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L'eau et le devenir de l'Algérie

par Chadouli Ahmed*

L'Algérie est déficitaire en eau. La demande augmente et l'offre se réduit. Cette situation fragilisera le pays face aux nouveaux défis du nouvel ordre mondial qui profile à l'horizon. Produire l'eau reste l'unique alternative pour disposer d'atouts dans nos relations et d'éviter au pays des surprises dont l'impact sera fatal.

Le climat

Nous faisons face à un chamboulement climatique. Parmi ses caractéristiques, la survenue de paramètres climatiques à des périodes indues. Un déficit hydrique et des températures élevées au printemps avec des dégâts irréversibles ; des pluies torrentielles en été. Les pertes peuvent être de 80% pour les cultures annuelles (cultures pluviales), de 40 à 50% pour les cultures saisonnières et une perte de 40% pour les cultures pérennes, en fonction des espèces. Comme exemple de ce chamboulement, on a reçu 100 mm de pluie au mois de février contre 0 mm au même mois une année après à la station ITGC de Khemis. L'aridité domine l'aspect physique du nord de l'Algérie. En plaine et en terre arable, les pertes en production sont souvent accentuées par la senescence hâtive des plantes, l'hétérogénéité de la production, la faible taille et la biomasse, sont les effets des paramètres de l'aridité. La durée de végétation du couvert herbacé est courte, les plantes périssent à la floraison à cause du stress thermique et du déficit hydrique. Il s'ensuit des pertes dans les réserves en grains dans le sol.

La survenue des pluies revigore la plante sans pour autant la relancer, l'efficience de l'eau est faible. Le manque d'eau accentue le déficit en humidités dans le sol allant en profondeur. Les arbres éprouvent des difficultés à puiser l'humidité en profondeur, les cimes connaissent une faible croissance et les petites feuilles se dessèchent rapidement. Il a été constaté des pertes de feuilles à la fin du mois de juillet. Cet état ne fait qu'accentuer le dessèchement et augmente les plages d'aridité. Les paramètres climatiques sont interdépendants, un déficit en pluie de 30 mm n'est pas préjudiciable pour une céréale en Europe, sauf évidemment, un retard, par contre, en Algérie, il peut causer des situations irréversibles, les paramètres climatiques sont en harmonie et leurs réactions se font en chaîne.

L'irrigation

L'eau n'est pas considérée à sa juste valeur, il s'ensuit un abus, un gaspillage et une mauvaise utilisation. Il est utile de rappeler qu'un puits ou un forage peut être une propriété privée, mais l'eau est à la collectivité. Malheureusement les pouvoirs publics accordent peu d'importance à ce précieux produit.

L'irrigation n'obéit à aucun critère technique, le tour d'eau, la fréquence d'irrigation, les doses d'irrigation, ne sont guère usités. C'est 8 à 10 heures d'irrigation de la mise en place jusqu'à la récolte, la rampe d'irrigation assure des aller et retour sur la parcelle. Il a été constaté des irrigations bien après la maturité sur la pomme de terre. Ces apports au-delà des besoins affectent qualitativement et quantitativement et augmentent le taux de nitrate dans la nappe. L'eau des nappes des parcelles de pomme de terre est déconseillée aux femmes enceintes et aux bébés.

Afin de préserver cette ressource, il faut interdire l'aspersion. L'irrigation localisée doit être la devise, hormis les cultures de la luzerne, le bersim et à degré moindre le maïs, le sorgho et les céréales.

L'EAU

Où en-est-on avec l'eau ? Combien y-a-t-il ? Que reste-il ? Il est difficile de répondre avec certitude, mais je fais un état des lieux et les déductions seront évidentes. La majorité des villes algériennes ont une dénomination qui débute par Ain, Oued, Hassi. Ceci dénote que ces villes ont été érigées aux alentours d'un point d'eau. Mais aujourd'hui, nul n'est en mesure de localiser ce point d'eau, pour la simple raison que cette source a disparu. Je suis natif de Khemis-Miliana, Dans les années 70, Miliana comptait plus de 6 fontaines fraîches, aujourd'hui, les sources et les puits ont disparu.

