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HIRAK'OSCOPE

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Hirak. Enjeux politiques et dynamiques sociales. Tome1-Histoire, reconnaissance et institutions. Insaniyat, Revue algérienne d'anthropologie et de sciences sociales. Crasc, Oran 2021, 24e année, n° 87, janvier-mars 2020, 128 pages (français), 31 pages (arabe), 350 dinars.



Tout d'abord, c'est Omar Carlier, lequel par sa contribution, porte sur une exploration dans l'histoire des luttes politiques et sociales de l'Algérie du 20e siècle... exploration obligée et nécessaire afin de mieux appréhender la complexité du mouvement du 22 février 2019.Pour lui, un mouvement qui cherche, cette fois, à en finir avec une « domination intérieure ».

Pour sa part, Hassan Remaoun qui cible en particulier deux des mots d'ordre affichés, ceux de Novembriya-Badissiya et de Dawla madaniya (Etat civil)... Il est question, bien sûr, des références au militaire, au religieux et à l'Etat, avec les enjeux que cela implique pour l'Algérie contemporaine.

Puis, la contribution de Karima Dirèche va porter sur la résurgence des mémoires de la violence politique dans un contexte de contestation sociale et de récupération de la liberté de parole. Une analyse à partir des photos et des slogans des manifestations.

Ensuite, Mansour Kedidir explique comment le mépris, pathologie du système politique algérien, a été l'une des causes de l'apparition du hirak dont les revendications essentielles ont porté sur la justice sociale et l'Etat de droit.

Enfin Mustapha Menouer analyse l' « absence de compromis » qui va conduire les deux acteurs principaux, le hirak et l'institution militaire, à une « confrontation pacifique »

Pour sa part, Khaoula Taleb Ibrahim (entretien avec Belkacem Benzenine, en arabe) apporte un éclairage sur les enjeux sociaux, culturels et politiques de l'usage des langues en Algérie ... inscrivant la question dans une optique plus large dépassant le cadre de l'opposition/cohabitation linguistique que connaît le pays depuis l'indépendance. Pour ce qui concerne le hirak et la participation des Algériens à l'action politique, elle aborde le rôle de l'élite intellectuelle et l'identité durant le mouvement contestataire

Les Auteurs : Omar Carlier, Hassan Remaoun, Karima Dirèche, Mansour Kedidir, Mustapha Menouer, Khaoula Taleb Ibrahimi (Entretien en arabe)

Sommaire : Editorial/Présentation/Entretien/Hirak : un mouvement sociopolitique inédit et inventif.../Référence à l'histoire et enjeux mémoriels.../Renouer avec l'histoire et apaiser ses violences.../Le hirak : les marches pour la « reconnaissance »/Algérie 2019-2020 : crise de légitimité et solutions légales/Résumés des articles (en français et en anglais, en arabe).

Extraits : « Les mots font l'histoire. Ils sont faits aussi par l'histoire. Mais celle-ci est faite par les hommes sans que ces derniers ne sachent l'histoire qu'ils font, laquelle est finalement interprétée autant qu'il est possible par les historiens, sinon « inventée » par eux, génération après génération » (Omar Carlier, p 13),

« Il (A.Bouteflika) occulte le citoyen et imagine le peuple comme un patient, un tout qui doit le suivre. Ce faisant, il n'admet pas les contradictions sociales et les luttes politiques qui sont le moteur de la démocratie. Si dans son discours écrit lu, il ne pouvait manifester sa perception dévalorisante du citoyen, il se laissa trahir dans ses digressions, en invectivant son auditoire » (Mansour Kedidir, p100), « En le déclarant « Moubarak » (béni), le président de la République Tebboune vient de le reconnaître en tant qu'acteur politique majeur dans l'espace public. A bien des égards, cette déclaration politique nous renseigne sur deux avancées. En actant un mouvement qui est en soi antisystème, elle atteste également qu'il a été là l'origine des changements politiques importants en Algérie » (Mansour Kedidir, p 107)).

Avis : Si les éditeurs commerciaux publient « à chaud » quand l'histoire s'emballe, l'Université et la recherche scientifique doivent prendre leur temps (pas trop, il est vrai !), car il faut d'abord et avant tout s'atteler à comprendre les ressorts de la dynamique politique et sociale dans la durée. Tous les travaux édités par ailleurs sont plus qu'utiles, mais ceux-ci sont des références... comme le Centre et la revue eux-mêmes.

Citations : « Le hirak n'a pas seulement la force du nombre, il a aussi celle de l'emprise territoriale. On ne peut le réduire à un fait algérois, ou à une expression régionale » (Omar Carlier, p 21), « Un petit mot (hirak) de rien, transformé en quelques semaines en fanion verbal, bientôt connu autour du monde, prenant part avec son efficacité propre à cette métamorphose... Plus qu'un label, ou une marque, le mot devient titre : un titre d'appartenance, et un titre pour l'action (Omar Carlier, p 43), « La reconnaissance est inhérente à la liberté de l'homme. C'est une quête fondamentale pour la dignité humaine... Dans les pays colonisés, la lutte pour la reconnaissance a pris la voie de la guerre de libération. Après l'indépendance nationale, cette question s'est posée en termes de droits et libertés de l'homme » (Mansour Kedidir, p 93).



