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Les démocrates À la recherche du temps perdu?

par Si Mohamed Baghdadi

Après une longue hibernation, des démocrates ont réussi, à l'appel du MDS, malgré vents et frimas d'un début d'année houleux en histoires de corruption et de règlements de comptes, à sortir de leur réserve.

Ils se sont réunis. Ce qui n'était pas arrivé depuis bien longtemps, chacun s'étant retiré en sa tour d'ivoire. Ils se sont parlés; échangé idées et analyses, chacun selon son histoire, sa culture, ses combats et ses convictions. Chacun selon sa sensibilité et sa perspective historique et politique.

Tout sur la table et au vestiaire les préalables

Certains ne sont pas venus. Encore une histoire de préalable; l'absence pouvant être interprétée comme un refus de dialogue. Ni plus ni moins qu'un préalable qui ne dit pas son nom, ni ses exigences préalables.

 Ils ont bien sûr évoqué les mille et une tentatives de se regrouper, de se rassembler et de se coordonner. Ils ont aussi analysé les causes des échecs successifs qui ont sanctionné leurs infructueuses initiatives aussi généreuses furent-elles au plan de l'intention.

 Ces initiatives auraient pu aboutir si elles avaient su ou pu survivre aux intérêts parfois contradictoires des leaders de partis, d'organisations, de mouvements ou d'associations en mal de démocratie ou, plus exactement, de pouvoir.

 Elles ont toutes eu lieu, faut-il le préciser, soit dans la perspective d'élections législatives, soit présidentielles, en un mot, à l'occasion d'un enjeu électoral. Elles n'ont pas manqué de s'inscrire, à tort ou à raison (plus à tort qu'à raison) et d'être suspectées d'avoir été manipulées par quelque marionnettiste de l'ombre, plus soucieux de faire passer l' image ou le label «démocratique» à destination de démocraties extérieures, souveraines et hyper dominatrices, que d'encourager le processus démocratique en Algérie et d'entreprendre une œuvre de longue haleine dans cette direction. Mais enfin, ne soyons pas naïfs, les marionnettistes de l'ombre ont trop peur des lumières démocratiques pour oser s'aventurer en terrain mal balisé. Ils savent d'expérience que le pouvoir est toujours plus fort et craint lorsqu'il est caché.

Démocratie et déficit d'enracinement social

Par ailleurs, les tentatives de rassemblement démocratique se sont toujours révélées manœuvres d'appareils, peu soucieux de leur indispensable enracinement social et, particulièrement, de leur résonance auprès des jeunes. Manquant de profondeur sociale, elles accordaient une attention toute relative aux sensibilités de leurs militants à la base et aux problèmes réels auxquels ils étaient concrètement confrontés. Ces derniers étaient souvent largués par les politiciens et théoriciens d'états - majors ne rêvant que de conduire une transition que tout le monde imposait comme étape indispensable avant d'accéder au changement. Puis, de prendre le pouvoir par la force des blindés et des baïonnettes, selon la juste perception de Mokrane Ait Larbi, au lendemain de l'élection présidentielle de 2004 et de la débâcle des démocrates1.

 Telle est l'incontournable équation du pouvoir en Algérie. Il ne peut se concevoir d'accès aux fauteuils présidentiel et autres, sans l'amen d'une armée dont l'emprise sur le pays a été forgée, bien avant l'indépendance, aux frontières, à Oujda et Ghardimaou. Comme il ne peut se concevoir, au moment des crises de régime, de recours, en alternance «savamment» concoctée, à la mobilisation des «masses», au sein de l'une ou l'autre des mouvances dominantes de la société politique en Algérie, généralement nationaliste, islamiste ou démocrate. Pour donner un relent de légitimité et de crédibilité à tel ou tel sursaut patriotique.

