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Tiaret: Canicule, Covid, coupures d'eau : un été pourri !

par El-Houari Dilmi

La fête du sacrifice, cette année, n'avait pas de goût, gâchée par la pandémie du Covid-19 mais aussi par les sempiternelles coupures d'eau, d'énergie électrique et les chaînes interminables devant les bureaux de poste.

En effet, déjà écrasée par une chaleur infernale, Tiaret a encore brûlé avec un gigantesque incendie qui a ravagé plus de 850 hectares de la magnifique pinède de la forêt des pins, à l'entrée nord de la ville. Aux températures caniculaires depuis plusieurs jours, viennent s'ajouter ces sempiternelles coupures d'eau et d'électricité dans plusieurs quartiers en pleine canicule. C'est, donc, un autre un été pourri que les Tiarétiens sont en train de passer. Comme une malédiction qui s'abat sur la ville de Djelloul Ould Hamou, même les ordures ménagères n'ont pas été enlevées depuis une dizaine de jours, laissant exhaler des odeurs nauséabondes dans plusieurs coins de la ville. Samedi, il est presque 10 heures. Les rues sont animées, surtout au centre-ville transformé en bazar à ciel ouvert avec cette armée de vendeurs à la sauvette qui squatte les lieux. «On est comme dans une prison à ciel ouvert, personne ne peut plus se déplacer en dehors de sa wilaya, ni plage, ni piscine, ni un autre moyen de se divertir, on étouffe» se catastrophe Djilali, assis, cigarette à la main, sur le rebord du jet d'eau de la place des Martyrs.

La place des Martyrs profanée

Alors que le mercure s'affole depuis fin juillet pour flirter avec les 44° Celsius à l'ombre, et la menace omniprésente du Covid-19, la «place des Martyrs» se rurbanise à vue d'œil. C'est qu'aujourd'hui, l'ex-Place Carnot est considérée comme le cœur fatigué de l'antique Tihert et pour cause. Même quelques Tiarétiens nostalgiques, les temps grises surtout, continuent à se rendre sous l'arbre où fut pendu Ali Maâchi et ses compagnons, un certain 08 juin 1958, la place publique, entièrement réaménagée à coups de milliards, se dégrade à vue d'œil. Les jets d'eau ne servent plus qu'à un réceptacle où des déchets en tous genres y sont jetés sans vergogne aucune.

Quelques mètres plus bas, jadis considérée comme l'âme authentique de la ville de Ali Maâchi, la Place du 17 Octobre 1961 (ex-Place Rouge) est, elle aussi, dans un piteux état, au plus grand désarroi de ceux qui se souviennent, le cœur brisé, de cette belle époque des années soixante-dix où l'ensemble intégré du marché couvert (aujourd'hui en ruine), la Place Rouge, les arcades et leur mythique hôtel de Nice et le mausolée de Sidi M'hamed, étaient vécus comme le deuxième soleil qui brillait de mille feux sur une ville qui ne cesse de geindre et de (re) geindre à celui qui veut bien l'entendre. Lieu de rendez-vous des «Ouled Bled» comme le veut la mentalité «vernaculaire», l'ex-Place Rouge n'est plus aujourd'hui qu'une sorte de décharge publique, noyée au milieu de la plus grande concentration humaine de toute la ville.

Comble des combles, le jet d'eau, implanté au beau milieu de la place, voit son bac intérieur utilisé comme un vide-ordures, sans parler des pompes nouvellement installées et immergées à plus de deux mètres sous terre, qui ont été dérobées, sans que personne ne se rende compte de l'innommable forfait. Le tout sous le regard comme chloroformé de la foule bigarrée qui s'agglutine tous les jours autour du célèbre café de la Bourse (fermé depuis des lustres !) et le non moins réputé kiosque à journaux de feu Ammi Boucetta. Cet été, particulièrement chaud, donne des cauchemars éveillés aux Tiarétiens et pour cause : des quartiers, et ils sont nombreux, sont privés d'eau depuis plusieurs semaines. D'autres n'ont plus d'électricité sous 44° à l'ombre, un véritable calvaire vécu au quotidien. « Même la cascade d'eau aménagée à Aïn El Kerma a été asséchée par la main coupable de l'homme », enrage Kada, un commerçant au populeux quartier de Erass Soug. Les pompes, qui recyclent l'eau, ont été changées trois fois par la commune, sans aucun résultat sur le terrain. Un pur gâchis. Juste à côté, la légendaire source de Aïn El Djenane, ou plutôt son vestige, qui trône au milieu de l'ex-place Carnot. Des processions de jeunes et de moins jeunes s'alignent en file indienne pour remplir leurs jerrycans et autres seaux d'eau. Dès le début du mois août, le mercure a commencé à flirter avec des températures impossibles, avec un taux d'humidité anormalement élevé pour une ville des Hauts Plateaux, plongée dans une profonde torpeur. En ce samedi 08 août, malgré la chaleur étouffante et la menace de contracter le coronavirus, la ville grouille de monde, la circulation automobile rendant l'air irrespirable. Le soleil devient dardant peu avant midi, et la chaleur suffocante. En effet, en ce deuxième week-end du mois d'août, toute la ville s'est assoupie dès la mi-journée. Beaucoup de personnes âgées et des enfants, surtout en bas âge, se sont présentés aux urgences médicales pour consulter des suites de l'insolation, troubles respiratoires ou même d'intoxications alimentaires. Il est 13 heures passées.

