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Tiaret - Reportage: «Ici s'arrête la vie !»

par El-Houari Dilmi

  Samedi 15 août, 10 heures. Le ciel est bouché avec un effet de serre qui étouffe la ville par 44° à l'ombre. La veille, le hirak, dans sa 26èmeédition, paraissait comme essoufflé avec peu de gens dans la rue, transformée en chaudron.

«Avec l'Aïd du mouton, les vacances, les mariages et la rentrée des classes qui pointe le bout de son nez, c'est le groupe de la mort; impossible de se qualifier» ironise Ali, un quinquagénaire à l'allure débonnaire, retrouvé sur la rue «Thiers» à la recherche d'un bouquet de coriandre fraîche. Il faut dire que les Tiarétiens passent cette année un été pourri. Au manque d'argent qui laisse une bonne partie des gens sur le carreau, dans l'impossibilité de s'offrir ne serait-ce que quelques jours de vacances, le quotidien de la population est fait de manque d'eau potable ajoutée à une chaleur suffocante, la dégradation du cadre de vie et ces mauvaises odeurs, partout dans la ville, qui empuantissent l'air, l'envahissement sauvage du centre-ville par les vendeurs à la sauvette, le diktat des gangs et la terreur semée par des jeunes désœuvrés dans certains quartiers du sud de la ville, bref, un quotidien estival des plus cauchemardesques pour une population qui frôle les 500.000 âmes.

Au centre-ville livré à une dégradation totale, trône la vielle bâtisse du marché couvert fermé pour travaux. Tout autour, une chaussée défoncée, des trottoirs décrépis et des nuages de poussière couvrant les devantures des magasins d'une couleur ocre. Un décor qui déchire le cœur à plus d'un Tiarétien comme impuissant face à une ville qui ne cesse de geindre et de regeindre. A la «place rouge», indémodable bourse à ragots de la cité des Rustumides, livrée à une décrépitude totale depuis des années, l'ambiance est comme lugubre après la fermeture du marché couvert. Fidèle à sa réputation, la « place rouge» donne l'impression de chuchoter dans l'oreille de la ville pour lui raconter ses «misères» dont personne ne veut plus entendre parler. Sur le boulevard «Bouabdelli Bouabdellah», à un jet de pierre du siège de la radio locale, des employés de l'Office national d'assainissement (ONA) curent un avaloir bouché, dégageant sur la chaussée une montagne de détritus de couleur noirâtre et nauséabonde, le tout sous une chaleur étouffante.

A l'entrée nord de la ville, à la «cité des pins», les habitants fulminent contre l'isolement de leur quartier après la fermeture de la portion de route qui y mène en raison de l'aménagement d'un rond-point, des travaux qui perdurent depuis des mois.

Des robinets à sec

L'autre cauchemar «éveillé» en cet été très chaud, le manque d'eau potable qui fait passer à la population un été pourri. Et pas seulement à Tiaret-ville mais dans plusieurs autres communes de la wilaya. Ce qui nourrit davantage le courroux de la population, c'est le manque de communication des services de l'Algérienne des eaux (ADE) puisque on ne connaît pas vraiment les causes réelles de ce manque d'eau potable dans les robinets, surtout que les barrages étaient remplis au maximum de leurs capacités de stockage au début de l'été. A la cité «Sonatiba», des colporteurs d'eau, fort nombreux, se frottent les mains et proposent leurs services jusqu'à 1.500 DA la citerne de 1.000 litres.

A Ksar Chellala, à plus de 120 kilomètres à l'autre bout de la wilaya, des quartiers sont sans eau depuis plus de trois semaines. Même topo à Sougueur, deuxième plus grand centre urbain après Tiaret, lui aussi privé par intermittence du précieux liquide depuis le début de l'été. Spectacle désolant en plein cœur de la ville: flanquées de jerrycans et autres ustensiles de stockage, des chaînes humaines font la queue leu-leu devant la source de Aïn El Djenane, sous un soleil dardant. Pourtant, l'eau est déclarée non potable par la commune et même les écriteaux bien mis en évidence interdisant la consommation de son eau, la population n'a pas le choix puisqu'elle doit bien s'approvisionner en le précieux liquide.

Un peu plus bas, le long de la rue de la Victoire, des vendeurs à la sauvette squattent les trottoirs, posant à même le sol leurs marchandises avant d'abandonner des monticules de déchets laissés sur place.

Les noyades, l'autre cauchemar des parents

Cette année plus que par le passé, une dizaine de jeunes ont laissé leur vie en voulant juste faire trempette pour échapper à la chaleur étouffante. Barrages, retenues collinaires, oueds et autres plans d'eau deviennent de véritables pièges mortels pour des jeunes qui souffrent cruellement du manque d'infrastructures de loisirs. Dans une giga-cité qui frôle les 500.000 âmes, les moyens de divertissement et de loisirs sont quasi-inexistants. L'argent public, par pelletées entières, dépensé pour la réalisation d'infrastructures dédiés à la jeunesse et aux activités sportives, n'a aucun impact sur le terrain, tant la ville donne l'impression de manquer de tout. Cette année, contrairement aux années précédentes, les navettes quotidiennes vers la côte mostaganémoise n'ont pas été organisées pour permettre aux jeunes sans moyens d'échapper au soleil dardant. Ali, un ancien athlète converti avec succès dans le monde des affaires, veut investir son argent dans la construction d'une piscine à Tiaret, «mais personne ne m'a jamais tendu une oreille attentive» se désole-t-il.

A Biban Mesbah, un petit hameau coincé entre Tiaret et Sougueur sur la RN 23, les jeunes, livrés à l'ennui et au mal-vivre, n'ont rien trouvé de mieux pour dénoncer leur quotidien en noir et blanc que de taguer sur un mur décrépi «ici s'arrête la vie !».

L'enfer de la drogue

La semaine dernière encore, un jeune, sous l'emprise de la drogue, a failli tuer son père quand il a sorti un couteau pour s'en prendre à sa propre famille en pleine nuit. La recrudescence des crimes de sang, la majorité commis par des jeunes déboussolés, inquiète la population qui craint pour sa sécurité. Dans plusieurs quartiers de la ville, la guerre des gangs fait rage, comme c'est le cas à la cité «Sonatiba» ou encore la cité «Zaâroura», au sud de la ville. Pris au piège du mal-vivre et du chômage, des «grappes» de jeunes plongent tête la première dans l'enfer de la drogue et de l'alcool. D'autres se shootent aux psychotropes pour fuir, un furtif moment, une réalité trop dure à supporter. Cette année encore, les services de sécurité enregistrent un nombre record d'affaires liées aux trafics de drogue et de psychotropes. Perdus dans un vide sidéral à cause du manque cruel de moyens de distractions et de loisirs, la jeunesse traîne son ennui à longueur de journée. Interdite de chapitre depuis des lustres, plus personne à Tiaret ne sait ce qu'est une activité culturelle ou artistique.

Rien, absolument rien d'intéressant à se mettre sous la dent. Aucune association culturelle ni troupe musicale, jadis fierté de la ville de Ali Mâachi, n'a survécu à la mode terriblement réaliste du «manger avant de songer».