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Nouveau paradigme politique pour une nouvelle république: Proposition de feuille de route pour mener à bien le changement

par Lachemi Siagh*

Au moment où chacun s'interroge sur la nature du pouvoir en Algérie, ses véritables détenteurs et comment s'opère le passage à un autre mode d'organisation et de gouvernance, cette contribution tente d'apporter des réponses à ces questionnements, jeter un éclairage sur les points de vue des théoriciens de la question et proposer une démarche.

Elle abordera différentes conceptions de l'exercice de l'autorité politique : les théories « absolutistes », d'Ibn Khaldoun et de Hobbes, celle de Weber qui définit le pouvoir comme une domination reconnue comme « légitime » par les gouvernés et, enfin, celles de Locke, Rousseau, etc. qui le fondent sur un contrat social, librement conclu. Elle proposera un modèle de développement économique et social ainsi que la nature du leadership dont aura besoin l'Algérie.

Ibn Khaldoun est le premier à donner, au Moyen Âge, une explication sociologique du pouvoir et de l'Etat dans le monde musulman. Selon lui, on ne peut obtenir le pouvoir qu'en s'appuyant sur le groupe et l'esprit de corps. La capacité de dominer et de se défendre ne peut s'obtenir que grâce à l'esprit de corps, qui implique le sentiment d'orgueil, l'encouragement mutuel au combat et la volonté de se battre les uns pour les autres jusqu'à la mort. De par sa nature, le pouvoir, dit-il, veut la gloire pour lui seul. Cette exclusivité de la gloire découle du fait qu'il est fondé sur l'esprit de corps, et l'esprit de corps résulte de la réunion de nombreux clans, dont l'un est plus puissant que les autres. Celui-ci les domine, les soumet à son autorité et finit par les absorber. Ce grand clan se forme seulement derrière ceux qui appartiennent à une grande maison et qui exercent le commandement. L'un deux doit être leur chef et les dominer, et c'est lui qui s'impose comme le chef de tous les clans, parce qu'il est issu d'une famille qui a la suprématie sur toutes les autres. Quand il acquiert une telle position il devient trop fier pour partager son autorité et son commandement- car l'orgueil et la fierté font partie de la nature animale-, et il ne tarde pas à suivre la pente de l'amour-propre qui est innée chez l'homme.

La politique exige que l'autorité soit exercée par un seul homme. Le chef met au pas les différents clans et ne permet à personne de partager son autorité. Son pouvoir est d'autant plus solide que sa famille immédiate le soutient de façon indéfectible puis ses proches puis sa tribu puis le reste de la population. En contrepartie de la protection et de l'allégement du fardeau de la vie que procure la tribu à l'individu, celui-ci lui voue une grande loyauté. Les ressources sont partagées.

Cette caractéristique décrite par Ibn Khaldoun au Moyen Âge, demeure un fait dominant dans tous les systèmes politiques dans le monde arabe d'aujourd'hui, qu'ils soient monarchiques ou républicains.

L'Algérie ne fait pas exception.La configuration de l'Etat algérien et les lois qui la sous-tendent s'inspirent fidèlement des pays développés mais l'exercice du pouvoir est d'inspiration khaldounienne absolutiste et moyenâgeuse. En effet, depuis le coup d'Etat de1965 de feu Houari Boumédienne et dans lequel le Président Boutéflika a joué un rôle majeur, l'esprit de corps était incarné par « la famille révolutionnaire «, puis l'organisation des moudjahidines, le parti FLN, les organisations de masse, etc.Avec l'arrivée du président Boutéflika le clan familial a remplacé la famille révolutionnaire.

On comprend maintenant aisément combien il est difficile de changer le système. Le système n'est pas un parti politique formel agréé que l'on peut battre aux élections. Il s'agit d'une nébuleuse, d'une entité informelle dont les membres sont cooptées depuis l'indépendance et qui comprend les grands commis de l'Etat nommés à des postes par Le Général Larbi Belkhir, le Général Toufik et consort et des milliers d'autres personnes à la tête des organisations et entités qui soutiennent le pouvoir, qui forment son esprit de corps, qui bénéficient des largesses de ce système et qui font bloc pour le maintenir. La résistance au changement vient de là.