Dans le cadre du programme de multiplication de semences, les stations ITGC ont bénéficié de forage. En 1992, pour sécuriser la semence des générations de départ, j'ai réalisé un forage au niveau de la station ITGC de Khemis. A 80 m de profondeur, on avait un débit de 15 l/s. En 2022, à 2 km de là, un débit de 20 l/s a été obtenu à 300 m de profondeur. Il est loisible de dire que la chute du niveau des nappes est drastique. Cette baisse est vérifiable au niveau de l'ensemble des périmètres de la Bounamoussa jusqu'à Ain Temouchent et particulièrement les plaines de la Mitidja, de Chlef et de Mascara.

La surconsommation de l'eau a débuté avec l'extension des superficies irriguées et la généralisation de l'aspersion dans les années 1970. L'Algérie a réalisé un nombre important de barrages. L'eau retenue s'est faite au détriment des nappes, et cette eau est destinée, en premier lieu aux villes. Pour l'agriculture, la dotation se fait par décision avec des volumes déterminés. Le plus souvent ces dotations arrivent en retard. Le constat effectué au mois d'octobre, montre un déficit important au niveau des barrages où, souvent la cote d'alerte est dépassée. Cet état est annuel, il est moins préoccupant en bonne année pluviométrique. Mais il faut se l'avouer, la crise de l'eau est perceptible et, elle s'installe lentement. Tout ceci nous ramène à la conclusion qu'on essaie d'éviter : C'est que la dotation annuelle en eau ne suffit plus. L'offre annuelle en pluie est inférieure à la demande et, il y a bien longtemps qu'on avait commencé à puiser de nos réserves millénaires. Aujourd'hui, personne n'est en mesure d'évaluer les niveaux de consommation des nappes et le plus préoccupant, qu'en reste-t-il et pour combien de temps ?

L'état le plus plausible est que la pluviométrie sera de plus en plus irrégulière et qu'il est difficile de trouver l'eau. Il faut aller en profondeur avec comme conséquence la disparition des sources et le tarissement des puits. Pour rappel l'exode est dû au manque d'eau avec la disparition du cheptel et le dessèchement des arbres.

Nous sommes un pays aride pour le peu d'eau dont nous disposons. Il faut avoir le courage de le dire, nous avons une agriculture sensible et fragile et nous sommes en pleine insécurité alimentaire. La couverture de nos besoins est de 40%, toutes cultures confondues. Cet état est dû à un climat capricieux avec des paramètres climatiques extrémistes. De sa mise en place à sa récolte, la culture est malmenée et à chaque étape ses paramètres de rendement sont touchés. L'eau reste l'élément défaillant de l'agriculture algérienne.

Par groupe de cultures : Les cultures saisonnières (cultures maraichères), nous connaissons une autosuffisance, mais il y a une faiblesse de consommation, la réticence sur les légumes est un fait avéré. Nous n'avons pas une large gamme de légumes encore moins de variétés. La phobie est manifeste chez les jeunes avec la complaisance des parents.

L'arboriculture fruitière: La production est diversifiée, mais ce sont des produits de luxe pour leur prix. Le dicton, les pommes pour les malades, s'est généralisé pour tous les fruits. Les cultures annuelles : les céréales, les légumineuses alimentaires, les fourrages, le déficit est alarmant là où l'eau a un rôle prépondérant.

Un autre paramètre climatique accentue le stress hydrique, il s'agit de l'évapotranspiration. A partir d'avril, la demande climatique est importante à cause de l'élévation des températures. L'evapotranspiration calculée à la station ITGC de Khemis peut atteindre les 3 mm/jour au mois de mai. Une quantité de 150 mm est évaporée durant la période estivale. Pour l'ensemble des plans d'eau en Algérie, les pertes par évaporation sont importantes. Une estimation montre une quantité d'un demi barrage est évaporée annuellement.

L'AVENIR

Nous sommes en plein développement socio-économique et la demande en eau va augmenter, mais l'offre suivra-t-elle ? Peut-on avoir un surplus en produits agricoles ? Assez d'eau pour la population et l'agriculture ? La réalité est que le déficit s'accentue et la croissance agricole ne rivalisera pas avec l'essor socio-économique. L'Algérie avancera mais avec un fardeau qui est la dépendance de l'extérieur en produits agricoles et ceci bridera son énergie. L'agriculture sera toujours sous la pression climatique où l'eau est son talon d'Achille. Même l'irrigation ne sera pas efficiente en quantité et en qualité. Cet état hypothèquera la relance de nouvelles cultures dont les avancées sont encourageantes mais fragiles. Aucune réponse n'est rassurante à ces questionnements, tel est notre avenir.