En cette journée aoûtienne, terriblement chaude, aux quatre coins de la ville, pas âme qui vive, à part une poignée de quidams se dirigeant à la manière des « automates » vers le centre-ville. Retour vers la « Place Rouge », indémodable bourse à ragots de la cité des Rustumides, livrée à une décrépitude totale. L'ambiance est comme lugubre après la fermeture du marché couvert. Fidèle à sa réputation, la « Place Rouge » donne l'impression de chuchoter dans l'oreille de la ville pour lui raconter ses « misères » dont personne ne veut plus entendre parler. L'été est vite passé, et le mois de septembre pointe déjà le bout de son nez. Tiaret, comme toutes les villes du pays, s'habitue aux « bad news ». « Les mauvaises nouvelles font partie de notre quotidien », lâche Amine, cigarette au bec et le regard comme vide. Autres gens, autres mœurs, cet été à Tiaret, tout le monde a la nette impression de devenir « fauché ». Et pour cause ! Dans une région où il fait bon ou mal vivre, en fonction de la saison des pluies, cette année, les commerçants filent du mauvais coton. Ils se plaignent presque tous de la rareté du chaland, certains «gardent le tiroir-caisse fermé pendant plusieurs jours», se plaint ce vendeur de savates «made in», installé le long du boulevard «Bouabdelli Bouabdellah».

Cet été, et comme chaque année, les bestioles en tous genres ont envahi la ville très tôt. Tous les quartiers de la ville sont infestés de moustiques qui donnent des nuits cauchemardesques aux habitants. « Cette année encore, l'APC et les services de l'OPGI ont dormi sur leurs beaux lauriers ; la lutte anti-larvaire au printemps n'a pas eu lieu, ils n'ont pas traité à temps », s'insurgent à l'unisson de nombreux citoyens.

Depuis le début de l'été, les déchets ménagers ne sont pas régulièrement enlevés par les services de la commune, même si les employés de l'EPIC « Tiaret-Nadhafa » mettent les bouchées doubles pour nettoyer la ville de ses détritus. A la populeuse cité de « Haï El Badr », des sacs remplis de déchets ménagers sont éventrés et abandonnés aux quatre coins du quartier. « Avec la canicule et le manque d'hygiène, beaucoup de gens sont tombés malades, surtout les enfants et les personnes fragiles », tempête M'hamed, avant de sauter dans un taxi clandestin. Un peu plus bas, au quartier « Volani », les moustiques mais aussi les chiens errants ont pris possession des lieux. Les campagnes sporadiques d'abattage des chiens errants n'ont pas donné les résultats escomptés, au grand dam des Tiarétiens. Autre « plaie ouverte » qui balafre le visage de la ville, la prolifération des mendiants, les vrais mais aussi et surtout les faux, et les malades mentaux « occupant » la ville, un spectacle affligeant au quotidien. De nombreux Tiarétiens sont convaincus que ces malades mentaux et autres « professionnels de la manche » sont débarqués à Tiaret par des cars en provenance d'autres wilayas du pays. En ce samedi caniculaire, un malade mental, presque nu, se couche en travers de la chaussée près de l'ex-souk el Fellah. En face, un autre déficient mental joue avec un couteau dans la main, offrant un spectacle gratuit aux nombreux badauds stationnés, sur un macadam brûlant, tout autour du rond-point donnant sur la route de Aïn Guesma.

