
Chez les
cheveux blancs, s'accroît le cynisme, « ând chib,yakwa el ib»,
est une vieille expression populaire toujours sur le bout de la langue dans le
pays. On raconte qu'il était une fois un sexagénaire qui s'était remarié une
deuxième fois avec une jeune épouse « zawdja » tout
en gardant la première. Aussi, pour être juste et équitable envers les deux
épouses, notre bienheureux bonhomme se partageait entre les deux foyers pour
chaque nuit qui passait. Lorsqu'il se rendait chez l'épouse « s'ghira », cette dernière le prenait dans ses bras et
commençait à lui enlever avec ses petits doigts, les cheveux blancs, signe du
vieillissement, qui avaient envahi et blanchi toute la chevelure de son
conjoint. Et quand il revenait auprès de sa vieille épouse « âdjouza », elle le prenait aussi dans ses bras et lui
enlevait les cheveux noirs de la jeune épouse qui étaient restés accrochés à
ses vêtements. Cette attention des deux épouses pour le mari avait pour seul
but de chercher à gagner les faveurs du bigame.
Tout le
monde a le sentiment que les vieux d'aujourd'hui ne sont pas de fervents
partisans du « vivre ensemble ». Ils sont un peu vexants, voire pesants, dans
leurs comportements envers les plus jeunes. Mais il faut le reconnaître aussi,
que cette jeunesse casse-pieds ne fait pas mieux pour arrêter cette animosité
envers les anciens. Les vieux espiègles ne supportent pas les jeunes de cette
génération, et les jeunes tire-au-flanc de cette époque ne peuvent pas blairer
les vieux grincheux qui ont un pied ici et un autre dans une autre époque. Les
deux époques sont retranchées dans leurs coins et se regardent en chiens de
faïence, en attendant des jours meilleurs et plus clairs. Les papys
d'aujourd'hui ne veulent pas revenir à la raison, toute relative du moment, ni
rester à la maison, pour vieillir gentiment dans l'espace prédestiné, après
tant de décennies d'errements et d'histoires. Quand un vieux prend de la
rouille dans un endroit, il y reste, jusqu'à ce qu'on le dégage. Les papys
endurcis sont très malins, et ils connaissent par cœur la chanson du chasseur
qui va à la chasse, et qui perd sa place. Quand les vieux sont tarabustés de
tous les côtés, ils adorent bien jouer au mort, quand ils sont entre la vie et
la mort, pour cela ils se terrent dans leurs tanières, pour ne pas perdre leurs
fauteuils. C'est fou, on a l'impression que la retraite dorée et la prise en
charge des cures thermales à Hammam Righa ne semblent
pas captiver l'esprit du troisième âge après tant de décennies de dur labeur.
Dans cette zone, au contraire, on se débarrasse des plus jeunes qui sont mis à
la retraite précoce pour ne pas ennuyer les vétérans qui restent « plus actifs
». Apres tout, tout le monde est d'accord et affirmatif, qu'un vieux c'est usé
et en même temps très rusé, et ça ne travaille pas beaucoup comme avant. S'ils
occupent une place tant convoitée par des morveux, trop ambitieux, c'est
uniquement par respect au droit d'aînesse. Il faut le reconnaître qu'un vieux
grincheux, ca se défend très bien quand même, quand
on veut l'évincer par la force pour lui prendre sa place. Le vieillissement est
un phénomène naturel, et l'entêtement est un acte incohérent dans notre drôle
d'époque. Dans une expression populaire on dit à ce sujet : que celui qui a
fait son temps, n'a pas à aspirer profiter du temps des autres.