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Managers de joueurs en Algérie: Un métier pour desservir le football

par M. Zeggai

«Notre vie commence à s'arrêter le         jour où nous gardons le silence sur des choses graves», a-t-on coutume de dire. Aujourd'hui, l'argent est en train de tuer le football en Algérie, détruisant les futures générations avec notamment cette nouvelle race de pseudo-managers. L'argent, toujours l'argent et rien que l'argent, tel est la devise des intermédiaires de joueurs avec la complicité, il faut l'avouer, des présidents de club. Tout est basé et calculé seulement sur l'intérêt personnel sans pour autant prendre en considération l'aspect sportif. En un mot, notre sport-roi est devenu source de gains faciles avec l'argent des pouvoirs publics, distribué à coups de milliards mais sans aucun contrôle de l'Etat. De nombreux joueurs et clubs ont été arnaqués avec le consentement, bien sûr, des dirigeants moyennant un pourcentage dans les transactions sans prendre en considération la déperdition de jeunes talents. Où va l'argent du football ? Les managers algériens protègent-ils réellement leurs joueurs ? L'aspect sportif est-il aussi important que l'argent ? Combien y a-t-il de managers en Algérie exerçant dans les normes ? Ont-ils des connaissances juridiques générales ? Autopsie d'une situation qui continue de nuire au football algérien. N'importe qui est devenu agent de joueurs : supporters, journalistes, dirigeants, présidents de club et même certains membres des structures de football et autres intrus. Pourtant, la FIFA interdit formellement aux joueurs et aux clubs d'avoir recours aux services d'agents non agréés.

D'où vient l'argent des transactions ?

Les managers perçoivent leurs commissions des deniers publics et les présidents des clubs payent avec l'argent des subventions étatiques qui sont pourtant conçues pour l'investissement. Pour mettre fin à cette mascarade, la justice est appelée à frapper d'une main de fer pour, d'abord, mettre fin à la dilapidation des deniers publics et, ensuite, gagner la confiance du public algérien qui assiste à la mort lente du sport-roi et la déperdition de nombreuses générations de footballeurs. L'un des problèmes les plus récurrents demeure le gaspillage des subventions de l'Etat par cette nouvelle race de dirigeants et autres responsables des structures du football qui se permettent tout, en l'absence de contrôle de l'Etat. Au fait, comment est calculée la commission du manager qui représente généralement 10% du montant du transfert ou de la prime à la signature ? En Algérie, cette profession n'est ni réglementée ni en conformité avec le professionnalisme, ce qui explique cette confusion. Sur quels critères se base-t-on pour recruter tel ou tel joueur ? Comment procède-t-on pour évaluer la transaction ? Il est quasiment impossible de parler de projet sportif et de travail à long terme sachant que la majorité des présidents des clubs algériens préconisent l'instabilité technique pour préserver leurs postes. Dans un marché économique, la valeur marchande d'un objet est définie par la loi de l'offre et de la demande, et de nombreux outils permettent aux acteurs économiques d'évaluer cet objet. Chez nous, le marché du football a la particularité d'être asymétrique sans oublier l'incompétence dans la gestion des contrats qui a coûté la perte de centaines de milliards de centimes au Trésor auprès du Tribunal arbitral sportif de Lausanne. Combien de joueurs ont été impliqués dans des affaires douteuses et se trouvent aujourd'hui dans une impasse ? Le phénomène est devenu grave comme en témoigne le nombre de litiges des joueurs qui dépasse, selon notre source, 300 cas. Une situation dramatique dont les pseudo-managers ont une lourde responsabilité.

Les managers «vident» les clubs algériens

L'une des premières conséquences, la Ligue 1 a subi une importante saignée à la fin de la saison 2020-2021, avec un exode massif des meilleurs joueurs à l'étranger, notamment en Tunisie. Certains justifient ce phénomène par la crise financière et l'instabilité des clubs algériens. Plus d'une vingtaine de joueurs des différents clubs de l'élite ont préféré monnayer leur talent en dehors du pays. Cette remarque ne concerne pas le Paradou AC dont la politique est basée sur la formation pour les exporter en contrepartie de gros bénéfices. Contrairement aux autres clubs qui n'arrivent plus à convaincre même leurs meilleurs joueurs. C'est le cas du CRB, avec son meilleur joueur, Amir Sayoud, qui a opté pour un club saoudien, ou encore la JSK qui a perdu Bencherifa, Hamroune et Souyad pour des clubs marocains et égyptiens. Si certains ont préféré changer d'air afin d'améliorer leurs performances, la plupart fuient un championnat «fantôme» à la recherche d'une stabilité et assurance financière. C'est ce qui explique le nombre important de joueurs partis en Tunisie. Là, ouvrons une parenthèse pour dire qu'en plus des managers, certains présidents de club se sont transformés en «serviteurs» de clubs tunisiens moyennant une commission. Un véritable cercle mafieux qui s'annonce compliqué à maîtriser. Pour rappel, Benyoucef (ex-JSK) s'est engagé avec l'ES Sahel devenant le troisième joueur algérien à rejoindre la formation phare de Sousse cet été, après Masmoudi (ex-MCO) et Laouafi (ex-ESS). Mekideche (JSK), lui, a préféré Hammam Lif, alors que Lamara (ex-MCA) le Club africain. Amokrane (ex-CSC) et Addadi (ex-MCA) ont mis le cap sur l'US Monastir au moment où Nekkache (ex-MCO) et Raïah (ex-JSK) ont signé au CS Sfax, alors que Nekrouf (ex-RCR) et Hamia (ex-ASAM) ont rejoint l'US Chebbah. D'autres ont préféré le Maroc tels que Bencherifa (ex-JSK) et Zaâlani (ex-CSC) à l'OC Khourigba ainsi que Souyed au MC Oujda. Hamroune (ex-JSK) a signé chez le promu égyptien, Pharco FC. Nous avons même eu droit à des destinations inattendues comme l'Irak, à l'image de Touil (ex-WAT), recruté par le club de Zaoura au moment où on vient d'apprendre que Ramdani Moussa (ex-SKAF) est parti tenter une aventure à Oman. A notre avis, deux facteurs ont provoqué ce phénomène de départ massif des joueurs vers l'étranger cette saison plus que les précédentes. C'est cette instabilité des clubs et le mode de gestion de certains dirigeants, qui ont fait fuir les joueurs, arnaqués par les fausses promesses de ces mêmes managers pour être ensuite dépendants d'une décision de la CNRL.

