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L'après-Ventôse

par Ali Brahimi

19 Mars 1962. Jour du cessez-le-feu en Algérie exsangue par plus de 7 ans de guerre.C'est, également, le début de la furie des «combattants» du dernier quart d'heure.

L'après 19 Mars 1962, restera a jamais gravé dans la mémoire de toute une génération d'Algériens et d'Algériennes. En effet, cette génération n'avait rien compris, à l'époque, aux motifs de cette course effrénée, entrepris par des clans armés, pour s'accaparer du pouvoir fraîchement instauré sur des bases régionalistes et de clientélismes, invétérés, altérant ainsi durablement les nobles principes qui ont fait la force et la cohésion du peuple Algérien, autour de la révolution libératrice du joug colonial, dans la diversité des idées et des actions militantes désintéressées, malheureusement ternie, souligne-t-on, par les dérapages causés par ses propres enfants survivants dont une partie d'entre eux se sont coalisés impudemment avec les rejetons de la nébuleuse troisième force dans toutes ses composantes : Un ramassis d'opportunistes, harkis repentis, de mobilisés de la force locale, indicateurs «assermentés» dits les compères à la carte blanche et autres activistes autochtones des fameux noyaux de salut public qui avaient permis, quatre années plus tôt, le retour de l'homme du 18 juin 1940 : le Général Charles De Gaulle.

 Ainsi, le 19 Mars 1962 représente le début de la période de l'accouchement difficile d'une nation, celle de tous les retournements et manigances incessantes qui se sont succédées rapidement, et ce, par de successives grandes ruptures douloureuses. En fait, c'est l'aboutissement de tout un processus truffé de formules alambiquées voire absurdes, ne menant qu'aux impasses, comme : l'Algérie française, ensuite la nouvelle Algérie, puis franchement l'Algérie Algérienne et, enfin, aboutissant, par la force des choses et la logique de l'Histoire, à : l'Algérie indépendante après tant d'années de tergiversations ridicules d'une quatrième république française, elle même accouchée dans un contexte chargé de contradictions post vichystes, alors que celle de la cinquième, instaurée sur la base des nouvelles approches gaulliennes, elle collait adéquatement aux nouvelles ambitions de la majorité des français attirés par leur destin européen pour des considérations que l'on sait.

 Au préalable, l'on se rappellera, pour toujours, sa fameuse phrase hésitante mais calculatrice à plus d'un projet : «je?je vous ai compris» adressée à l'intention des colons et assimilés rassemblés au fameux forum devant le palais du Gouvernement Général d'Alger, le 4 juin 1958 tout juste après son investiture en date du 1er juin à la tête de l'Etat français. Le 23 octobre 1958, il lance dans le même sillage un deuxième appel, défini en la fumeuse «paix des braves», destiné cette fois-ci aux combattants de L'ALN et donc au peuple Algérien dans son ensemble. En vain !

 Dans le cadre de cette proposition, mûrement agencée, il entérine la libération de 7000 prisonniers Algériens dont le défunt charismatique Messali El Hadj - déjà dans l'œil du cyclone malgré lui -, en janvier 1959, soit sept mois après l'apparition des comités dits de salut public, qui avaient favorisé le «ténébreux» retour du Général De Gaule, instaurés dés le 13 Mai 1958 par le Général Massu charmé par ces braillards de l'Algérie française - ultra coloniaux et militaires en mal de gloire -, qui vont à partir de cette date, de toutes les infiltrations suspectes et suspicieuses, cultiver les ferments initiateurs de l'OAS et, ironie de l'Histoire, saborder toutes les bleuîtes : les leurs et celles gaulliennes qui n'ont pas cessé de se succéder même après le cessez-le-feu et le recouvrement de l'indépendance .

