Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Paris-Alger : «L'administration est affaire technique, le gouvernement est affaire de personnalité» (*)

par A. Boumezrag

  «La valeur d'un homme ne se mesure pas à son argent, à son statut ou à ses possessions. La valeur d'un homme réside dans sa personnalité, sa sagesse, sa créativité, son courage, son indépendance et sa maturité» Mark W. B. Brinton

Pour qu'un Etat puisse exister concrètement sur le terrain, il faut le doter d'un bras, c'est-à-dire d'une administration. Une administration protégée par un droit spécifique et animée par des agents recrutés sur des critères méritocratiques, formés dans des écoles spécifiques où ils intériorisent les valeurs de l'Etat, à savoir l'idéologie de l'intérêt général. C'est dans et par l'idéologie de l'intérêt général que se réalise le consensus nécessaire au maintien du tissu social dans le monde occidental. L'Algérie, après la guerre, recouvre son indépendance en plein chaos administratif et au milieu de règlements de comptes sanglants. Le départ précipité des colons en 1962 a crée un vide à tous les niveaux. Au niveau de l'administration, les petits fonctionnaires sont survalorisés par le départ des fonctionnaires français ou assimilés et à la différence des moudjahidines, ils savent comment fonctionne l'appareil de l'Etat hérité de l'ère coloniale. Il a fallu donc non seulement les garder mais en plus les ménager, voire leur offrir un statut privilégié. La langue française est l'héritage le plus durable et le moins contesté de l'époque coloniale (butin de la guerre de libération). C'est sur les résidus de l'administration française, instrument redoutable de la domination française en Algérie (les Sections Administratives Spécialisées), que s'est construit un Etat « national ». C'est pourquoi, le contrôle de l'Etat et de son administration sont un enjeu capital sinon vital pour les parvenus de l'indépendance. L'enjeu réside dans la maîtrise de l'appareil de l'Etat par le biais d'une mainmise sur les centres principaux d'allocation des ressources.

Ainsi, la couche sociale qui maîtrisera l'administration disposera d'un redoutable instrument de pouvoir. Cette petite bourgeoisie civile a été imposée par l'Armée seule force organisée au lendemain de l'indépendance. Cette volonté d'occuper la place du colon implique forcément une subordination par rapport à lui. A chaque fois que l'on fait de l'Etat ou d'une petite élite, le principal acteur du développement, on suscite l'apathie générale du corps social et les citoyens se détournent des structures sociales et politiques organisées.

On se trouve devant une société éclatée, une classe dominante qui vivant de l'Etat n'a pas le sens de l'Etat mais de celui de ses intérêts. Cette classe a le goût de l'autorité et du prestige, elle ignore celui de l'austérité et de l'humilité. C'est parfois l'affrontement. Cela remonte loin dans l'histoire du nationalisme algérien au moment où la société de l'époque était organisée de telle façon que seules les élites étaient aptes à faire de la politique, le peuple était maintenu à l'écart. Il était là pour servir de caution aux choix et décisions prises par l'élite. Quand la liberté de voix a été accordée au peuple, il s'est jeté à corps perdu dans la religion, une religion tronquée par des enjeux de pouvoir. L'échec politique des acteurs de la modernisation va pousser une partie de la population algérienne vers un retour à l'intégrisme religieux et à la revendication ethnique. Il est loisible de constater que cette élite dirigeante héritière de la colonisation au pouvoir depuis cinquante ans n'a pas apporté le bien-être pour tous, ni fourni les éléments constitutifs de l'identité algérienne.

Hier, l'Algérien se définissait par opposition à l'autre, «je ne suis pas Français, je ne suis pas francophone, je ne suis pas chrétien. Aujourd'hui, il se définit par rapport à son prochain «khaoua-khaoua» dans l'unité et dans la diversité : Kabyles, Arabes, Mozabites, Chaouis, Touareg, Oranais, Constantinois, nous sommes tous des Algériens et ensemble, nous aimons l'Algérie. La jeunesse s'est libérée des clivages du passé pour se tourner vers l'avenir qu'elle voudrait radieux. Elle a appris sur les bancs de l'école qu'un certain général De Gaulle avait clamé du haut du palais de gouvernement ce fameux, qui retentit à nos jours «Je vous ai compris» et il a poursuivi «je sais». L'indépendance c'est l'indépendance. Plus tard, il dira à propos de l'administration : «l'administration c'est mesquin, petit, tracassier. Le gouvernement, c'est pénible, difficile, délicat. La guerre, voyez-vous, c'est horrible mais la paix il faut bien le dire c'est assommant».

(*) Le titre est une citation d'Alfred Siegfried