Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Virus et régionalisation

par Akram Belkaïd, Paris

C’est un classique des prévisions et des médias spécialisés. A chaque événement d’importance planétaire, l’interrogation porte sur ses conséquences économiques directes et indirectes. Une guerre au Proche-Orient ? On anticipe une hausse des prix du brut et l’impact récessionniste sur l’activité mondiale. Une catastrophe naturelle ? Les calculs sont plus compliqués, le coût des destructions étant «compensé» par les bénéfices à venir de la reconstruction (quand elle a lieu). Ces derniers temps, c’est le coronavirus qui sévit, principalement en Chine qui fait l’actualité avec plusieurs centaines de décès. Villes confinées, quarantaines, fermetures d’usines, limitation des déplacements : il est évident que cette grave crise sanitaire aura d’importantes conséquences.

Circuits logistiques raccourcis

Selon le Fonds monétaire international (FMI), la croissance du Produit intérieur brut (PIB) mondial, prévue à 3,3% pour 2020, devrait être amputée de 0,1 à 0,2 points. Ce n’est là qu’une première anticipation qui sera affinée au fur et à mesure des résultats annoncés par les grandes multinationales. En début de semaine, Apple a d’ores et déjà averti qu’il lui sera difficile de tenir ses objectifs de production. Son sous-traitant chinois Foxconn a effectivement fermé plusieurs sites de production et le redémarrage complet n’interviendra qu’après la constatation effective du passage du pic de la pandémie.

Le plus intéressant dans l’affaire est lié aux enseignements à long terme qui seront tirés de cette crise. On sait que la Chine est «l’usine du monde» avec une part dans la valeur ajoutée du secteur manufacturier mondial qui est passée de 8%à 2002 à 25% en 2019. Cette prépondérance présente un risque majeur : que la Chine aille mal, et c’est toute la planète qui tousse. Épidémie, mais aussi crise politique (Hong Kong) ou guerre commerciale avec les États-Unis sont autant d’événements qui plaident pour une diversification des sources de production.

Les grandes entreprises qui redécouvrent le fil à couper le beurre de manière récurrente se remettent donc à parler de «régionalisation» et de «relocalisation». Pour diminuer la dépendance à l’égard de la Chine, les circuits logistiques tendent à être raccourcis. Il s’agit d’être plus proche du consommateur final et de diminuer le nombre de sous-traitants. Pendant longtemps, le dogme consistait à fabriquer au loin, là où le coût du travail était moindre, et à éviter de constituer des stocks trop importants. Aujourd’hui, la donne change. L’écologie pointe du doigt la pollution des navires et porte-containers, et les instabilités politiques d’ici et de là ne plaident pas pour une multiplication des fournisseurs. Aujourd’hui, un équipement électroménager peut être assemblé avec des composants venant de 20 à 50 pays ! Une folie...

Protectionnisme

Le fait que le coût du travail en Chine ne cesse d’augmenter n’est pas étranger à ce changement de donne. En trente ans, il a triplé, et la tendance reste orientée à la hausse. Pourquoi alors fabriquer aussi loin quand les «bénéfices» sont moindres ? Ajoutons à cela le retour en force du protectionnisme avec ce principe que les dirigeants algériens qui multiplient les déclarations loufoques en matière d’économie feraient mieux d’intégrer : «Pour vendre quelque chose dans un pays, il faut qu’elle y soit fabriquée.» Les États-Unis et la Chine appliquent ce principe. D’autres pays leur emboîtent le pas. Il est temps de réfléchir sérieusement à un protectionnisme intelligent en Algérie.