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Débat télévisé: Dans les coulisses du «face-à-face»

par Ghania Oukazi

  Une première en Algérie, le face-à-face qui a opposé les 5 candidats à la magistrature suprême a été pratiquement plombé par des instructions strictes de respect du principe de l'équité et de l'impartialité.

En effet, des consignes fermes ont été données en particulier aux quatre journalistes qui ont modéré le face-à-face qui a réuni vendredi dernier les 5 candidats au CIC. Consignes pour ne faire «aucun geste» qui risquerait de remettre en cause le principe en question dans cette «première» politique et médiatique qui a marqué un contexte national où tout peut être considéré comme un parti pris.

Dans les coulisses de ce premier face-à-face qui s'est déroulé dans une Algérie houleuse, les nerfs étaient à vif. C'était le cas en évidence de l'équipe technique qui s'est occupée de mettre tout en œuvre en un temps record. Selon les professionnels de la scène et des studios de ce genre d'émission, «tout a été fait selon les normes universelles». L'un d'entre eux -un Tunisien- concerné par la préparation de l'événement l'affirmait aux journalistes auxquels ils devaient expliquer la feuille de route de l'émission. «Nous, en Tunisie, nous avons préparé le face-à-face avec les deux candidats en plusieurs jours, les Algériens l'ont fait en à peine 8 jours, c'est un véritable exploit», a-t-il dit.

Les quatre journalistes devaient faire très attention à leur gestuelle, leurs mimiques et leur manière de poser les questions jusqu'à s'empêcher même de sourire pour ne laisser aucun doute sur l'impartialité et l'équité qui ont été imposées comme règle majeure de ce «jeu» électoral des temps modernes. Face aux 5 candidats qui étaient debout derrière leur pupitre et derrière les quatre journalistes assis deux par deux (télévision et presse écrite), avaient pris place le président de l'Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) ainsi que plusieurs de ses membres.

L'œil scrutateur de l'ANIE et de l'huissier de justice

Tous suivaient de très près le moindre détail de l'émission, soutenus dans cette tâche par un «scrutateur» incarné par un huissier de justice. Tous suivaient en direct et de l'intérieur du studio le «bon» déroulement de l'émission.

Les journalistes devaient s'astreindre à un règlement qui leur a été remis par écrit un jour avant la tenue du face-à-face. Intitulé «Règlement fixant les modalités du débat télévisé prévu avant le premier tour entre les candidats aux élections à la présidence de la République du 12 décembre 2019», l'«objet» précise que «le débat télévisé qui était organisé par l'Autorité Nationale Indépendante des Elections (ANIE) est prévu avant le premier tour entre les candidats aux élections à la présidence de la République du 12 décembre 2019». Dans le détail, le règlement en question impose que « Le dit débat télévisé organisé au CIC consiste en une émission télévisée qui sera diffusée en direct et aura pour intitulé: « » ou «La voie vers le changement». Il est retransmis par tous les médias audiovisuels nationaux autorisées à exercer.

A propos du «Contenu du débat télévisé», il est souligné que «Lors de cette émission quatre (04) thèmes seront déclinés sous forme de 13 questions adressées aux candidats. Pour chaque question, le candidat disposera d'un temps de réponse de deux minutes. Une quatorzième et dernière question portera sur les attentes du peuple algérien. Le temps de réponse à cette dernière question est de 03 minutes ». Les thèmes abordés porteront sur les volets suivants : le domaine politique (gouvernance, libertés publiques et individuelles), les domaines social et économique, les domaines de l'éducation, de l'enseignement et de la santé, le domaine de la politique étrangère. Au titre du principe de «régulation du débat», il est souligné que «les options techniques et artistiques adoptées pour ce débat respectent le principe d'égalité entre les candidats ».

Des consignes strictes

Concernant les candidats: le débat est soumis au tirage au sort pour déterminer la disposition des candidats sur le plateau et le premier candidat à prendre la parole pour la première question ; il sera suivi des autres candidats selon disposition de droite à gauche, et il en résultera également une détermination des premiers à prendre la parole lors des autres questions. Par ailleurs, la dernière question au débat sera soumise à un tirage au sort déterminant l'ordre de réponse des candidats. Les candidats s'engagent durant le débat à respecter l'ensemble des règles édictées par la charte éthique des pratiques électorales, qu'ils ont approuvée. Le débat commence à l'heure prévue, chaque candidat devant se présenter sur les lieux une heure et demie avant le début de l'émission. Aucun candidat ne peut accéder au plateau après le démarrage de l'émission. Le même accueil sera réservé à l'arrivée et à la sortie pour tous les candidats (pas de selfie, etc.). Chaque candidat peut être accompagné de 10 personnes de son choix.

Un espace d'accueil et de suivi du programme et de concertation avec les candidats leur est réservé à proximité du studio. Les membres du dispositif de sécurité rattaché aux candidats ne sont pas autorisés à accéder aux locaux abritant l'évènement.

L'ensemble des personnes prenant part à l'émission doivent se séparer de leurs téléphones portables lorsqu'ils accèdent au studio, y compris les candidats. Des vestiaires sont dédiés à cet effet. Concernant les modérateurs : le débat sera modéré par quatre (04) journalistes sélectionnés par l'Autorité nationale indépendante des élections relevant d'une chaîne TV publique, une chaîne TV privée, un quotidien national arabophone et un quotidien national francophone. Un journaliste de l'EPT, un journaliste de la chaîne de télévision El Bilad, un journaliste du quotidien arabophone El Khabar, un journaliste du quotidien francophone Le Quotidien d'Oran.

Quand le ton libre s'impose la rigidité

Les modérateurs auront pour seul rôle de poser les questions dans le temps imparti qui ne doit pas excéder 30 secondes par question. Les modérateurs sont tenus à la stricte neutralité dans la manière d'adresser les questions et de mener le débat, jusque et y compris les formes non linguistiques, comme les gestes et les expressions du visage. Ils sont tenus de se conformer aux questions sélectionnées par l'autorité indépendante sur la base des différentes propositions formulées par un panel de journalistes, préalablement consultés, qui leur sont remises une demi-heure avant l'entame du débat. Ils éviteront par ailleurs de polémiquer avec les candidats ou de commenter leurs réponses.     Le déroulement du débat: à l'entame de l'émission, les règles du débat seront explicitées par deux modérateurs.

Un signal sonore est prévu pour aider le candidat à connaître la durée restante de son temps de parole lorsqu'il ne lui reste plus que 10 secondes et un signal sonore plus intense lorsque le temps de parole du candidat est dépassé. Un huissier de justice est préalablement requis par le président de l'Autorité indépendante afin de superviser l'opération de tirage au sort en présence des représentants des candidats, et veiller au respect des règles édictées dans le présent règlement. L'huissier de justice sera accompagné d'un représentant de l'ANIE.» Les spécialistes algériens de la Com n'avaient de cesse de répéter aux journalistes jusqu'à la dernière minute avant le direct « aucun sourire, aucun geste vers un candidat, restez sobre même austère, répétez les questions sur le même ton, lisez-les lentement, n'approuvez de la tête aucune réponse d'aucun candidat, ce sont les règles de l'équité».

Le stress n'a pas manqué. Il pesait notamment sur des journalistes au ton habituel libre et vif qui s'imposaient le temps d'un face-à-face une rectitude sans pareille. Il fallait qu'ils tiennent ainsi 3 longues heures et 16 minutes, le tout en direct. Pour une première, ça en a été une à tous les niveaux et dans les sens. Dont acte.