 Tout juste après la proclamation du cessez-le-feu, le 19 Mars 1962, il récidivé, comme à son habitude d'insinuer à demi-mot ses intentions, formulant de curieux vœux de réussite aux futurs gouvernants de l'Algérie libre et indépendante : «Je leur souhaite d'avoir du bon plaisir». C'est comme il exhortait, d'une certaine façon, L'OAS - Organisation Armée Secrète -, un ramassis de militaires et d'ultra militants de la cause coloniale, se trouvant déjà au fond de la poubelle de l'Histoire, à ce qu'ils se saisissent de l'ultime chance qui leur est offerte par cette transition, de toutes les combines fulminantes liées à toutes sortes d'activismes liés aux affairistes chevronnés et arrivistes civilomilitaires, afin qu'ils s'imposent, par le fer et le sang, et qu'ils dessineraient les nouvelles configurations d'une Algérie postcoloniale toujours rattachée au giron de la France. Et, donc, à la colonisabilité au profit de cette dernière ou d'ailleurs ! Malheureusement pour la grande Zohra - De Gaulle - leur tonus étant ailleurs et, donc, ils vont se retourner contre lui jusqu'à aller tenter de l'assassiner et les populations Algériennes des principales grandes villes avec, et ce, après ventôse 1962.

 Par ironie de l'Histoire, également, d'autres combattants du dernier quart d'heure vont se charger de cette ténébreuse «résurrection» après celle qui avait terriblement floué les Généraux félons en 1958 et surtout à partir de 1960, date des premières négociations gaulliennes accompagnées par les taupes et gerboises, du dernier quart d'heure, infiltrées en douceur dans les rangs de la glorieuse ALN. C'était déjà le temps des Marsiens pour nous autres !

LE TEMPS DE DANSER AVEC LES LOUPS SELON LA MUSIQUE AUTANT EN EMPORTE LE VENT DU PRINTEMPS.

En d'autres termes, celui des arrangements claniques alliés aux nouveaux rapports de force, prenant leur ancrage, pour une grande partie d'entre eux, dés le 19 Mars lui-même influencé par ceux liés au fameux plan de Constantine lancé en 1959 afin de faire imploser le mécontentement des masses populaires par le biais de nouvelles «aptitudes élitistes socioculturelles et économiques». Le tout au rythme des nouveaux «amours» et des chants et danses nostalgiques d'une épopée ratée.

 Au cours de cette période, non loin de mon patelin, des «combattants» ont été invités à un grand banquet offert en leur honneur par une personne de condition aisée et habituée à ce genre de ripaille qu'il avait déjà organisé, maintes fois, à l'intention des officiers de SAS : Service Administratif Spéciale politico-militaire colonial. Avant le repas, tout ce beau monde dansait, à l'air du twist, avec des jeunes filles.

 Le tout accompagné par la chanson «Viens danser le Twist et autres souvenir, souvenir» de Johnny Hallyday. C'était le temps, printemps y aidant, de «Amusez vous les enfants» entonné par le maître de céans ! Alors, une fois, un vétéran de la cause nationale complètement désorienté confie à son ami : «c'est toujours les mêmes qui sont visités, hier c'était par les officiers des SAS, aujourd'hui nos combattants». Alors son ami lui répond de but en blanc : «Est-ce que ta femme pourrait-elle préparer ce genre de repas festif et surtout en possèdes-tu les moyens de le faire ?». C'est comme ça que les corruptions combinées aux compromissions liées aux plaisirs, en tous genres, ont débuté. Et ça continue, dans le même sens, mais avec d'autres attirances sur de nouveaux attirails reliés aux multiples affairismes d'ici et d'ailleurs.

 Après bientôt un demi-siècle d'indépendance, beaucoup de gens, notamment les jeunes, n'ont perçoivent nullement et dans toutes les dimensions le sens des nobles sacrifices de leurs aînés. Les airs de danses d'antan sont démodés. Aujourd'hui, ils sont cadencés tout autrement. A coups de millions de dollars !

LA FIDELITE AUX NOBLES IDEAUX DES MARTYRS C'EST D'ARRIVER SANS MONOPOLE POLITICIEN

DE LES INCULQUER AUX GENERATIONS ACTUELLES

 Et pas seulement dans les programmes scolaires et autres séminaires feutrés. Mais par d'autres efforts et sacrifices multiformes. La fidélité aux idéaux novembristes, c'est surtout d'être en diapason avec ceux des aspirations juvéniles actuelles tout en sachant que ces dernières sont souvent sous le seuil de l'indigence informative dans tous les domaines intéressant leur émancipation pertinente et que, donc, leur avenir prête à beaucoup d'inquiétudes.

 Ainsi, s'attacher à l'Histoire c'est aussi de baliser l'avenir. Sinon, il ne s'agirait que des abus à l'encontre de ces masses juvéniles pour des intérêts politiciens d'autant plus que de nos jours, comme nous le constatons au quotidien, l'accaparement voire le viol de la conscience collective du peuple dans toutes ses composantes et à travers toutes ses générations, transgresse toutes les limites du bon sens !

