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LE MIROITEMENT DES GOURDINS

par Abdou BENABBOU

Il était temps que les autorités publiques réagissent contre l'énormité d'un problème qui effaçait frontalement la présence de l'Etat et le symbole du minimum de ce qu'il était censé représenter. Oran vient de s'attaquer à un proxénétisme d'un genre particulier auquel tous les automobilistes ne pouvaient échapper. Des loubards à l'air libre étaient devenus les seigneurs des rues et des boulevards et exigeaient rançons des voitures qui stationnaient au bord des trottoirs et se pliaient en sus, parfois de mauvais gré, aux insultes et aux réprimandes des plus recherchées. Il ne fallait pas plus que ce racket organisé par des forts à bras de parkingueurs pour que n'importe lequel des conducteurs d'automobile soit convaincu que l'Etat est absent.

De fait, les grands efforts que déploient les gouvernants pour donner une image positive à leur gouvernance conforme à la dorure de celle de la citoyenneté aujourd'hui délabrée, se voient ternis et se perdent avec une outrance criarde dans les rigoles des bouches d'égout.

Cette énorme perte de change dont sont victimes l'Etat et la population répond à un état d'esprit et une culture généralisée de plus en plus prégnants donnant à l'effort et au travail un sens allotropique dépravé. La signification de l'espace public sauvagement ternie par l'absence de honte et de pudeur a vite fait d'enterrer la teneur de la propriété privée pour donner naissance à un magistral amalgame entre ce qui est dû et ce qui est donné. La mendicité anoblie est en passe de se transformer en activité rémunérée et ce qui a été gagné par les uns avec effort et sueur doit obligatoirement être partagé avec ceux qui ont choisi l'aisance du métier de harponner.

La culture de la rente a fait des dégâts incommensurables au point de graver l'agressivité dans tous les domaines pour que la propriété des uns soit aussi forcément celle des autres. L'espace commun pour l'heure si embrouillé s'est transformé en bien privé. Son partage est rythmé par le miroitement des gourdins où l'Etat, en fermant les yeux, y a perdu son âme.