 L'insuffisante profondeur sociale de la mouvance démocratique provient, tous les politologues en conviennent désormais, de l'échec consommé du projet moderniste au cours du siècle dernier. Echec, en matière de développement, qui a expliqué l'irrésistible ascension de la mouvance islamiste et son succès relatif. Un succès généralement minimisé par les démocrates voulant se donner l'illusion de représenter la force qui compte sur l'échiquier des pouvoirs. Elle explique aussi l'état de délabrement de la Maison des démocrates qui a grandement besoin de dépasser ses narcissismes incongrus, et ses démarches hétérogènes à force d'être rivées sur l'agenda du pouvoir et de ses appendices, démarcheurs en tous genres, intermédiaires et lobbyistes de tous bords, au sein de la société politique, associative ou syndicale. 

Le minimum démocratique au prix de projets communs

Par delà les querelles «infantiles» qui agitent la Maison et la divisent encore plus, il faut convenir que c'est le RCD qui avança, en son temps, l'idée d'un «SMIG démocratique» susceptible d'ouvrir la voie vers la convergence et le rassemblement. Seulement, il est vite apparu que ce minimum démocratique, loin d'être une affaire de petite phrase lapidaire pour les besoins d'une médiatisation éphémère, devait avoir une consistance autrement plus réelle et durable que la frime d'envolées sans lendemain. Il en est de même des déclarations écrites et d'appels n'ayant d'autre durée de vie que celle d'accords d'étapes, conclus-le plus souvent à la hâte, sous l'empire de la conjoncture ou des circonstances d'un agenda électoral attractif pour certains, en termes de strapontins et de juteuses enveloppes.

 Or, il ne suffit pas de lancer l'idée d'un minimum démocratique, d'un salaire de base garanti par et pour l'union des démocrates, mais bien de travailler sincèrement, concrètement et ensemble, sur des actions et des projets communs, mesurant les forces des uns et des autres et leurs capacités concrètes de mobilisation pour participer, de manière concertée, au changement du cours des choses.

 Cette démarche privilégie l'action aux déclarations. Quoique les déclarations aient pour avantage de marquer des positions, sur des problèmes et enjeux politiques de l'heure, permettant à l'opinion de se repérer. Mais seule l'action, ou le projet commun, permet de parvenir à dégager, au contact du réel, ce qui va consolider l'union; et d'identifier les obstacles qui s'y opposent ou s'y opposeraient.

Union, division et manipulations

A la lumière des derniers événements ayant émaillé l'actualité nationale il est difficilement compréhensible de voir les syndicats de l'enseignement monter, en ordre résolu, mais dispersé, au créneau de revendications légitimes pour l'amélioration de leurs salaires, du régime indemnitaire, ou de la gestion des œuvres sociales, injustement monopolisé par l'UGTA.

 Tout comme il convient d'être rassuré par la coordination effective, sur le terrain réel des luttes menées par les syndicats autonomes de la santé. Deux exemples démontrant ce qu'il faut fuir et ce qu'il convient de soutenir et d'encourager. Deux exemples qui prouvent l'urgente nécessité du rassemblement des forces au sein du monde du travail et des syndicats autonomes, pointe avancée de la résistance et du changement.

 Au regard des études ou échanges au cours de diverses réunions, il apparaît que les forces démocratiques constituent une mouvance en pleine évolution, à la recherche d'elle-même, sur la base d'identités historiques, culturelles, économiques, sociales et politiques diverses et parfois contradictoires. Un ensemble en mouvement, peu stable, fragile et peu résistant aux manipulations offensives du pouvoir visant à en désagréger les composantes.

 Manipulations rendues d'autant plus faciles par l'inexistence d'un projet commun et d'une coordination éphémère. Alors qu'en réalité, et tout le monde en convient, existe chez tous les protagonistes, la volonté de tout mettre à plat et de débattre des questions les plus importantes, les plus urgentes et les plus vitales.