LA VALORISATION DE L'EAU

Des quantités importantes sont évaporées annuellement au niveau des plans d'eau. Peut-on réduire ces pertes ? Je pense qu'il y a des possibilités. Une réflexion s'impose pour atténuer ces pertes. Toutes les techniques sont recevables et peuvent être adoptées. L'aspersion n'est guère efficiente et les abus dépassent l'entendement. Le ?goutte à goutte' sera une obligation. L'aspersion sera réservée au bersim, la luzerne et degré moindre le mais et le sorgho sans exclure les céréales.

Les stations d'épuration, les réalisations sont encourageantes, mais elles restent très insuffisantes. Des mini-stations seront très efficientes où la capacité varie entre 500 et 1000 m³/jour. Il y va de soi, que le nombre sera important, l'objectif est d'arriver à des normes et cela permet de récupérer des quantités importantes. Une mini-station dans un village est aussi importante qu'un centre de santé, une annexe administrative ou sportive. Ces stations peuvent générer d'autres activités, tels que le recyclage, la confection de matière organique, le compost avec les ordures ménagères et les déchets solides. Ces engrais enrichissent les sols. Faut-il le rappeler que nos sols sont squelettiques très pauvres en matière organique. Ces apports améliorent la structure du sol et augmentent son taux d'humidité et par-delà sa capacité de rétention. C'est de la transformation, reconnue comme activités économiques qui entre en droite ligne dans la préservation de l'environnement encouragée par l'état.

L'eau récupérée, moyennant un traitement supplémentaire, il est possible de réaliser des piscines de quartier de 500 m³ où les jeunots peuvent s'amuser de mai à septembre, au niveau des établissements scolaires, avec une nouvelle discipline sportive. Des centres de rééducation fonctionnelle et même des compétitions sportives. Faut-il le rappeler que la natation est un sport complet. Tout ceci peut engendrer une dynamique économique et pourquoi pas des champions des villes et villages de l'intérieur. Cette eau peut être utilisée dans le nettoyage de la ville, des espaces verts et l'embellissement de la cité. Il est possible de récupérer 1 million de m³/ jour d'ici 8 ans. Pour rappel, certains pays européens sont à 80% de récupération des eaux usées. L'Algérie a entamé le dessalement de l'eau de mer pour combler le déficit en AEP. Malgré l'effort, l'écart s'agrandit. L'approche, en elle-même, est sans horizons, où l'agriculture n'est pas inscrite dans la démarche. L'effort se concentre sur les villes côtières et du sublittoral. Le citadin a besoin d'eau pour lui-même, mais le rural, pour ses besoins propres, mais aussi, pour son animal de trait, sa vache, sa brebis, son jardin potager et ses quelques arbres. Et le peu d'eau qu'il a, il est obligé d'aller le chercher. Sans eau, le monde rural se videra pour constituer les bidonvilles. Le monde rural est le ventre mou de l'Algérie. Aujourd'hui, il n'y a pas de projection, et même pas d'idées concrètes pour limiter ou atténuer les effets des paramètres climatiques particulièrement l'eau. Nous assistons à des débats qui éludent le manque d'eau et continuons à prôner la rationalité, la gestion et à pérorer une stratégie de gestion de l'eau. Il faut se le dire, il n'y aura pas assez d'eau et l'avenir sera sec. L'aridité sera le paysage de l'Algérie. Et le seul et unique moyen de l'éviter c'est de produire l'eau et à des quantités très importantes. Ce que je vais présenter tend à combler le déficit, reconstituer les réserves, sécuriser la production et augmenter les superficies irriguées. A quoi bon se targuer d'avoir un pays continent, alors qu'on n'arrive pas à irriguer 2 millions d'hectares. C'est un déni que de continuer à deviser sur le stress et de proposer les moyens d'en atténuer les effets.