Max Weber(1922), tout comme Ibn Khaldoun, a observé que toute société devait reposer sur un type de domination mais se démarque de lui en précisant que cette domination doit être reconnue comme légitime.

L'autorité comme domination « reconnue légitime »

M. Weber (1922, trad. franç.1971) a une conception de l'autorité toute différente de celle d'Ibn Khaldoun. Pour lui l'autorité n'est pas le pouvoir de contraindre l'individu et d'extorquer des actes de soumission, mais une capacité reconnue comme légitime par les subordonnés. C'est la légitimation qui induit l'acceptation de l'ordre, faute de quoi la situation n'est pas à proprement parler « d'autorité » mais d'affrontement de pouvoirs. Max Weber(1962) définit ainsi les trois fondements de l'autorité c'est-à-dire les trois types idéaux de légitimation :

? le premier type de légitimité dite charismatique repose sur la croyance dans les qualités exceptionnelles d'un individu ;

? une légitimité traditionnelle, au contraire, repose sur la croyance que l'ordre établi de manière immémoriale, par des traditions, est sacré en lui-même, que cela suffit à le justifier, par conséquent ceux qui ont reçu l'autorité, selon les mêmes traditions, ont le droit de l'exercer. Le pouvoir n'est jamais remis en question. Il est légitime parce qu'il existe et qu'il est, en quelque sorte, d'ordre divin ;

? le dernier type de légitimité de type rationnel repose sur la conviction que les procédures par lesquelles des règles sont fixées sont légales et, donc, la croyance dans le droit de ceux qui ont l'autorité de modifier ces procédures ou de les fixer, pourvu qu'ils suivent une procédure régulière.

De ces types de légitimité découlent des rapports d'autorité différents. Par exemple, pour une légitimité « rationnelle », l'obéissance est due à la loi ou au règlement. Lorsque le type de légitimité est traditionnel, l'autorité n'est pas de même nature, elle est personnelle : l'obéissance que l'on doit dans une légitimité traditionnelle s'adresse aux dirigeants en tant que tels, en tant que personnes qui occupent une position d'autorité d'après ses règles traditionnelles. Dans un type de légitimité charismatique, l'obéissance est également une obéissance personnelle, c'est-à-dire qu'elle repose sur la foi dans le chef charismatique.

L'autorité renvoie donc au pouvoir lié au poste hiérarchique ou à la fonction ; c'est ce que Mintzberg(1985) appelle « pouvoir formel » ou « officiel », qui constitue également une forme de pouvoir légitime. Selon lui, l'autorité prend sa source dans la coalition externe, là où se trouvent les agents d'influence qui disposent d'un pouvoir légitime.

En Algérie la légitimité se veut de type rationnel mais dans les fait elle est charismatique voire même quasi-monarchique. Pour sortir du système existant il faudra jeter les bases pour substituer les légitimités dite charismatique et de type traditionnelle informelle qui semblent coexister par une légitimité de type rationnelle.Pour se faire le candidat à la magistrature suprême ne doit plus être coopté par un groupe influent mais être une véritable émanation du peuple.

Dans l'approche khaldounienne suivie consciemment ou consciemment en Algérie, il n'est pas fait référence à la légitimité de type rationnelle, bien que selon les principes religieux, le choix des dirigeants soit basé sur la choura ou consultation. Depuis la période du califat, il n'y a pas eu de règles formelles considérées comme légales pour la nomination des dirigeants. De ce fait, si aujourd'hui, dans le monde arabe, les Etats ont établi des règles qui sont considérées comme légales, le véritable pouvoir de désigner les candidats revient aux dépositaires de la force.

Alors que le pouvoir est la possibilité qu'un individu a d'imposer sa volonté à un autre, (Maillet.1988), la notion de pouvoir englobe le pouvoir légitime, le droit de commander ou de donner des ordres. L'autorité est liée à la notion de responsabilité et implique simultanément une position statutaire et des qualités personnelles. Ce sont ces dernières qui assurent l'entretien et la discipline. L'unité de commandement est donc fondamentale. Le commandement n'ayant d'efficacité que pour autant que les subordonnés en reconnaissent la légitimité (C. I. Barnard, 1938).