Vers l'Assemblée des Citoyens Démocrates

Toutes les questions qui viennent d'être effleurées et bien d'autres que le débat franc et sincère révéleraient, méritent d'être examinées dans un cadre qui sauvegarderait l'identité de chaque partie prenante et l'autonomie de son organisation et son programme d'action. Mais qui renforcerait aussi sa volonté de participer à l'œuvre commune de rénovation ou de «refondation» de la mouvance démocratique. Bien qu'il s'agisse de question de terminologie que d'aucuns pourraient considérer comme secondaire, il faut remarquer que le terme de «refondation» est devenu une sorte de tarte à la crème dans le mode de la politique, pour désigner la volonté de changement. Or, on ne peut logiquement refonder ce qui n'est pas encore fondé ou serait en voie de l'être. Dans cette perspective, pourquoi ne pas envisager la création d'une Assemblée des Citoyens Démocrates (ACD) ouvertes aussi bien aux représentants des partis, des syndicats, du mouvement associatif, intellectuel, artistique et culturel que de simples citoyens - surtout les jeunes gens et jeunes filles - n'ayant d'autre «carte» que celle d'algérienne ou d'algérien, désireux de vivre dans un monde où ses droits d'association, d'expression et de manifestation seraient défendus et respectés.

 La proposition de la forme d'Assemblée part d'une quadruple source d'inspiration.

1 - D'abord et essentiellement, la Constitution de notre pays qui, dans son préambule, déclare :

«Ayant toujours milité pour la liberté et la démocratie, le peuple entend par cette Constitution, se doter d'institutions fondées sur la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques et qui réalisent la justice sociale, l'égalité et la liberté de chacun.»

Voilà une phrase lumineuse qui, en quelques mots, définit la forme d'organisation des volontés citoyennes, le mode de gouvernance qui leur conviendrait le mieux et les objectifs fondamentaux qu'elles pourraient se fixer. Elle précise, «en creux», tout ce qui n'a pas été réalisé par les régimes qui se sont succédé à la tête de notre pays, malgré l'existence de cette Constitution dont nous avons le tort de ne pas réclamer l'application par ceux qui nous gouvernent ou nous représentent, au nom du peuple.

2 ? La volonté exprimée par plusieurs partis, notamment le FFS, d'amorcer le processus de transition en ayant recours à une Assemblée Constituante qui aurait cependant, l'inconvénient de n'être ouverte qu'aux représentants des partis, alors que les syndicats de travailleurs, entre autres, en seraient écartés de ce simple fait.

3 ? Elle prendrait en compte toutes les expériences, tentatives et initiatives fondées sur le concept de citoyenneté que le CCDR, entre autres, a défendu pendant une dizaine d'années ? avec ses Collectifs d'Initiative Démocratiques - et continue à défendre. Et, aujourd'hui, les Cercles d'Initiatives Citoyennes pour le Changement (CICC), lancés récemment, par le Dr Ahmed Benbitour.

4 ? Le mouvement altermondialiste qui, après avoir expérimenté la forme ouverte, libre et non contraignante du Forum, utilise de plus en plus, celle d'Assemblées de Citoyens pour parvenir à la concrétisation de son credo «Un autre monde est possible», de manière plus organisée et plus durable.

De quelques principes, convergence et solidarité

Sur la base de ces considérations, précisons que l'ACD (Assemblée des Citoyens démocrates) ne devrait pas être un lieu de pouvoir, ou de pouvoir à se disputer, donc de prise de pouvoir.

 Elle sera bien plus un espace de rencontres, d'échanges d'expériences, d'analyses, de concertation et de construction d'alternatives fondées sur la libre initiative de citoyens qui, à la base, dans leur milieu de vie - réel et non pas fantasmé par des politiciens en quête de pouvoir pour le pouvoir - réaliseront le Projet visé par la Constitution.

