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Il était une fois?

par El Yazid Dib

Un ministre durable et une école précaire La colère des hommes dessèche les nuages La colère des cœurs ruine les mondes Détourner la tête des passions  C'est le propre des princes Y renoncer c'est la force du prophétisme Un poète du XIe siècle L'histoire n'est pas celle d'un khalifat ou d'un élément de la lignée de la sainte progéniture d'un suiveur de la bienfaisance et de la bonne charité. Il s'agirait de l'ombre d'un homme qui trop duré à être ministre. Il est plus vieux que l'école qu'il prétend avoir recréé.

 L'histoire se passe là, chaque jour, défiant à l'aveuglement nos yeux. Présente, elle se dicte par défaut. L'homme, bel homme d'une élégance digne d'un livre de beaux- arts, ses yeux scintillent comme du papier canson, sa tête haute comme le mausolée de Moscou sur la Place rouge, ne s'amollit pas devant le temps et semble heureux d'avoir affronté les siècles et dompté l'éternité. Il a dans les trippes d'énormes concepts pétris dans les réformes journalières que seule sa propre réfraction arrive à rendre lisibles tous les vocables empruntés à l'alphabet yougoslave, scandinave ou de Jules Ferry. Les essais sur la pratique scolaire, tellement répétés et ressassés, ont fini par faire perdre toute bonne pensée sur une classe, un classeur, un élève ou un instituteur.

Qu'Il est démentiel, cet accoutrement dont se pare la réforme scolaire chez nous. D'un palier à un autre, l'élève est comme dans un nuage, il n'arrive plus à se situer dans la lourdeur de son cartable. Les cahiers mal quadrillés y côtoient les manuels bourrés d'imprécisions lorsque l'amputation d'un fait historique fait bouleverser l'ordre de l'histoire. Le comble aurait été commis quand l'amnésie se voulait faire place dans la déchirure d'un couplet, sans qui la révolution n'aurait pas eu d'adversaire, ni encore pu identifier son bourreau. L'erreur est monstrueuse lorsque dans une feuille d'examen le candidat y écrit par SMS et s'apaise du savoir infus de son Bluetooth lui assenant à distance de quoi remplir son angoisse.

 Si l'école peut s'apparenter à un immeuble et un portail, en quels termes alors pouvons-nous définir le lycée ou l'université ? Le premier ne peut être que cette même école, une grande infrastructure à la différence qu'elle est destinée aux adultes.

 L'université n'est cependant qu'un gros budget pour tout le monde. Y compris pour l'Etat.

 L'Education nationale a été de tout temps partagée entre le scepticisme, la doctrine et la réalité. La tendresse que l'on semble lui dévouer sans artifice s'est vite déflorée à la mesure des tenanciers conjoncturels d'une époque, d'un régime ou d'un caprice. Ce secteur névralgique dans la constitution physique du pays donne la physionomie d'un manque d'âme et d'animation. Faisant parfois dans l'agitation stérile, comme un malade vertical, tenu en souffrance pour cause de lucidité, il sursaute d'une humeur d'un pouvoir à l'envie d'un ministre. Cette pathologie est née, certes, dans un environnement presque inhospitalier et moribond qui ne cesse de s'affirmer en gangrenant tous les segments cellulaires du corps social. La crise est dedans. Dans le cerveau catalyseur.

 La crise qui nous transperce a eu le dessus sur l'ensemble de nos actuels ministres. Quel est, dites-vous, le secteur qui s'en trouve quelque peu épargné ? La responsabilité d'un ministre n'est pas une simple responsabilité citoyenne. Quoique l'étant par la force de la légalité, elle ne peut être uniquement passible de juridictions. Elle est censée à juste moralité, être une responsabilité nationale, engendrant dans son passage tout une vie temporelle d'une nation. Il n'appartient pas au juge du coin de coincer un ministre. Il peut le faire cependant dans le sens où cette responsabilité qualifiée juridiquement « du fait personnel » ou du « fait d'autrui » ou même « du fait des choses ». Mais à quoi aboutirait la mise en examen judiciaire ou la détention préventive d'un ministre qui aurait saccagé l'école publique, bradé les entreprises nationales, affamé le peuple en laissant se multiplier le prix des céréales, augmenté le nombre des SDF par absence de logements, construit des logements qu'une secousse tellurique pourrait les réduire en un amas de détritus, causé un terrorisme routier par l'abandon du réseau routier, rajouté de l'injustice à celle déjà existante, ruiné le pouvoir d'achat par un commerce à tout vent, imposé les salariés pour dégrever les nantis, cédé de gré à gré Hassi Messaoud, tari le champ culturel des lecteurs par cessation d'engouement culturel etc. ? À rien, diriez-vous.