La mal-vie des jeunes ou la quête d'un ailleurs meilleur !

La terre a encore tremblé vendredi soir dans la wilaya de Mila, la deuxième fois en moins de deux semaines, suscitant une peur diffuse chez les Tiarétiens. Ajouté à cela les températures caniculaires, aggravées par les coupures d'eau et d'électricité dans plusieurs quartiers en pleine canicule, c'est un été pourri que les Tiarétiens sont en train de passer.

Pris au piège du mal-vivre et du chômage, des « grappes » de jeunes rongent leur frein et s'occupent comme ils peuvent, même si le confinement à domicile a été totalement levé depuis le 14 juin dernier. Presque chaque jour, de grandes quantités de drogue et de psychotropes tombent dans les mains des services de sécurité. Plongeant tête la première dans l'enfer de la drogue et de l'alcool, des jeunes, livrés à l'ennui et le manque cruel de moyens de distraction, se shootent aux substances hallucinogènes pour échapper aux griffes d'un quotidien qui les étreint jusqu'à l'asphyxie. Dans les populeux quartiers du sud de la ville, des jeunes, les yeux bouffis, tirent comme des forcenés sur des joints, gros comme des cigares. D'autres se shootent aux psychotropes pour fuir, un furtif moment, une réalité trop dure à supporter. Cette année, les services de sécurité enregistrent un nombre record d'affaires liées aux trafics de drogue et de psychotropes.

Les autres jeunes passent les longues et fastidieuses journées d'été à s'occuper comme ils peuvent, à « tuer le temps » par n'importe quel moyen comme la pratique de ce sport national qu'est la drague ou le «rince-œil», comme l'appellent d'aucuns. De longues siestes, jusqu'au coucher du soleil, sont le « hobby » de beaucoup de jeunes désœuvrés. Au spectacle de ces voitures rutilantes usant leurs pneus neufs sur du macadam brûlant, répond ce « contraste » de groupes de jeunes arpentant les rues de la ville et bavant d'envie à la moindre silhouette féminine. En début d'été, les plages n'étaient pas autorisées pour cause de Covid-19. Même si les autorités ont décidé de desserrer l'étau et autoriser l'accès aux plages et ouvrir les cafés et restaurants à partir de samedi prochain.

Pour les plus débrouillards, trouver un petit job pour se faire un peu d'argent de poche, reste la principale préoccupation dans une ville où le chômage sévit à l'état endémique. Comme poussés par une irrésistible envie de changer d'air, des jeunes, à peine sortis de l'adolescence, « tirent des plans sur la comète » pour tenter de trouver le moyen d'« enjamber » la grande bleue, tenter une « harga » vers de lointains et hypothétiques horizons. Ici, le souvenir est encore vivace de ces enfants qui ont perdu la vie dans les aventureuses tentatives de traversée de la Méditerranée. La semaine dernière encore, le corps d'un jeune homme, originaire de la commune de Tidda, a été repêché de la plage de Petit Port, sur le littoral mostaganémois. Cet été pas comme les autres, plus d'un Tiaretien file du mauvais coton à cause du dinar qui se met à manquer cruellement. Comme le « douro se fait rare », selon les termes de Khaled, un « désargenté chronique », nombreux sont ceux qui meublent leurs longues et chaudes journées estivales par des hobbies... de fortune. Pas trop vite le matin, doucement le soir, les Tiarétiens semblent se passer le mot pour rester dehors très tard la nuit. Mêmes les enfants rechignent à rentrer chez eux à la nuit tombée et jouent dans le rue jusqu'à des heures impossibles. Jusqu'à une heure tardive de la nuit, des grappes humaines hument l'air frais, occupées à d'interminables palabres, au sujet de tout, de tous et de rien, en même temps.

La culture, cette cinquième roue du carrosse

Interdit de chapitre depuis des lustres, plus personne à Tiaret ne sait ce qu'est une activité culturelle ou artistique. Victime du changement de l'ordre des priorités, Dame Culture n'a plus la cote, même chez ceux qui sont censés présider à son triste destin ! C'est que la vie estivale à Tiaret n'offre plus rien d'intéressant à se mettre sous la dent. Aucune association culturelle ni troupe musicale, jadis fierté de la ville de Ali Maâchi, n'a survécu à la mode terriblement réaliste du «manger avant de songer ». Alors, pour tromper l'ennui ambiant, tout le monde se débrouille comme il peut. En attendant l'été prochain. «Ya men aâch !!».