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Vente à découvert, petit risque, gros gains (mais pas toujours)

par Akram Belkaïd, Paris

Un scénario digne d’un film mais où le héros ne serait pas un golden boy flamboyant mais une foule de petits porteurs décidés à faire mordre la poussière à de grands noms de Wall Street. C’est ce qui vient de se passer aux Etats-Unis avec l’épisode GameStop qui fera date et qui illustre les pratiques habituelles des marchés boursiers. Notamment le « short selling », c’est-à-dire la vente à découverte. Explications.

Emprunter et vendre

La pratique est simple. Si l’on est persuadé qu’une action va baisser -ou bien encore, si on cherche à la faire baisser-, on peut avoir recours à une stratégie très répandue. Imaginons que sa valeur soit de 100 dollars. On peut emprunter une action (à un autre fonds, un détenteur de titre, une banque d’affaires) pour un « loyer » de 2 dollars mais en s’engageant à la restituer à une date précise (à trois mois, par exemple). Ensuite, cette action empruntée sera immédiatement vendue sur le marché à sa valeur du moment (100 dollars, donc). Gain de l’opération : 100 - 2 = 98 dollars. Dans les semaines qui suivent, l’action sera rachetée à son nouveau cours (car il faut bien la rendre). Si, par exemple, le cours est de 40 dollars, le parieur aura réalisé une belle opération : 100 (gain à la vente) - 2 (loyer) - 40 (prix du rachat) = 58 dollars. Voilà comment on peut faire de l’argent avec ce que l’on ne possède pas. C’est le cœur même de la vente à découvert. On notera que pour mener ce genre d’action, il n’aura fallu que 2 dollars de mise de départ. Engager peu pour gagner beaucoup, cet « effet de levier » est la philosophie de base des marchés...

A l’automne dernier, l’action du groupe GameStop est à la dérive, ayant perdu dix fois sa valeur en moins de six ans. Possédant plusieurs chaînes de magasins de jeux électroniques, la société est alors confrontée à la montée en puissance du commerce en ligne. Pariant sur une poursuite de la dégringolade du titre, de nombreux fonds ont donc procédé à des ventes à découvert massives. En temps habituels, de telles stratégies entraînent une accélération de la baisse (en voyant les fonds jouer à la baisse, un investisseur prudent aura tendance à vendre par précaution). Mais, cette fois, les choses se sont passées autrement. De nombreux petits actionnaires, -deux millions au total- s’apercevant de la manœuvre, ont décidé de « sauver » GameStop. Comment ? En soutenant son cours, c’est-à-dire en achetant des actions de cette entreprise.

Le résultat est connu. L’action GameStop est passée de 20 à 400 dollars et les fonds spéculatifs ont d’ores et déjà perdu 70 milliards de dollars.

Comment ? Reprenons l’exemple de l’action à 100 dollars. Empruntée pour 2 dollars, elle n’a pas baissé et a, au contraire, progressé atteignant 200 dollars. L’opération est simple : 100 (prix de la revente immédiate) - 2 (coût du prêt) - 200 (somme déboursée pour rendre l’action) = 102 dollars de perte pour le fonds. Dans ce cas de figure, dit « short squeeze », le fonds a intérêt à se dépêcher de racheter l’action car sa perte peut être bien plus importante au cas où le cours continue d’augmenter. Dans le cas de GameStop, des fonds espérant encore la baisse demeurent ainsi exposés et risquent donc de devoir débourser bien plus que ceux qui se sont vite retirés du jeu.

Un précédent historique

L’épisode fera date, car les réseaux sociaux et les forums internet où les petits porteurs ont lancé le mouvement de rachat, démontrent que les grands fonds n’ont plus la primauté de la manœuvre (et de l’information).
En s’unissant, les « petits » ont démontré qu’ils pouvaient ébranler l’ordre habituel des choses où les grands fonds dictent la tendance. Mauvais joueurs, certains acteurs institutionnels de Wall Street réclament déjà que l’on interdise les opérations boursières concertées sur Internet, un peu comme si la spéculation n’appartenait qu’à eux seuls.