
Depuis sa
tribune à l'occasion de la conférence nationale des start-up, le président de
la République a menacé de « tordre le cou » à ceux qui veulent «tirer l'Algérie
vers le bas». Il a même lancé, presque comme une supplication, « de ne pas
décourager les jeunes innovateurs, ceux avec lesquels nous voulons bâtir
l'Algérie de demain ». Mais un peu comme attendre un convive retardataire est
un manque d'égards pour tous ceux qui sont présents, le temps est tout ce qui
reste aux Algériens, lorsqu'ils auront tout perdu. D'une tragique vérité,
l'histoire qui suit a ceci de particulier qu'elle (dé) montre toute l'épaisseur
de la crise multidimensionnelle que nous vivons et l'étrange rapport que nous
avons avec le Temps. Un jeune investisseur algérien, après un exil douloureux
en terre germanique, décide de mettre son savoir-faire et son argent gagné à la
force du jarret, au service de son pays. Sauf que sous nos latitudes toutes
particulières, pour faire un pas en avant, il faut se résoudre d'abord à passer
par le «chemin tortueux» des trois pas en arrière. Titulaire d'un savoir-faire
avéré dans le domaine des nanotechnologies, l'homme malheureux me racontait, il
y a quelque temps, sa mésaventure à enseigner à l'école des échecs consommés :
«Savez-vous que j'ai commencé par déposer une demande auprès de qui de droit
pour obtenir une ligne téléphonique, et ça fait onze mois que je patiente avec
zéro résultat. Quand vous subissez l'affront du Picasso, corrigé par un peintre
en bâtiment, vous avez une seule envie : (re) prendre
le large et ne jamais regarder derrière soi. Quand, encore, vous investissez
plusieurs milliards de vos poches et vous attendez douze mois entiers pour
obtenir que votre téléphone puisse enfin sonner, cela ne mérite aucun soupir,
sinon une inscription en bonne et due forme au Guinness Book des flops
organisés» raconte, avec un goût de vomi dans la bouche, notre investisseur
auquel l'on veut faire acheter du poisson pourri en pleines profondeurs
océanes. Mais la preuve que le pays a plus appris à creuser dans le sol pour en
faire sa pitance plutôt que de promouvoir l'huile de coude, cette autre énergie
renouvelable, ce crypto-représentant de l'Etat «conseille» à celui qui veut se
mouiller le maillot dans son propre pays à revenir «jouer avec son argent» de
là où il est venu. Parce que les porteurs de projets d'aujourd'hui feront les
investissements de demain et les emplois d'après-demain, il y a fort à parier
que le temps est tout ce qu'il restera au pays lorsqu'il aura tout perdu.
Un peu
comme un homme qui a mal à la tête, peut-on valablement lui administrer un
placebo quand son mal nécessite le bistouri, et sa guérison une bonne dose de
baraka ? Si certains, dans la vie d'ici-bas, ne veulent pas voler le bien le
plus précieux de tout être capable de sentir et de penser, le Temps, d'autres
veulent faire valoir leur droit à la paresse, dans un pays qui ne produit plus
de l'huile de coude depuis très longtemps déjà. L'on se souvient d'un certain
Paul Lafarge qui avait mis fin à sa vie, de peur de devenir une charge pour les
autres, c'est-à-dire pour ceux qui travaillent. Au nom d'une philosophie toute
particulière, celle de disposer de son temps comme on l'entend, la meilleure
solution pour le pays ne serait-elle pas respecter le temps des autres et
régler sa propre horloge à la vingt cinquième heure ?
Assurément, qu'est-ce que «longtemps» pour une vie d'homme ?