 Le Projet national dont plusieurs patriotes et démocrates ont rêvé, de «participation des citoyens à la gestion des affaires publiques» et qui réalisent «la justice sociale, l'égalité et la liberté de chacun.», à l'aide des institutions dont ils se doteront depuis le quartier, la dechra ou la commune, jusqu'au niveau national. L'organisation et le fonctionnement des ACD devront reposer sur les principes d'adhésion volontaire et de libre partenariat, de gouvernance démocratique, de solidarité dans toutes les actions de promotion et de défense des droits, libertés et projets communs. Ayant parcouru de multiples blogs et suivi les joutes virtuelles auxquelles s'adonnaient beaucoup d'internautes en mal de changement, toujours à la recherche de propositions concrètes pour s'engager, il faut remarquer que plusieurs entités politiques ont proposé des solutions. Mais que faute d'engagements concrets de la part de celles et ceux réclamant le changement, ces solutions ont fini par s'étioler et disparaitre.

 Hocine Ait Ahmed vient d'en faire, encore une fois, l'amer constat lorsqu'il dit, à destination du Conseil national du FFS:

 «Autour de nous, la société se déstructure et se disloque de jour en jour. Les femmes et les hommes de ce pays ne savent plus, peut-être ne veulent plus et en tous cas ne peuvent plus, faire de la politique.»

 Ils veulent certainement faire de la politique autrement, comme tous les jeunes, allergiques à toutes les formes d'organisation qui leur rappelle la «houkouma», ses entourloupes et ses manipulations.

 Si une volonté commune venait à s'exprimer autour de ce projet d'Assemblée des Citoyens Démocrates, c'est ensemble qu'il conviendrait de donner vie à ces principes fait pour unir et non pour diviser. Sur la base d'engagements individuels ou collectifs, sans tutelle ni hiérarchie, avec pour but essentiel, comme le dit la Constitution, de la République Algérienne Démocratique et Populaire, de participer de manière organisée, «à la gestion des affaires publiques», pour réaliser» la justice sociale, l'égalité et la liberté de chacun.» Les Assemblées de Citoyens Démocratiques sont déjà dans la vie et au cœur de la société. Elles sont dans les cafés culturels ou littéraires qui ouvrent leurs portes aux échanges à partir d'un livre ou d'un film. Elles sont dans toutes les conférences débat et dans tous les séminaires. Elles sont sur tous les sites et blogs internet. Chaque fois qu'une volonté citoyenne se fait jour, une ACD peut naître et créer sur les grands réseaux planétaires, comme Facebook, un groupe de rencontres. De nouvelles formes pour «faire de la politique autrement» sont en train d'émerger à côté des formes traditionnelles conduites par les partis politiques. Des réseaux et des connexions dans et en dehors de la toile constituent ce que De Rosnay appelle de la réalité «ajoutée». Et dans ces flux incessants s'exercent de l'intelligence collective et de l'intelligence «collaborative» qui tissent ensemble, les solutions et contours de demain.

 Pour parvenir, ensuite, à une véritable Constituante, nourrie par les rêves et les propositions de toutes et tous; réunie autour d'un Projet national, qui définirait les principes et règles du «vivre ensemble», toutes les mouvances y ayant leur place, socialement légitime et souverainement établie.

1- Mokrane Ait Larbi, dans El Watan du 14 avril 2004 ne se fait plus d'illusion sur l'armée:

«Au contraire ce nouvel échec permettra d'enterrer définitivement l'illusion entretenue depuis 1992 d'arriver démocratiquement au pouvoir sur un char. L'ère du bricolage politique est révolue. La méthode qui consiste à être avec le pouvoir pour des privilèges et dans l'opposition à l'occasion de l'élection, a démontré ses limites. L'Algérie républicaine, démocratique, pluraliste et moderne se construira pacifiquement grâce aux algériennes et aux algériens qui subissent quotidiennement le totalitarisme du pouvoir, les menaces de l'intégrisme et le mépris des groupes d'intérêts. La lutte est longue mais l'alternative républicaine est certaine.»1