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Elections présidentielles: Un goût amer d'un déjà-vu

par Ghania Oukazi

  L'autorité indépendante chargée d'organiser les élections présidentielles du 12 décembre prochain a fait savoir que sa première mission est de réviser le fichier électoral.

Cette étape importante échoit donc pour la première fois dans l'histoire de l'Algérie post-indépendance à une autorité supposée n'être affiliée à aucune institution de l'Etat. Autorité qu'on dit affranchie totalement du joug du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, et de celui des Affaires étrangères et de la Justice. Elle est installée à Alger et possède des annexes appelées délégations dans les 48 wilayas que compte le pays.

La nouvelle charpente qui doit supporter le processus électoral est ainsi devenue opérationnelle dès l'achèvement de sa construction et de sa mise en place sous le contrôle et avec la bénédiction du chef d'état-major de l'ANP, vice-ministre de la Défense, le général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah.

L'institution militaire s'est substituée à l'ensemble des institutions et acteurs politiques du pays pour déterminer et délimiter le parcours et l'itinéraire devant mener à l'élection d'un nouveau président de la République. Le tout a été en principe pensé pour mettre un terme aux pratiques de fraude qui ont de tout temps entaché l'ensemble des suffrages nationaux et pour repousser les symboles du pouvoir Bouteflika jusqu'à leur anéantissement.

Si une telle expédition veut laisser croire que l'Algérie évolue vers la légalité constitutionnelle et la pratique démocratique, les actions et les actes qui ont été exécutés jusque-là pour réaliser son lancement n'augurent d'aucun changement dans ce sens. Bien au contraire, le naturel revient pour affirmer que le système politique est une pratique et non un simple énoncé d'un exposé des motifs. La mise en place, dimanche dernier, de l'autorité indépendante a laissé un goût amer d'un déjà-vu qui a sévi tout au long de tous les pouvoirs qui se sont succédé pour gérer les affaires de l'Etat.

Composée de 50 membres, l'Autorité a eu de grandes difficultés à élire son bureau en raison de délires de leadership, d'incompatibilité d'humeurs, d'égocentrisme, d'enfantillage et autres de suffisance. Dès les premières minutes de leur rencontre, les «désignés» ne se supportaient presque plus. Certains ont de suite menacé de «démissionner».

Les 14 longues années de complaisance de Chorfi

L'on se rappelle que des «figures» du système ont été appelées pour faire partie du panel de Karim Younès mais dès son installation, elles n'ont plus réapparues. «Elles ont bien accepté de l'être «juste pour que les médias se braquent sur leur nom. Une fois annoncés, ils ont pris la porte de sortie pour ne plus revenir», nous renseigne un membre du panel. Parmi les 50 membres qui constituent l'Autorité même, l'on retrouve sans trop chercher loin des membres fondateurs de partis politiques «nains» nés sous Bouteflika, ceux qui étaient leurs conseillers juridiques, ou leurs militants, des soutiens directs aux quatre mandats de Bouteflika et même au 5ème qu'il n'a pas eu, des acteurs du premier rang des opportunistes, des chômeurs à la recherche d'un emploi?         

Leur président a comme résumé le parcours de chacun d'entre eux en déclarant à la presse qu'il a été deux fois ministre de la Justice (en 2002 et en 2012), ceci, sans compter les nombreux postes qu'il a occupés dans de hautes institutions de l'Etat mais, s'est-il vanté, «à partir de 2014, j'ai refusé de prendre aucune fonction dans le système Bouteflika (?.)». C'est dire que l'homme de droit qu'est Mohamed Chorfi s'était mis à la disposition de Bouteflika de 99 à 2014.

Il lui a fallu 14 longues années pour se rendre compte que la gouvernance se portait mal. Par manque accru d'expérience ou de compétence, il y a au sein de cette instance des personnes qui ne savent pas comment doit s'exprimer la neutralité ou l'impartialité d'une institution dite indépendante.

La révision du fichier électoral à laquelle doit procéder l'Autorité de Chorfi n'a rien d'une mince affaire. Elle a de tout temps été à la charge du ministère de l'Intérieur dont les moyens au niveau central et local sont colossaux.

Au passage, l'on rappelle que le gouvernement Bedoui a été instruit en vertu des deux lois adoptées dans l'urgence par le Parlement et publiées dans le Journal officiel, de fournir immédiatement les moyens matériels et logistiques à cette autorité pour qu'elle puisse s'acquitter de ses nombreuses missions «dans la plus grande transparence». Elle recevra comme maquette un fichier déjà assaini à plusieurs reprises par la force de la pratique courante, régulière et habituelle du ministère de l'Intérieur et de ses démembrements au niveau des collectivités locales qui sont restées intactes et sans changement.

Le rappel des troupes

L'Autorité sera certainement initiée aux «techniques» de la mission d'assainissement.

Puisque nouvellement née, elle ne saura pas s'y prendre. Les critères qui ont prévalu au choix de ses membres les plus en vue et de son président n'ont pas dérogé à la règle du recyclage avéré d'un personnel qui a toujours évolué sous les différentes ères du système en place. Le choix du candidat «du consensus» qu'on dit déjà fait ne dérogera pas à cette règle. L'on avance que même les outsiders et les lièvres le sont tout autant. Le pouvoir Bouteflika a bien été décapité par la main d'un plus fort qui s'est toujours associé à d'autres jugés aujourd'hui malfrats pour applaudir tout ce qui s'est fait de 1999 à fin mars 2019. L'habitude oblige à répéter que les faits sont têtus et retenus par l'histoire qui en fait ses repères indélébiles. Depuis la mise en place du panel, la reconstitution du pouvoir par un redéploiement de ses structures, de ses moyens, de ses agents, de leurs missions et de leurs rôles est criante. Le rappel des «troupes» aux mêmes origines, objectifs et intérêts, l'affirme clairement. Le retour aux hommes qui ont soutenu Bouteflika mais qui l'ont lâché pour des raisons d'ambitions politiques n'a rien d'un effet d'optique. Mohamed Chorfi et avant lui Karim Younès l'incarnent dans toute son ampleur.

La (re)composition d'une nouvelle oligarchie en remplacement de celle disloquée par cette même justice qui a parrainé «légalement» sa naissance et son évolution tout au long des 19 longues années de règne des Bouteflika ne fait pas de doute. Le candidat «du consensus» (re)viendra certainement pour remettre sur scène des acteurs qui, comme lui, ont participé à des moments forts de la décadence de l'acte politique et à son bradage avec de l'argent sale.

Tous, du panel à l'Autorité indépendante en passant par ses délégations, les commissions communales et de wilayas devant être constituées pour contrôler le processus électoral chacune selon ses compétences, sont des purs produits du système en place. Les coulisses de ses groupements inédits en disent long sur l'héritage estampé des pouvoirs successifs. Ils sont tous pour transformer le changement en une pure illusion. La feuille de route édictée par le Haut Commandement de l'armée pour résoudre une crise politique aiguë ressemble de très près à un leurre d'autodéfense pour contrer ou détruire ce que le général de corps d'armée qualifie dans ses différents discours de bombes ou de mines (algham) que l'ancien DRS a placées à tous les niveaux pour contrôler les intérêts de ses concurrents et adversaires aux fins de régenter tout un pays.