 L'Algérie avait payé un lourd tribut en vies humaines à cause des lubies fascinantes - fascisantes - et démagogiques liées à l'abus du pouvoir centralisant les volontés des générations successives. Et les désirs pour un mieux-être individuel et collectif. Le défunt Messali El Hadj en avait subi les horribles contrecoups de cette démarche. D'autres, ne retenant pas les leçons de l'Histoire, l'ont payé de leur vie ; et d'autres de leur renommée, d'hier et d'aujourd'hui, ternie à jamais quoi qu'ils fassent pour rectifier le tir aux temps actuels. Quoi qu'ils en feraient !

 Aussi, les choses liées à la mémoire des peuples, ne sont pas aussi simples de les dribbler qu'on puisse le penser mais faciles de les entreprendre si les intérêts politiciens chauvins, de part et d'autre des intérêts éphémères, ne s'en mêlent pas. Etablir la matrice, des avantages - s'ils en existaient et qui subsisteront - et des inconvénients de la colonisation, pourrait apporter un plus, non négligeable, pour tout le bassin méditerranéen voire du monde, pour en ce qui concerne toute cette période tourmentée de l'Histoire.

 D'abord, il faut arrêter de noyer le poisson dans l'eau de la?Méditerranée. Et surtout de bannir les mensonges et les excès d'appréciation. Pour ce faire, commencer d'abord par les raisons de l'occupation coloniale ne se limitant nullement à celles des affaires de piratages et de dettes négociées? par des coups d'éventail. Les motifs sont variés. Cela va du débarquement des fantassins de la flotte française à Sidi Fredj aux gerboises gaullistes - essais nucléaires de 1960/67 - au Sahara. A ce propos, et sur un autre angle de vision, il parait qu'il y a des nuances d'appréciation au sein de la coalition présidentielle, dans ce sens, tout en sachant que seul un point commun, lié à leur devenir collectif, les unissent. A ce propos, beaucoup de rats musqués ? masqués ? des eaux oasiens vont payer chèrement leurs manigances autour de la loi incriminant le passé colonial de la France et notamment celui lié aux essais nucléaires arrangés dans le cadre des?accords d'Evian !

 Au préalable, décortiquer minutieusement et méthodiquement les raisons, internes et externes, qui ont instauré cet état de léthargie précoloniale, mûrissant durant des siècles, et coloniale pendant plus d'un siècle, et ce, dans tous les domaines, notamment celui touchant les consciences ainsi aplaties par les prédispositions au culte de la personnalité personnifié à des mythes tirant, depuis fort longtemps, leur origine de la fatalité, du fanatisme religieux glorifiant les croyances aux zaouïas soi-disant puisant leur source spirituelle du Soufisme alors que celui-ci, de par son essence, abhorre les cheikhismes et autres tombeaux de monastères achalandés de décors et amulettes mystificatrices et, surtout, qu'il est utile de noter que le fond du soufisme existentiel rejette tout intermédiaire «bienfaiteur» entre leur penchant et celui lié directement à l'adoration du Seigneur Créateur des deux Mondes.

 En clair, c'est d'arriver à mettre courageusement en exergue, au niveau des élites gouvernantes et celles de l'opposition, les prédispositions archaïques à la dépendance étrangère, dont la zerda importée actuellement grâce au génie noir défini aux hydrocarbures - plaisir du ventre - conjuguée à la hadhra - défoulement psychomoteur par défaut -, lesquelles, aux temps actuels, prennent des chemins tout à fait opposés à ceux des siècles passés, mais non moins parsemés d'épines. Cette dépendance, elle est de nature distante et numérique. En attendant, que cette évidence s'ancre et fructifie définitivement dans nos esprits, nous terminons par ces quelques notes de poésie :

 Aujourd'hui c'est le 19 mars, demain le 8 mai.

Après-demain ce sera le 5 juillet.

Tout est vain autant que la vie.

Ainsi vont, rapidement, les jours et les nuits.

 Nous dédions aussi notre article à toute l'Algérie de tous les printemps. Celle de la sérénité et de la fidélité ombilicale à la mémoire des martyrs morts pour la terre d'Algérie de toutes les passions.