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Bi-nationalisme

par Hatem Youcef

Si le nationalisme est ce sentiment d'appartenance à une nation où les individus partagent des liens culturels, linguistiques, religieux ou autres, qu'en est-il du bi-nationalisme ? Quoique le terme a du mal à faire son entrée dans les dictionnaires, ses effets se font ressentir dans beaucoup de pays d'Afrique qui tardent encore à sortir de la nuit coloniale, longtemps après le départ de l'occupant. Le bi-nationalisme est justement une autre séquelle et legs du colonialisme et quasiment aucune ex-colonie n'est exempte des effets de ce phénomène qui a gagné en importance et en confiance, ces dernières années. Les binationaux se sont tellement multipliés qu'on se demande s'ils ne posent pas un sérieux problème pour le recensement de la population mondiale du fait qu'on ne sait pas s'il faut les compter dans un pays ou l'autre. Le choix de la nationalité française plutôt qu'un portefeuille ministériel fut-il de moindre importance. Chez nous, le nombre d'officiels binationaux se chiffrerait en milliers d'où la décision de voter la loi n° 17-01 du 10 janvier 2017 qui fixe la nomenclature de hautes fonctions politiques qui ne sauraient s'accommoder d'une double nationalité. Les opposants aussi ont leur double nationalité ainsi que tous les rebelles et les artistes qui font de l'opposition depuis les capitales d'Europe ou du Golfe. Les Algériens sont si complexés chez eux et si apeurés que tous ceux qui peuvent accéder à une double nationalité le font sans hésitation. Il suffit de voyager vers le Royaume-Uni ou la France pour constater de visu que ceux qu'on croyait concitoyens sont les citoyens d'ici et d'ailleurs. Ils arborent leur autre passeport fièrement et feignent oublier qu'ils ont subi des tests en vue d'obtenir le fameux sésame et ont dû signer des documents s'engageant à respecter cette autre nationalité acquise au prix d'un apprentissage forcené de la langue, l'histoire et la culture du second pays, ainsi qu'une déclaration d'amour pour la nouvelle patrie et bien-sûr l'épreuve fétiche qui consiste à chanter l'hymne quitte à ne pas le faire par la suite comme Karim Benzema dont on a évoqué une éventuelle sélection chez les Verts. Le bi-nationalisme est étroitement associé au football, à ces footballeurs prometteurs qui attendent désespérément que la sélection tricolore leur fasse appel quitte à faire piaffer une autre sélection qui fait le pied de grue avec l'espoir de les enrôler pour gagner la prochaine coupe du monde. Il y a aussi beaucoup d'intellectuels, d' hommes d'affaires qui peuvent tout aussi rendre service à leur patrie d'origine et lui faire gagner des galants et des coupes comme l'a fait Belmadi et sa sélection de binationaux qui ont puisé dans leur nationalisme atavique, pour aller chercher cette coupe d'Afrique. Belmadi s'est tourné justement vers le passé glorieux pour enthousiasmer ses troupes en prenant exemple sur la glorieuse équipe du FLN des Makhloufi, Zitouni et les autres qui avaient tourné le dos à la coupe du monde, de 1958 pour se consacrer à une seule nationalité encore en devenir. Le bi-nationalisme avait alors des allures fières grâce aux sacrifices de ?nos autres martyres', Maurice Audin, Fernand Iveton, Maurice Laban et tant d'autres hommes épris de justice même au détriment d'un nationalisme chauvin. Maintenant, le bi-nationalisme est synonyme d'avantages incommensurables ; c'est avoir un pied en France ou dans un autre pays occidental et le cœur au bled des aïeux, profiter des bienfaits de la Renaissance et des années lumières en lâchant son venin sur le pays d'accueil et le pays natal dont on déplore le sous-développement, le manque de liberté politique, etc. Bi-nationalisme rime avec l'Algéro-qatari, l'Américano-algérien, l'Algéro-canadien, l'Algéro-Britannique, l'Algéro-marocain, l'Algéro-tunisien, mais aussi et surtout le Franco-algérien. Le bi-nationalisme est en passe d'être codifié grâce à tous les binationaux qui brillent en bien ou en mal.