prospérité et l'histoire garderont toujours vives leurs œuvres sempiternellement accomplies.

 L'histoire se dresse par-devant l'homme telle une fresque vierge et géante dans ses dimensions. A charge pour lui, selon ses compétences, sa sagacité, et son don, d'en apporter les nuances et d'en faire ou bien une image idyllique ou une image satanique. Les signes, les taches et tout autre graffiti, par l'ardeur ou la mollesse de «l'artiste» restent indélébiles et prennent l'apanage de signatures testimoniales de leurs auteurs. Le temps trace sur les fronts, des rides que même le temps n'arrive point à les résorber.

Ainsi la plupart des régimes qui ont «dirigé» les peuples à travers les ages, n'ont évolué que par une sorte de fatalité les menant aux dépens de leurs sujets ; vers la tyrannie de clan dont les étapes successives auront pour nom, l'ordre public, la souveraineté nationale, l'intégrité territoriale et la menace de l'ennemi.

 Par ces concepts forçant à l'excès un juridisme adéquat, les peuples s'enfoncèrent davantage dans la soumission et l'abandon vis-à-vis du pouvoir tutélaire qui les anime, impulse et les oriente vers les «voies du progrès». De cette totale soumission naissent les leaders politiques.

 Les titres et les appellations varient d'une contrée à une autre, selon le degré de la génuflexion à l'humain. De Khan, mawlay, sire, dutche, führer, à camarade, raïss, zaïm, frère et si flen et récemment fakhamatouhou; l'humanité s'est incrustée dans la stupidité de la résignation sans faille. Dans l'abrutissement général aux frontières de «L'encanaillement» comme disait l'autre ;(un ex-leader ?)

 Ces sobriquets, avant bien que les sciences de la communication ne s'affirment ; sont fabriqués à l'effet d'abord de marquer l'obséquiosité, la révérence voire la vénération, puis, la frayeur du sang et du fer ou de la géhenne et de l'enfer. Respecter sans conviction est une lâche bonté. Obéir sans raison est une lâcheté. Dans ces conditions de «conditionnement» des masses ; la domination, avec abus de crédit et sans limite ; atteint l'apogée de la lutte et se rend au profit de son concepteur. Les regroupement en partis, association, ligues, fédérations etc... sont le berceau du futur leader, et la soumission dans le mal et la misère des adeptes, militants, partisans forment le grand lit du chef, et du zaïm.

Parfois et par paradoxe purement et typiquement bien de chez nous ; naissent, sans partis, regroupement ou autres formation d'individus, des leaders potentiels. La grâce ingénieuse liée à la théorie du «peuple» est ainsi valablement mise en branle. Tous veulent le peuple et parlent en son nom jusqu'à ce que, ce dernier soit qualifié de «ghachi» voire foule anonyme, compacte, éparse et dense. De l'Algérie démocratique aucun président de la république ; de Boudiaf à l'actuel, ne prétend appartenir à un parti déclaré ni ne détient officiellement une carte d'adhésion à un autre. Paradoxe aussi où c'est le parti qui adhère à «la politique du président» et l'on se retrouve avec un chapelet partisan uni dans la diversité et la contradiction idéologique, mais rassemblé tels les os d'un crane ; autour du noyau-président. L'exemple le plus édifiant demeure chez nous, cette alliance présidentielle que seul un «programme» semble réunir au moment où tous les autres sujets s'évertuent à devenir des divergences criardes. Le projet de loi criminalisant le colonialisme, les terres agricoles, la lutte contre la corruption et pas mal de dossiers de société et de politique. L'aspect complexe que l'on se fait sur une personnalité politique, nous ramène souvent dans les méandres de la folie. L'on lui retrouve mille qualités. Ferhat Abbas était un grand érudit. Messali un père spirituel. Boumediene le circambuleur (moutawaf) de la «Kaaba» des révolutionnaires. En réalité rien ne les unissaient.

 Même pas le destin du pays. Chacun l'imaginait à sa façon. Personne n'avait en finalité raison mais chacun avait ses raisons. Dans une autre période où pourtant croyait-on, révolues les amours des personnes ; Chadli incarnait des caractéristiques prophétiques ; profane disait-on, mais surdoué de sagesse et de bon sens. Zeroual en était la bravoure, le courage aurassien, le général politisé, mais manquait de détermination. La preuve il avait jeté l'éponge.

Or sur le registre national ; les années 90 ont usiné des gens, à la mesure de leur égo-ambition et qui grâce à la liberté de presse et l'ouverture de la télévision ils se sont faits connaître. Les masses étaient en manque de références charismatiques ou de modèles à suivre. Les dirigeants de ces partis mort-nés n'ont pas survécu aux premières épreuves ni de l'urne ni contre la rotative de la duplication de la fraude administrative. Seule leur personne, image et look menaient leurs partis respectifs vers l'inconnu. Les Boukrouh, Saadi ; Larbi, Sofiane, Adami, Djaballah, Nahnah, enfin, Hanoucha, Louchi, Antar etc...vivent encore et font vivre leur personnalité par l'esprit inculte de quelques discours par ci, oraisons et apparitions par là. Par contre les Abassi et Belhadj avaient pu s'installer confortablement dans les cavités des coeurs de ceux qui, innocemment, se prêtaient au jeu, qui par misère et chimère de panacée, qui par refuge ou revanche. Ils formèrent malgré tout de puissants chefs, obéis au doigt et à l'œil.

 Pour les derniers candidats récalcitrants, les campagnes menées au titre de l'élection présidentielle n'ont qu'un but inavoué ; creuser le lit futur où leur verve débordante viendrait s'y déverser doucereusement sur nos tympans déjà troués et trop déchiquetées à force d'avoir tellement reçu une autre verve dévorante d'une autre personnalité unique.

Qu'est ce qui importait le plus chez tous ces gens là ? Est-ce la déliquescence du pouvoir contre qui ils menaient leur lutte par un pouvoir aussi déliquescent et féodalisant ? Ou est-ce cette contagion irano-méditérannéenne qui les faisait envier la chaire et le minbar des ayatollahs ? ou tout simplement le syndrome intime de se faire aimer, hisser..., narcissisme en bout ? La crédulité devant le ridicule augmente la densité de la soumission... notamment par l'effet du laser au dessus d'un tartan humain. Il en est de même pour ceux qui enviaient non la chaire de la mosquée d'Elmouradia mais ses sofas et ses longs et interminables tapis rouges. Nous nous rendons malades des maladies de nos chefs. Comme le temps n'est plus aux baise-mains, ni aux baise-turbans ; mais à une autre acrobatie érotique qui consiste simplement, sans le ressentir, à crier et clamer à haute et intelligible voix son amour et attachement à telle personnalité. Le cliquetis des paumes envahissant les salles de bleu décorées, est aussi une façon d'exprimer forcément son amour à l'égard de l'orateur, du leader, du sauveur des peuples d'en haut et d'en bas. La puissance de l'applaudissement et le degré des décibels qui s'en dégagent sont la preuve de cet ardent amour. La télévision, la rue, les péripéties passés et récents nous ont édifié à ce sujet, les «djich, chaab maak ya...» les «tahia...» sont des signes extérieurs de «je t'aime». Roméo ou Kaiss en seraient incapables de telles amours. En politique l'amour semble être une urgence. La mort, une échéance. L'homme est toujours homme mortel et non éternel pervers ou sensé soit-il, führer maghrébin, dutché ou césar méditerranéen, zaïm ou raïss.