Toutes les villes du littoral doivent être alimentées à partir des stations de dessalement de l'eau de mer. Les villes du sublittoral, Guelma, Constantine, Sétif, BBA, Bouira, Blida, Khemis, Chlef, Mascara, Relizane, SBA, Tlemcen, et Temouchent ; C'est 80% de la population de l'Algérie et 80% de la consommation en eau. Ces villes sont situées sur des périmètres. Ces 30 dernières années elles ont perdu 40% de leur superficie irriguée. Elles doivent être alimentées à 70% des stations de dessalement. Pour se faire, il faut, pas moins de 200 stations de dessalement d'eau de mer le long de la côte d'est en ouest. L'eau sera déversée sur le flanc sud des montagnes du littoral. L'eau connaît son chemin millénaire. Cette eau va alimenter les nappes. Avec des colorants, on peut suivre l'évolution, le débit, la direction, etc. La résurgence des sources, le niveau des puits et des forages constituent des repères de l'évolution du niveau des nappes. Il est possible d'établir des cartes des réseaux des eaux souterraines. Mais le principal indicateur, sera l'écoulement des oueds. La présence d'eau, en été, nous indique que l'équilibre macro hydraulique est atteint. A ce niveau, les barrages se remplissent vite et la pluie harmonise les niveaux d'eau. L'irrigation devient une opération courante. Ces stations de dessalement sont un investissement dont les retombées économiques sont inestimables. L'eau est le nerf de l'économie et l'agriculture en est le moteur. De grâce, éviter le comment, le pourquoi et le quand ? Le plus important reste la production de l'eau, ce n'est pas pour un mandat présidentiel, mais un travail d'une génération. La production de l'eau sera notre raison d'être. Une fois les réserves reconstituées, toutes les contraintes de l'utilisation de l'eau seront levées. Il s'agit uniquement d'orienter, de booster et d'accompagner la lancée et d'apurer l'environnement agricole. Les pratiques ancestrales disparaitront.

La disponibilité de l'eau doit s'accompagner de transferts vers les plaines intérieures et les Hauts plateaux pour une jonction avec la steppe. Ce n'est plus l'assolement biennal céréales jachère ou le système agropastoral, mais la polyculture ; céréales, fourrages, légumineuses alimentaires et, culture maraichères ; tout ça s'accompagnera de production animale, et l'agro-industrie sera le catalyseur. Le comment de la chose : J'ai en mémoire un article.. Dans les années 70, le patron de la firme Sony a exposé un désir à son staff : « Je veux écouter la musique en jouant au golf. On lui a créé le lecteur de cassette qui est devenu le CD baladeur puis le Multi Player. Chez nous, on fait appel à l'étranger, dans la mesure où, on est incapable de solutionner nos contraintes. C'est l'étranger qui nous a montré comment enfouir nos ordures avec un terme pompeux qui est le Centre d'Enfouissement Technique. La technique est une bêtise et les conséquences sont néfastes. Le c.e.t de Tipaza, en est l'exemple. La nappe de la Mitidja va s'enrichir de nouvelles molécules et de radicaux et de substances chimiques.

C'est à l'Etat de poser le problème d'en définir les termes de référence :

« Je veux réduire l'évaporation au niveau des barrages »

« Je veux produire 1 million de m³/ jour des stations d'épuration à l'échelle nationale à l'horizon 2030 ».

« Je veux une industrie de dessalement d'eau de mer et de transfert des eaux »

L'Etat est preneur de toute innovation, technique, process, etc. Ce sont des thèmes de recherche des Ecoles ; des Instituts, des Universités. Ces thèmes, faut-il le rappeler, sont en ancrage dans nos réalités socio-économiques, et la survie de l'institution est conditionnée par les résultats. A l'horizon 2040, l'Algérie peut disposer de 20 millions d'ha irrigables, la jachère sera bannie. 4 millions ha de céréales irrigués avec une production moyenne de 40 qx/ha. 100 millions de qx pour les 50 millions d'Algériens, 20 millions de qx pour la production animale et 10 millions pour la balance commerciale. 4 millions ha de fourrages irrigués, c'est au-delà des besoins pour le lait. 3 millions ha de fourrages en sec et de pâturage (sans la steppe). 20 millions d'ha d'oliviers dont 10 millions vont remplacer Hassi Messaoud. 4 millions ha de cultures assolées dont les cultures industrielles. Et 3 millions ha de cultures pérennes.

La production de l'eau est un challenge, il suffit de l'entreprendre et de 1e mettre sur rails. C'est le gage de notre avenir. Nous sommes à la veille d'un bouleversement mondial avec des règles impersonnelles. Où toutes les relations vont s'effilocher. La richesse se mesurera aux réserves en or, les relations, à l'efficacité des services, la force, au potentiel agricole et la position à l'adoption de l'angélique et diabolique intelligence artificielle. Tout le reste fera partie du package socio culturel.

* Expert agricole. Ex-directeur, ITGC Khemis