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Bovins et crocodiles

par Abdelkrim Zerzouri

A peine installé dans ses fonctions au mois de février dernier, le ministre de l'Agriculture était décidé à en découdre avec le chaos qui régnait dans la filière lait en mettant en place un système de numérisation pour le recensement et la classification du cheptel national de vaches laitières, et il semble qu'il devrait passer à une vitesse supérieure au mois d'octobre prochain en lançant une opération d'identification du cheptel bovin au niveau de deux wilayas pilotes, avant sa généralisation progressive au niveau national. D'une action presque banale visant le « recensement » des vaches laitières, on est passé à une autre action plus assidue consistant à « identifier » le cheptel bovin. Les deux opérations s'inscrivent-elles dans la continuité de l'une à l'autre, ou a-t-on décidé d'approfondir le sujet en engageant une véritable enquête sur ce terrain boueux, qui va plus loin qu'une simple opération de dénombrement visée initialement à travers le recensement du cheptel national des vaches laitières ?

Le recensement prôné au mois de février a dû rencontrer des obstacles liés à la pandémie, mais il a donné un bénéfique temps de réflexion qui aurait abouti à cette décision d'aller vers des investigations plus profondes pour cerner non seulement le nombre des bovins mais

également les détails concernant le cheptel en question, qui constitueraient des outils efficaces pour suivre son mouvement sur le territoire national, outre l'abattage et l'approvisionnement des marchés en viande rouge, ainsi que la classification du cheptel national de vaches laitières, désormais faisant figure d'un tout petit point dans cette entreprise globale. Une entreprise globale qui consiste à enregistrer toutes les informations relatives à l'animal dans une base de données nationale, dans la perspective de réaliser un inventaire complet de tous les animaux présents dans chaque exploitation.

C'est la numérisation du secteur inscrite dans la feuille de route du ministère de l'Agriculture qu'on tente de mettre en place à travers ces enquêtes qui débuteront le mois prochain, mais on ne sait pas quand arrivera-t-on à clôturer cette mission. N'a-t-on pas pu déterminer le temps imparti à cette opération à cause des nombreux paramètres inconnus qui caractérisent cette activité ? L'entame des explorations dans deux wilayas pilotes est en lui-même un signe de la complexité de la tâche et d'une méconnaissance des obstacles qu'on craindrait rencontrer sur le terrain et qu'on devrait aplanir avant de généraliser l'opération au niveau de toutes les wilayas. C'est que l'opération en question, qui tend à garantir l'origine de chaque animal acheté, suivre les mouvements des animaux à travers les exploitations et les marchés, assurer l'efficacité des programmes de santé animale et asseoir une meilleure visibilité statistique, ne serait pas pour plaire à certains éleveurs et maquignons qui, tels des crocodiles, préfèrent nager dans les eaux troubles. Le poids de l'informel dans la filière bovine, qui prolifère par excellence dans les zones d'ombre, est certainement plus opaque que celui qui déboussole d'autres secteurs du commerce et des finances.