La conception de l'Etat.

Fonder un Etat selon Ibn Khaldoun requiert un grand esprit de corps de la part du groupe fondateur. Lorsque l'Etat universel en est encore à ses débuts, les gens acceptent mal de se soumettre à son autorité s'ils n'y sont pas contraints par la force, parce qu'il leur apparaît comme étranger. Mais une fois que les membres du groupe particulièrement désigné pour le pouvoir tiennent fermement le commandement et se transmettent le pouvoir durant plusieurs générations, et à travers des règnes successifs, alors les débuts tombent dans l'oubli.Les gens ont vécu depuis si longtemps en milieu urbain, génération après génération, nous dit Ibn Khaldoun, qu'ils ont oublié l'époque où ont été jetées les bases des Etats et ne savent plus rien de ce que furent les débuts de la dynastie régnante. Ils voient seulement que son autorité est bien assise, que le peuple lui est soumis et qu'elle n'a pas besoin de l'esprit de corps pour aplanir son pouvoir.

Un Etat bien établi peut donc se passer de l'esprit de corps. Le commandement est pleinement reconnu aux membres du groupe. Se soumettre à leur autorité et leur obéir devient une religion. On se bat pour eux comme on le ferait pour des articles de foi. Avec le temps, les membres de la famille régnante maintiennent leur autorité sur le gouvernement et sur leur propre Etat en s'appuyant, à défaut d'esprit de corps, soit sur des clients et des protégés qui ont grandi à l'ombre de son esprit de corps et de sa puissance, soit sur des clans extérieurs à son lignage mais qui lui sont attachés en tant que clients.

Dans cette conception khaldounienne de l'Etat patrimonial on comprend mieux ce qui se passe en Algérie et on est loin encore de l'Etat-nation où la notion démocratique de communauté voit les sujets se transformer en citoyens. Les analyses de Hobbes, Locke, Rousseau et Foucault, ainsi que la plupart des théories des relations internationales ? conçues en termes de territoires ? font référence à l'Etat moderne. L'approche khaldounienne rejoint, cependant, la souveraineté de l'Etat moderne affirmée par l'importance donnée aux frontières.

Ces penseurs politiques, qui ont recherché un fondement du pouvoir moins discutable que celui basé sur l'esprit de corps (Ibn Khaldoun), ou sur le droit divin (Saint Bonaventure) et moins arbitraire que la force (Machiavel), se sont tournés vers le concept juridique d'accord contractuel fondé sur le consentement mutuel.

La conception contractuelle de l'Etat est le produit d'une culture qui définit l'être humain comme un être rationnel, c'est-à-dire non seulement raisonnable, donc intelligent et moral, mais aussi intéressé, donc capable de calcul. D'ailleurs, les théories du contrat social, liées à une idéologie individualiste et utilitariste de la nature humaine, vont à l'encontre de la vision de la société des littéralistes musulmans. Selon ces théories, les individus préexistent à la société qu'ils fondent d'un commun accord. Ils sont égaux, naturellement compétitifs, calculateurs et naturellement portés à rechercher la sécurité. L'on comprend alors aisément que les fondements d'une démocratie basée sur ces principes soient difficilement acceptables dans un environnement de culture arabo-islamique dominé par les thèses littéralistes.

La soumission au gouvernant comme soumission « contractuelle » et « conditionnelle »

Pour créer un ordre nouveau, l'Algérie à besoin d'un nouveau et véritable contrat de société.

Le contrat de société ou le contrat d'association est le contrat des hommes entre eux quand ils décident de s'unir pour conférer à une seule personne ou à une assemblée la tâche de prendre des décisions concernant la sécurité et l'utilité commune de telle sorte que ces décisions soient considérées comme la volonté de tous en général et de chacun en particulier.

Pour Hobbes, le contrat d'association équivaut à un contrat de soumission qui est l'abandon volontaire et complet de la souveraineté individuelle aux mains des gouvernants qui s'engagent, de leur côté, à veiller sur la sécurité et à l'utilité commune. C'est un contrat des hommes avec un maître.

