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De la mémoire outragée et des néo-révisionnistes de l'Histoire

par El-Houari Dilmi

Pied de nez pathétique: il y a 67 ans, le groupe historique des 22 décidait du déclenchement de la Révolution du 1er Novembre. A moins qu'il s'agisse d'un canular de mauvais goût pour divertir le peuple, le «révisionnisme» historique est de retour, comme une autre tentative désespérée de pyromanes professionnels, dont le sale boulot est de provoquer un gigantesque incendie qui risque de réduire tout le pays en cendres fumantes... Des attaques frontales contre des symboles de l'Etat algérien, dont la mémoire est outrageusement profanée, jusqu'à cette odieuse goujaterie à l'égard du président de la république commise par cet ancien ministre et pseudo-bénabiste, une atmosphère aussi viciée que dangereuse plane sur le pays. Comme si l'Algérie ne se suffisait pas des coups de Jarnac dirigés contre elle de l'extérieur d'abord, voici que ses «propres enfants» s'emparent de couteaux mal affûtés pour lui planter d'autres coups traîtres dans le dos. Et si, par un pathétique fou rire de l'Histoire, les chouhada décidaient de revenir dans le froid giron de leurs survivants, juste pour voir comment va le pays, laissé derrière (ou devant !) eux il y a 60 ans ! Regroupés en un tribunal populaire grandeur nature, les chouhada seront assis au milieu d'une immense place publique, avec pour box des accusés une arène grande comme la largeur du pays.

Avant de revenir à leur juste sommeil, les chouhada auront à cœur de trouver réponse à leurs vieilles questions laissées en fermentation depuis leur départ, sacrifiés qu'ils ont été sur l'autel de la liberté recouvrée du pays.

Des questions, ceux qui sont morts pour que les autres respirent la vie à pleins poumons sur une terre gavée de terreau rouge, ils en poseront une foultitude, mais sans forcément tomber sur la vérité qui soit bonne à dire... Le pays retrouvé transformé en un gigantesque théâtre des paradoxes, les chouhada voudront savoir pourquoi les hommes nés libres se retrouvent aujourd'hui à courir à perdre haleine après un destin? hors de portée, qu'un limaçon gâcherait toute une vie à tenter de rattraper une gazelle, chevauchant le vent en plein désert ? Pourquoi alors ceux qui se sont «réveillés» de la longue nuit coloniale sont déprimés de voir la vie perdre de ses couleurs et les plus jeunes rêver, à l'état éveillé, d'une vie meilleure mais ailleurs ? Les chouhada voudront surtout savoir comment a vécu le peuple entre le lever et le coucher du soleil de la liberté, puis survécu jusqu'à la mort de l'homme moustachu, avant de roupiller sur ses lauriers piégés jusqu'à la tombée du Mur de Berlin et rentrer les pieds devant dans un tunnel si noir que le faisceau de lumière paraît encore si loin devant.

Debout comme un I majuscule face au peuple pris d'une insatiable soif de vérité, ils demanderont à savoir pourquoi un pays qui engloutit chaque année la moitié de sa fortune nationale dans la «décérébration» de ses enfants, se retrouve, soixante ans plus tard, avec dix millions de «sans-le-savoir» sur les bras ? Pourquoi notre dinar national, symbole «surpassé» de la souveraineté chèrement payée du pays, n'a ni le même prix ni la même valeur aux yeux de ceux qui en usent et en thésaurisent ? Pourquoi le peuple des petites gens a aujourd'hui cette grosse arête qui lui déchire la gorge : aimer la patrie jusqu'à se faire hara-kiri et continuer à la «jarnacquer» dans le dos, en enfouissant sa tête dans le sable mouvant de nos hypocrisies notoires ? Par un terrible retour de manivelle de l'Histoire, et avant de partir rejoindre leurs paisibles demeures, les chouhada rendront leur verdict (juste et sans possibilité d'appel) en regardant sans sourciller le peuple droit dans les yeux.

Accroupi face au soleil, le chef du tribunal des chouhada prononcera sa sentence, voulue comme la dernière prière des morts : «Nous les martyrs, devons choisir d'être oubliés, raillés ou utilisés. Quant à être compris, jamais !».