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Investiture de Biden aujourd'hui: Une cérémonie sous haute surveillance

par R.N.

Le centre-ville de Washington avait des allures de camp retranché, à la veille de la cérémonie d'investiture sous haute surveillance du président élu américain Joe Biden, qui a de nouveau appelé à l'unification d'un pays divisé. Des milliers de soldats de la Garde nationale, l'armée de réserve, ont déjà été déployés, et ils seront jusqu'à 25.000, ce mercredi dans la capitale, pour protéger une large "zone rouge" allant du Capitole, où Joe Biden et Kamala Harris prêteront serment mercredi, à la Maison Blanche. L'immense esplanade du "National Mall", où des milliers d'Américains se pressent tous les quatre ans pour assister à la cérémonie, est elle aussi cadenassée. Dans la capitale, des militaires en armes et des policiers stationnés devant des véhicules blindés ont remplacé les badauds et la circulation dans des rues bloquées par des blocs de béton. Au moins deux civils armés ont été arrêtés ces derniers jours aux abords de la "zone rouge".

La ville reste traumatisée par l'assaut meurtrier sur le Capitole, le 6 janvier, quand des centaines de partisans de Donald Trump avaient envahi le siège du Congrès pour tenter d'invalider la victoire de l'ancien vice-président de Barack Obama. Le président sortant, qui avait appelé ses supporteurs à marcher sur le Capitole, a été mis en accusation pour "incitation à l'insurrection" et son procès en destitution pourrait s'ouvrir au Sénat peu après l'investiture de son successeur. Depuis le 6 janvier, près de 70 manifestants ont été inculpés pour avoir participé aux violences et des centaines de personnes font l'objet d'une enquête. Parmi eux, des élus et des membres anciens ou actifs des forces de l'ordre.

Afin de s'assurer que les Gardes nationaux ne présentent aucun risque pour la sécurité, le FBI a annoncé contrôler les antécédents des réservistes qui seront déployés ce mercredi. "Nous voulons nous assurer que nous avons les bonnes personnes au sein de la bulle" qui protègera le président et la vice-présidente, a expliqué sur Fox News le général William Walker, chef de la Garde nationale de Washington. Le ministre de la Défense par intérim, Christopher Miller, a toutefois souligné qu'il n'existait jusqu'ici "aucune information sur une menace de l'intérieur".

Cérémonie exceptionnelle

La cérémonie d'investiture sera exceptionnelle à plus d'un titre: n'y assistera qu'un parterre limité d'invités et pas de public, en raison de la pandémie de coronavirus. Un champ de plus de 190.000 drapeaux a été planté sur le Mall pour représenter ce public absent. Donald Trump aura, lui, aura déjà quitté la Maison Blanche pour sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride. Il deviendra ainsi le premier président à refuser d'assister à la prestation de serment de son successeur depuis Andrew Johnson en 1869. Il quitte ses fonctions sur un ultime sondage défavorable, avec seulement 34% de bonnes opinions sur son action, un plus bas historique en quatre ans selon l'institut Gallup.

Une Amérique en crise

Joe Biden entre ce mercredi à la Maison Blanche, au moment où plus de 3.000 Américains meurent chaque jour du Covid, près d'un million s'inscrivent chaque semaine au chômage et des dizaines de millions doutent de sa légitimité. "Ce qui est unique pour Biden, ce n'est pas tant que le pays soit en crise, mais c'est le nombre de crises simultanées" qu'il aura à affronter dès les premiers jours de son mandat, relève la politologue Mary Stuckey de l'Université d'Etat de Pennsylvanie. Certaines, pandémie et récession, sont conjoncturelles et liées. D'autres, divisions politiques et raciales, ont leur logique propre et ancienne. Mais il faudra qu'il les affronte toutes, immédiatement, alors que le Sénat sera en partie occupé à juger Donald Trump pour "incitation à l'insurrection".

Jamais la situation sanitaire n'a été aussi grave depuis la grippe espagnole de 1918. Les Etats-Unis sont le pays le plus touché au monde par le Covid-19, avec 24 millions de cas et près de 400.000 morts. Et l'apparition du nouveau variant britannique fait craindre le pire. Les mesures de confinement adoptées pour endiguer la propagation du virus ont porté un coup d'arrêt brutal à l'économie qui, selon la banque centrale américaine (Fed), s'est contractée de 2,4% en 2020.

La dérive des Trumpistes

Après quatre ans d'une présidence prompte à dresser les Américains les uns contre les autres, la croisade post-électorale de Donald Trump a encore creusé le fossé. Sous prétexte de "fraudes", le républicain a refusé de concéder sa défaite. S'il a échoué à convaincre les tribunaux, il a semé le doute dans l'esprit de millions de ses supporteurs dont les plus ardents se sont lancés à l'assaut du Capitole le 6 janvier. "Les Etats-Unis n'ont pas connu une telle crise de légitimité politique depuis l'investiture d'Abraham Lincoln" en 1861, qui avait donné le coup d'envoi à la guerre de Sécession, relève David Farber, professeur d'histoire à l'université du Kansas. Accusé d'avoir encouragé ces violences, Donald Trump doit être jugé par le Sénat. "Cela va littéralement manger le temps dont Joe Biden a besoin" pour lancer ses chantiers, remarque M. Farber. Et si certains républicains ont finalement pris leurs distances avec l'impétueux milliardaire, "il va rester une force bruyante, peut-être pendant toute la présidence Biden, qui n'y pourra pas grand chose", ajoute l'historien. Le démocrate, qui a promis de "réconcilier l'Amérique", risque également de buter sur l'existence de "deux écosystèmes médiatiques différents qui offrent aux gens deux visions différentes du monde", selon la politologue Mary Stuckey.