Hirak. Enjeux politiques et dynamiques sociales. Tome 2- Discours et acteurs. Insaniyat, Revue algérienne d'anthropologie et de sciences sociales. Crasc, Oran 2021, 24e année, n° 88, avril-juin 2020, 160 pages (français), 32 pages (arabe), 350 dinars.



Tout d'abord, c'est Amar Mohand-Amer qui analyse la littérature politique consacrée au discours de réfutation et de déconstruction relatif à la dynamique politique et sociale induite par le mouvement. Liens et accointances avec des puissances, officines ou organismes extérieurs ? Unité et homogénéité dans la durée ? Les deux questions si habituelles à chaque perturbation du paysage politique nationale... depuis 62.

Pour Saïd Belguidoum, la mobilisation populaire est l'expression d'une profonde fracture au sein de la société entre de larges franges de la population (revendiquant un nouveau contrat social, une nouvelle société) et ses dirigeants (baignant dans un système néo-patrimonial).

La contribution de Aïcha Benamar porte, pour sa part, sur la présence des femmes dans le hirak... « qui semble s'inscrire dans la durée ».

Fatma Oussedik rend compte des enjeux historiques, sociaux et démographiques caractérisant la vie publique en Algérie et qui ont conduit au hirak... Et, la demande d'une reconstruction du récit national à partir de nouveaux paradigmes politiques et sociétaux avec pour fondements les idées de démocratie et de modernité. Karim Ouaras interroge les pratiques langagières et les discursivités émanant du hirak. Meriem Moussaoui s'appuie sur une approche sociolinguistique pour montrer comment la contestation se révèle à travers des mots appartenant à des langues différentes les unes des autres. Saphia Arezki, elle aussi, s'intéresse à l'usage des langues mais dans l'écriture des « post-it » à Alger.

Les Auteurs : Amar Mohand-Amer, Saïd Belguidoum, Aïcha Benamar, Fatma Oussedik, Karim Ouaras, Meriem Moussaoui, Saphia Arezki

Sommaire : Présentation/ Contester le hirak.../ Hirak et crise du système.../ Le hirak en Algérie : une lecture de la mobilisation féminine/ Le hirak : quelques réflexions sur les enjeux.../Le hirak : les ordres discursifs d'un mouvement en gestation/ Le hirak, la langue en mouvement/ De l'usage des langues dans l'écriture des post-it à Alger/ Comptes rendus de lecture/Lectures croisées/Notes de lecture/ Résumés des articles (en français et en anglais, en arabe).

Extraits : « La mobilisation populaire..., de par sa « diversité sociale, culturelle et sexuée » serait également parvenue à transformer et politiser l'espace public, façonner un contre-pouvoir politique et rompre avec l'état de « quiétude agitée », marque de fabrique de l'Algérie sous Abdelaziz Bouteflika » (Mebtoul et Belkaïd , cités par Amar Mohand-Amer, p 21), « La phase développementiste de l'Algérie des années 1970 a permis d'assoir le néo-patrimonialisme. La phase libérale lui permettra de se déployer et de faire naître une oligarchie, bourgeoisie affairiste qui bénéficiera du transfert du monopole de l'Etat sur des secteurs entiers de l'économie » (Saïd Belguidoum, p36), « L'usage des mots du hirak traduit la configuration réelle du fonctionnement des langues. L'arabe classique pour la référence, cultuelle et culturelle ; darija, la langue du quotidien. Le français, pour l'usage et le prestige, l'anglais pour la visibilité, le standard et le tamazight pour un usage plus limité aux régions berbérophones. Cette pluralité des voix permet aux hirakistes de briser le silence et à la société de s'exprimer, de se dire dans une langue qui est la leur » (Meriem Moussaoui, p 116)

Avis : Une expérience éditoriale originale qui a montré et démontré que le mouvement du 22 février est un véritable processus en flux continu... bien que la pandémie de la Covid 19 ait réduit relativement son action. Une expérience à élargir et à appliquer aux autres centres de recherche et aux autres revues... ainsi qu'à d'autres thèmes.

Citations : « Président omnipotent et omniprésent, très bon orateur, doté d'un fort charisme, Bouteflika se voudra comme monarque et, à ce titre, s'identifiera à l'Algérie » (Saïd Belguidoum, p 33), « C'est par l'action que la femme manifeste dans le hirak ce qui lui est spécifique : son être politique. Il y a action dans l'acte de prendre la parole sur la place publique, et il y a action dans le fait d'agir ou de poser des actes en présence des autres » (Aïcha Benamar, p 57), « Le hirak s'est pensé comme un « moment de la Nation ». Les manifestants ont inscrit leur combat dans un récit national en ayant recours à des figures emblématiques de la Guerre de libération nationale (....).C'est un choix clair et assumé d'un récit national aux antipodes de l'histoire officielle, commémorative et désincarnée » (Fatma Oussedik, p 75).