Hobbes refuse de distinguer l'association et la soumission. Pour lui, la seule façon de s'unir, c'est de se soumettre à un tiers. Les deux caractéristiques du contrat selon Hobbes sont :

? le fait que la soumission doive être totale;

? le fait que le maître lui-même ne soit pas lié par ce contrat (son pouvoir est absolu).

Soumission totale, d'une part, et pouvoir absolu, d'autre part, sont les conditions sine qua non d'un état civil, c'est-à-dire d'un état de paix. Ce qui préserve l'Etat, c'est l'autorité. La seule chose que Hobbes exige des citoyens, c'est l'obéissance. Mais en contrepartie, les citoyens gagnent la sécurité et le respect de leurs biens.

Hobbes est en parfaite harmonie avec le point de vue khaldounien qui est aussi absolutiste. Contrairement à lui, Locke pense que nul gouvernement légitime (c'est-à-dire librement consenti) ne saurait être un gouvernement absolu. En effet, nul homme ne serait assez fou pour consentir à abandonner tous ses droits. L'idée de Locke est que, dans l'état civil, la règle est celle de la majorité et non de l'autorité absolue d'une instance toute-puissante.

C'est le présupposé de toute la pensée politique libérale d'après Locke que l'opinion de la majorité doit être la meilleure. Ce présupposé repose sur un acte de foi. Comme se le demandait Pascal, pourquoi suit-on la pluralité? Est-ce parce qu'elle a plus de raison ou parce qu'elle a plus de force?

Selon Locke, les hommes entrent donc dans l'état civil par un contrat d'association (consentement mutuel) et un contrat de soumission conditionnel. Le contrat de soumission au gouvernement est dissout dès que la majorité considère ce gouvernement comme inadéquat, c'est-à-dire incapable d'assurer la sécurité.

Pour Rousseau la soumission au souverain est toujours conditionnelle. Ce n'est pas une aliénation des droits naturels mais un simple dépôt. Pour lui, le problème est d'abord et avant tout de préserver la liberté. Aussi l'exprime-t-il ainsi :

« Trouver une forme d'association par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant. »

Rousseau présente la solution à ce défi dans le Contrat social:

« L'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. Car, premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et la condition étant égale pour tous, nul n'a intérêt de la rendre onéreuse aux autres. »

Autrement dit, paradoxalement, c'est la totale réciprocité dans l'abandon des prérogatives individuelles qui crée le lien social. Cette association par le don total de chacun à toute la communauté rend inutile un contrat de soumission.

Par cette association, l'individu perd la liberté naturelle ? qu'il partage avec tous les êtres vivants ? de subvenir à ses propres besoins avec toutes les forces dont il dispose. Mais il gagne la liberté sociale définie comme la jouissance de droits garantis par la loi qu'on s'est soi-même donnée (liberté d'autonomie). Le même individu, en tant que sujet, obéit aux lois et, en tant que citoyen, les promulgue.

Cette liberté d'autonomie (« L'impulsion du seul appétit est esclavage et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté », dit Rousseau) est possible parce que le pacte social instaure entre les hommes une véritable égalité juridique envers et contre les différences naturelles:

« Au lieu de détruire l'égalité naturelle, le pacte fondamental substitue, au contraire, une égalité morale et légitime à ce que la nature avait pu mettre d'inégalité physique entre les hommes, et que, pouvant être inégaux en force ou en génie, ils deviennent tous égaux par convention et de droit. » Rousseau, Du Contrat social, L.I, ch.IX

La conception de l'Etat en Algérie doit, au demeurant, s'orienter vers une conception moderne telle que déclinée par Locke et Rousseau.

A la lumières du soulèvement populaire que connaît l'Algérie il est urgent de rechercher un fondement du pouvoir moins discutable que celui basé sur l'absolutisme ou le charisme de l'homme providentiel, et moins arbitraire que la force. Il s'agit de se tourner vers ce concept juridique d'accord contractuel véritable fondé sur le consentement mutuel qui est le produit d'une culture qui définit l'être humain comme un être rationnel, c'est-à-dire non seulement raisonnable, donc intelligent et moral, mais aussi intéressé, donc capable de calcul.

