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Quelques réflexions à propos de l'Euro 2020-21

par Paris : Akram Belkaïd

L'Euro de football est donc terminé et il nous aura gratifié de quelques bons moments qui nous ont permis d'oublier (un peu) les difficultés du moment. Une telle compétition, toujours relevée sur le plan tactique, permet de prendre la mesure des évolutions récentes du football. Elle offre aussi de bons repères par rapport à la suite, notamment la Coupe du monde qui aura lieu au Qatar en novembre et décembre 2022. Avec la victoire de l'Italie aux tirs aux buts contre l'Angleterre, une première conclusion s'impose. Le « non-jeu » a enfin perdu. Je m'explique.

La victoire du Portugal à l'Euro 2016 et celle de la France à la Coupe du monde 2018 ont imposé l'idée générale qu'une équipe peut l'emporter en abandonnant la maîtrise du ballon à son adversaire tout en attendant le bon moment pour frapper avec un ou (plus rarement) deux attaquants de valeur.

Le match entre la France et la Belgique (1-0 en demi-finale de la CM 2018) en a été la plus parfaite des illustrations. La rencontre qui reste encore en travers de la gorge des Belges a montré que possession ne rime pas forcément avec victoire tout comme, pour reprendre l'ancien adage, dominer n'est pas gagner. Le temps d'une Roja espagnole joueuse, gardant le ballon et construisant des attaques millimétrées semblait révolu.

Cette année, la défaite de la France face à la Suisse a cassé cette triste dynamique. La méthode Deschamps a ainsi fait un flop et c'est tant mieux. En finale, c'est une équipe italienne joueuse, capable d'aller vers l'avant, de multiplier les débordements et les passes verticales qui l'a emporté. Certes, il aurait pu en être autrement. L'Angleterre de Gareth Southgate ne s'est inclinée qu'au tirs aux buts. Elle aurait pu l'emporter et le « non-jeu » aurait encore eu de beaux jours devant lui.

Il y a un parallèle à faire entre la France et l'Angleterre. Voilà deux équipes avec un effectif incroyable, des joueurs offensifs de talent mais qui offrent au spectateur un affligeant jeu fermé, avec des « blocs bien en place » pour reprendre une expression qui en dit long sur le manque de beauté de ce jeu. Verrouiller, coulisser, et attendre la faute de l'autre pour le punir. Tant que ces équipes gagnent, on ne peut rien dire mais quand elles perdent, il serait dommage de retenir ses critiques. Deschamps comme Southgate ont gaspillé de belles ressources en ne jouant pas de manière offensive. On dira que cela ne veut pas dire qu'ils auraient gagné, ce qui est vrai. Mais, le bilan est sans appel : jeu mièvre, minimaliste et, in fine, la défaite.

Un autre constat à tirer de cette compéti-tion est la confirmation de la disparition progressive de certains profils. On déplorait la fin du numéro 10, créateur et offensif, on commence à se rendre compte que les vrais avant-centres disparaissent peu à peu. La faute à l'Espagne de 2010 et 2012 qui a montré que l'on pouvait gagner des compétitions sans vrais titulaires à ce poste. La faute à Pep Guardiola, l'entraîneur gourou, pour qui la meilleure composition possible d'une équipe passe par une majorité de milieux de terrains capables de jouer à tous les postes et d'être interchangeables. En somme, des robots.

Disparaissent aussi les arrières capables de déborder et de centrer correctement. Tous les matchs ou presque ont offert la même scène. Un arrière monte, se rapproche, balle au pied, de la surface adverse et là, que fait-il face au bloc défensif ? Essaie-t-il de déborder ? Non, il remise vers l'arrière comme s'il jouait au hand-ball.

Et ainsi le ballon va de la droite vers la gauche et inversement. Ce genre de stratégie peut marcher quand on a un Iniesta ou un Messi capable de délivrer une passe millimétrée à travers les espaces. Mais quand on ne possède pas ce genre de joueur, on en est réduit à faire circuler le ballon sans créer le danger.

Beaucoup de joueurs rechignent aussi à tirer de loin. Beaucoup en sont capables mais l'explication de cette réticence vient aussi de l'époque que nous vivons.

Avant l'avènement d'Internet et de ses réseaux sociaux, un tir qui dévisse avec un ballon qui atterrit dans les tribunes supérieures faisait rire les spectateurs présents, quelques quolibets pleuvaient puis l'on passait à autre chose.

Aujourd'hui, la séquence tournera en boucle et les intéressés, très attentifs à leur image ? observez le nombre de joueurs qui s'observent dans le grand écran pendant la rencontre -, le savent. Résultat, ils ne prennent pas de risque et cela affecte le jeu.

Enfin, tout le monde aura relevé qu'aucune équipe n'a échappé aux blessures. Bien sûr, il y a cette satanée pandémie qui dérègle tout. Mais les saisons sont de toute évidence trop longues. Arriver au seuil d'une compétition comme l'Euro avec plus de soixante matchs dans les jambes est une hérésie. L'UEFA qui ne pense qu'à l'argent devrait y réfléchir au nom de la santé des joueurs et de la qualité du jeu.

Le message n'est pas entendu. Pour 2028, l'UEFA envisage une compétition à 32 équipes contre 24 aujourd'hui et sur un total de 55 membres. Qui sait, des robots auront peut-être pris la place des joueurs à ce moment-là...