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Les papys font de la résistance

par Hamid Dahmani

Chez les cheveux blancs, s'accroît le cynisme, « ând chib,yakwa el ib», est une vieille expression populaire toujours sur le bout de la langue dans le pays. On raconte qu'il était une fois un sexagénaire qui s'était remarié une deuxième fois avec une jeune épouse « zawdja » tout en gardant la première. Aussi, pour être juste et équitable envers les deux épouses, notre bienheureux bonhomme se partageait entre les deux foyers pour chaque nuit qui passait. Lorsqu'il se rendait chez l'épouse « s'ghira », cette dernière le prenait dans ses bras et commençait à lui enlever avec ses petits doigts, les cheveux blancs, signe du vieillissement, qui avaient envahi et blanchi toute la chevelure de son conjoint. Et quand il revenait auprès de sa vieille épouse « âdjouza », elle le prenait aussi dans ses bras et lui enlevait les cheveux noirs de la jeune épouse qui étaient restés accrochés à ses vêtements. Cette attention des deux épouses pour le mari avait pour seul but de chercher à gagner les faveurs du bigame.

Tout le monde a le sentiment que les vieux d'aujourd'hui ne sont pas de fervents partisans du « vivre ensemble ». Ils sont un peu vexants, voire pesants, dans leurs comportements envers les plus jeunes. Mais il faut le reconnaître aussi, que cette jeunesse casse-pieds ne fait pas mieux pour arrêter cette animosité envers les anciens. Les vieux espiègles ne supportent pas les jeunes de cette génération, et les jeunes tire-au-flanc de cette époque ne peuvent pas blairer les vieux grincheux qui ont un pied ici et un autre dans une autre époque. Les deux époques sont retranchées dans leurs coins et se regardent en chiens de faïence, en attendant des jours meilleurs et plus clairs. Les papys d'aujourd'hui ne veulent pas revenir à la raison, toute relative du moment, ni rester à la maison, pour vieillir gentiment dans l'espace prédestiné, après tant de décennies d'errements et d'histoires. Quand un vieux prend de la rouille dans un endroit, il y reste, jusqu'à ce qu'on le dégage. Les papys endurcis sont très malins, et ils connaissent par cœur la chanson du chasseur qui va à la chasse, et qui perd sa place. Quand les vieux sont tarabustés de tous les côtés, ils adorent bien jouer au mort, quand ils sont entre la vie et la mort, pour cela ils se terrent dans leurs tanières, pour ne pas perdre leurs fauteuils. C'est fou, on a l'impression que la retraite dorée et la prise en charge des cures thermales à Hammam Righa ne semblent pas captiver l'esprit du troisième âge après tant de décennies de dur labeur. Dans cette zone, au contraire, on se débarrasse des plus jeunes qui sont mis à la retraite précoce pour ne pas ennuyer les vétérans qui restent « plus actifs ». Apres tout, tout le monde est d'accord et affirmatif, qu'un vieux c'est usé et en même temps très rusé, et ça ne travaille pas beaucoup comme avant. S'ils occupent une place tant convoitée par des morveux, trop ambitieux, c'est uniquement par respect au droit d'aînesse. Il faut le reconnaître qu'un vieux grincheux, ca se défend très bien quand même, quand on veut l'évincer par la force pour lui prendre sa place. Le vieillissement est un phénomène naturel, et l'entêtement est un acte incohérent dans notre drôle d'époque. Dans une expression populaire on dit à ce sujet : que celui qui a fait son temps, n'a pas à aspirer profiter du temps des autres.