Le gain au détriment de l'aspect sportif

L'une des causes essentielles de ce désordre et déséquilibre financier entre les clubs algériens, est sans doute l'invasion des managers de joueurs. Entre affairisme et parfaite illégalité, c'est le football algérien et les jeunes joueurs qui ont sont victimes devant le silence total des instances du football. Les responsables de cette situation sont encouragés par l'absence de contrôle des deniers publics. Ne dit-on pas : «Quand on contrôle l'argent, on contrôle les hommes» ? Exemple, des managers ayant contribué au recrutement d'avant-saison 2020/2021 ont incité leurs «poulains» de déposer leurs contrats à la CNRL pour avoir la libération automatique afin de les acheminer vers d'autres clubs. Dans les deux cas, ces managers bénéficient d'une double commission de transfert de leurs «joueurs». Où est passé l'intérêt du club ? La situation est tellement confuse qu'il est très difficile d'y remédier étant donné que certains entraîneurs, insatisfaits de leurs mensualités, se sont transformés eux aussi en managers. Bizarre, n'est-ce pas ? Car, on voudrait bien savoir comment se sont opérées les dernières transactions des joueurs vers l'étranger. Là, la présence douteuse d'intermédiaires de joueurs «fantômes» pourrait déboucher encore sur d'autres conséquences. Le plus grave est que ces managers n'ont pas épargné les jeunes joueurs en exigeant une commission aux parents pour «placer» leurs enfants dans l'une des académies ou autres clubs. Cela suscite certaines dérisions dans la mesure où l'agent promet monts et merveilles à l'adolescent et à ses parents, leur faisant prendre dans la plupart du temps des choix souvent difficiles.

Agents et joueurs surcotés

Dans le football algérien, où le rapport valeur-prix n'est pas en conformité avec la réalité du terrain, l'argent coule à flots dans tous les sens. Les dirigeants, désireux d'engager les présumés meilleurs acteurs, se livrent à une furieuse surenchère qui plombe les caisses des clubs, vivant très au-dessus de leurs moyens, et ce, malgré les mannes financières étatiques versées à cadences régulières. En un mot, une réforme profonde s'impose. Cela signifie que des mesures draconiennes doivent être prises par les autorités chargées du sport pour essayer de sauver ce qui peut l'être. Il y va de l'intérêt de la jeunesse algérienne. Les responsables concernés doivent tenir leur responsabilité quant à l'homologation des contrats en respectant les propres règlements de la Fédération. Le moment de laisser passer certaines entraves, pour ne pas dire fermer les yeux, sur de telles irrégularités, est banni. Car, les mobiles de ce que l'on peut appeler grave manquement à leurs obligations et devoirs portent de graves préjudices au football algérien. Cette situation a fini par entraîner des scandales à la pelle, mais ni la LFP, ni encore plus la FAF refusent, on ne sait pour quelle raison, de mettre en place des structures et autres mécanismes nécessaires pour maîtriser la situation qui n'arrange guère les affaires du football national. Pourtant, dans le milieu footballistique algérien, il existe bel et bien de jeunes compétences et spécialistes ayant une assez grande connaissance des enjeux juridiques pour gérer les enjeux d'un contrat. Mais ceux-là sont bloqués par la fameuse souveraineté des assemblées générales. Le plus dramatique est que certains managers sont soupçonnés d'arrangement de matches en utilisant leurs «poulains». Encore plus, ils imposent leurs joueurs pour bénéficier d'un temps de jeu assez conséquent afin de les exposer à la vente. Les exemples ne manquent pas. En somme, le brillantissime de la sélection nationale et sa remarquable série d'invincibilité, à un match d'égaler le record de la France, ne devraient pas constituer une aubaine pour instaurer la médiocrité et la confusion ou gouverner dans l'intérêt personnel. N'est pas donné à n'importe qui de devenir manager ou dirigeant de club, ceux qui sont affamés par le gain facile et non par la contribution du football algérien. Au contraire, les acteurs du football algérien devraient s'inspirer du nationalisme, le sens du devoir, le dévouement et la volonté de réussir de Djamel Belmadi et de sa troupe. L'exploit actuel des Verts est une arme à double tranchant. Car, comme le dit un autre proverbe : «On ne naît pas vainqueur, on le devient».