 C'est vrai ; la sanction d'un ministre ne doit pas trouver son issue dans les parois d'une geôle. Il lui faudrait un autre emprisonnement. Dehors. Il doit sortir de cette identité ministérielle pour aller vers un anonymat originel.         Une libération vaudrait pour lui toute une tempête de remords et de brutalité. Il aura à connaitre les affres de la stupidité que l'on rencontre dans la rue, à la télé ou dans les media, une fois sorti du costume et des belles chemises. Dans l'état actuel de l'école publique, la grève qui l'aggrave commence à être perçue comme un excès dans l'usage de droit. Elle frôle l'abus de pouvoir de part et d'autre. L'équation est ainsi tripartite. Il y a le ministre, l'enseignant et l'élève. Le premier est indifférent, le second est entêté et le dernier est un pauvre irréfléchi. Si le ministre, le monde le dit, est sommé de partir avec ou sans préavis, il incombe cependant à cet enseignant toujours rebelle et revanchard de bien refaire ses comptes. Quant à l'élève, il suit l'inconscience avec sa blouse, son gel et ses écouteurs. L'on ne voit plus l'instituteur, ce maitre d'antan agir et faire ses cents pas à la recréation et entrainer l'émerveillement des bambins. Il était un modèle, un exemple. Il ne fumait jamais en classe, encore moins oser demander un à son rejeton d'éteindre son mégot quand il ne sollicite pas un autre de lui fournir une sèche. Il lui arrivait par moment d'user d'une pipe qui n'avait à dégager non sans fumée que cette personnalité pleine de philosophie et de goût savant à l'appréciation de la vie. Ce maître savait brillement se vêtir par son veston en tweed, son pantalon velouté ou son tee-shirt molletonné. Le tout emballé sous un caban que finissait une belle écharpe en laine soyeuse. Il n'avait pas dans la tête un lot marginal ou un tas de ferraille de 14 ou de 16 qu'une dalle inachevée lui faisait omettre les devoirs, la correction et la bonne note. L'enseignant d'antan donnait le tonus à l'acharnement des études. Il suscitait l'envie d'être come lui. Il produisait une folle ambition de vouloir un jour lui ressembler. Existe-t-il en ce jour des modèles d'enseignant à suivre ? Oui, mais Rares sont ceux continuent à faire rêver leurs apprenants. Bien au contraire, quelques-uns provoquent le désir de l'école buissonnière, ils font fuir l'esprit de cet enfant du corps de ce même enfant qui s'immobilise en classe à cause d'un règlement intérieur inouï. L'essentiel serait dans la présence matérielle de la masse en chair et en os, c'est tout. Peu importe l'évasion de la concentration et de l'assimilation.

 A raisonner de la sorte, nous allons considérer nos collèges comme des prisons à des horaires fixes. Alors que dire de la crédibilité de notre enseignement ? Quand le ministre envoie ses enfants ailleurs qu'en l'Algérie, quand le directeur de l'Education fait faire à ses enfants des cours de soutien, quand des enseignants font ce soutien après l'école à leurs élèves dans des garages, des sous-sols, des vides-sanitaires, quand les parents s'empressent à payer en groupe ou en heure ces vacations hors-la-loi ; que reste-t-il à la crédibilité ?

 Ainsi, l'histoire dira qu'à cette époque, il y avait un ministre qui ne dépensait son temps, aux dépens du temps que dans le dénouement des crises, le gel des grèves, le calcul des salaires, la lecture des journaux ou le choix de ses cravates mais très peu dans la pédagogie, la didactique et le futur scolaire, et jamais dans l'a décision de partir. Il y a aussi des enseignants, voire des militants-enseignants qui consommaient leurs efforts loin de la rédaction de cours ou de fiches de leçons mais s'employaient à l'affiche, au slogan et aux mots d'ordre. Le parti FLN n'est plus preneur de candidats à puiser sur les estrades. L'histoire retiendra en toute amertume le calvaire non ressenti, de ces écoliers pris dans la tenaille violente que guetterait la déperdition ou l'oisiveté.

 On verra en conclusion, un petit enfant regarder son instituteur, frêle et émoussé, cheveux dépeignés, visage à fleur de peau, brandir un papier tenant lieu de fiche de paye et l'autre bien beau, sans rage lui assener un silence garni de cris lointains. L'écolier médusé se débarrasse à son bon plaisir de son trousseau et de son bout de tablier et part tout joyeux vers la boue, le cybercafé ou s'entasse dans l'abri des cages d'escalier.