Fini la tolérance face aux manifestations populaires ? Si
l'on se fie aux arrestations et les présentations devant les tribunaux de
nombreuses personnes qui ont tenté de réchauffer la rue à travers plusieurs
villes du pays, après une longue trêve imposée par la crise sanitaire, on ne
peut que déduire un profond changement dans la manière de gérer le mouvement
populaire, ou « Hirak ». Les pouvoirs publics ne s'en
tiennent plus, apparemment, au rôle d'accompagnateur « passif » des
manifestations populaires « pacifiques », comme ce fut le cas juste avant le
confinement, à la mi-mars dernier, où les foules battaient le pavé sous la
surveillance des cordons de services de sécurité déployés tout au long des
parcours des marches. Maintenant, les services de sécurité adoptent une autre
attitude, empêchant les marcheurs de se regrouper et d'investir la rue.
Plusieurs tentatives de marches à travers quelques villes ont été empêchées par
les policiers, qui ont opéré des arrestations dans les rangs des marcheurs qui
défiaient les consignes de dispersion des rassemblements. D'ailleurs, toutes
les personnes arrêtées, relaxées ou condamnées à des peines de prison ferme ou
avec sursis au bout des procès ont comparu devant les tribunaux en citation
directe sous les charges d'attroupements ou incitation à attroupements non
autorisés, en sus d'autres griefs retenus contre certains, accusés d'émeute et
affrontement avec les services de sécurité. On ne sait pas si ce durcissement
est dû aux mesures préventives sanitaires, qui n'autorisent pas les
rassemblements, ou s'il s'agit d'une position musclée et tranchée face au « Hirak », même avec la levée de l'urgence sanitaire ? Les
prochaines semaines ou les prochains vendredis nous renseigneront là-dessus.
Mais, si les signes d'un durcissement durable et déterminé de la position des
pouvoirs publics face au « hirakistes » sont bien
évidents, il resterait encore à connaître le développement de la situation sur
le plan des mesures d'apaisement du climat social initiées par la présidence,
dont la libération des détenus. Difficile d'envisager l'instauration d'un
climat de détente quand ceux qui demandent la libération des détenus finissent
par les rejoindre dans leurs cellules pour les mêmes motifs qui ont conduit à
leur incarcération.
L'autre inconnue reste liée à la réaction des citoyens,
seront-ils toujours nombreux à adhérer aux marches ou leur nombre
enregistrerait-il une réduction qui signerait la fin du « Hirak
» comme on l'a connu avant la crise sanitaire, pour ne rester qu'à ce stade de
l'évaluation de la participation citoyenne ? L'engagement ou le désengagement
des citoyens est un paramètre déterminant dans la réponse aux questionnements
que suscite la poursuite du « Hirak » tel qu'il a été
connu jusque-là, ou sa transformation en force « tranquille » d'opposition et
de force de proposition.