Pour se faire il convient de convoquer de façon urgente des États Généraux où seront représentés toutes les sensibilités du pays, toutes les forces vives de la nation sans exclusive : étudiants, jeunes, Syndicalistes, intellectuels, artistes, hommes politiques de l'opposition et représentants du pouvoir actuel, militaires, avocats, journalistes, les algériens vivant à l'étranger sans exclusive, etc.

Ces États Généraux auront la tâche de concevoir un nouveau système de gouvernance basé sur ce nouveau contrat de société et de définir le type de leadership qu'ils voudront.

Un changement profond nécessite le ré-engineering du système algérien tout entier Il est absolument nécessaire de mettre fin à cette situation qui a instauré le statu quo et qui n'a laissé aucune place à la négociation interne.Une évidence s'imposera d'emblée aux États Généraux à savoir qu'il est illusoire de s'attendre à ce que les personnes qui, pendant cinquante six ans, ont minutieusement construit ce système basé fondamentalement sur l'étatisme, le centralisme et le contrôle outrancier puissent réformer en profondeur le système de gouvernance politique et économique du pays.De même, il ne faut pas s'attendre à ce que les détenteurs du pouvoir depuis l'indépendance, construisent un modèle conforme aux aspirations de la majorité de la population du pays qui est jeune et vit à l'ère des technologies du virtuel. Il s'agit, donc, de substituer à la souveraineté de l'Etat et de la nation la souveraineté du peuple, tout en garantissant toutes les libertés individuelles et la liberté de conscience. Dans ce contexte il s'agit de l'abandon de l'étatisme outrancier, de la centralisation, de la logique de contrôle et des idées rétrogrades et populistes enrobées dans le vocable de « patriotisme».

Ce re-engineering doit :

1. Sur le plan politique :- réhabiliter les institutions qui doivent être le reflet d'élections libres et propres ;- favoriser des partis politiques qui tirent leur légitimité de la volonté populaire et qui respectent le jeu démocratique ;- mettre en place une véritable séparation des pouvoirs impliquant une authentique indépendance du pouvoir judiciaire ;- limiter les mandats présidentiels à deux quinquennats ;- autoriser des médias privés libres auprès des médias publics ; les médias lourds doivent accorder le même temps aux différents candidats en périodes d'élections ;- promouvoir la méritocratie en matière de choix des hommes à la place du clientélisme et de l'obéissance ;- mettre en œuvre une décentralisation qui donne plus de pouvoirs et de moyens fiscaux aux wilayas pour qu'elles soient maîtresses de leur développement.

2. Sur le plan économique et social :- Articuler une vision et un projet de société qui visent à mettre en œuvre la réalisation d'une classe moyenne. Un projet de société qui fasse rêver la jeunesse, mobiliser le peuple et mettre au travail l'ensemble de la nation. Ceci nécessitera des investissements massifs dans le développement humain, à savoir, la santé, l'éducation, la formation professionnelle, l'enseignement supérieur et la recherche scientifique. Une mutation profonde dans ces secteurs est vitale en vue de mettre en place la culture du savoir, du savoir-faire et du savoir- être et qui fera d'Alger un pôle d'attrait pour les compétences non seulement algériennes mais aussi mondiales.- En matière de développement humain, il s'agit, donc,d'investir dans le développement et la promotion de toute la population algérienne afin de lui permettre de passer d'un état de population assistée à celui de population industrieuse, productive, efficace qui s'insère dans un ordre mondial nouveau, construit sur le savoir. Cette population doit donc être en mesure d'accompagner l'Algérie dans son voyage vers une société prospère.- L'Algérie doit, par conséquent, investir plus que jamais dans son peuple afin que toute la population puisse participer de façon effective à la vie économique, sociale et politique du pays. Il s'agit de mettre en place des systèmes d'éducation et de santé qui répondent aux standards internationaux les plus élevés et, en même temps, d'amorcer un retour des compétences algériennes exerçant à l'étranger en créant les conditions économiques, sociales, et culturelles appropriées pour favoriser ce retour. Il s'agit de mettre les hommes et non la production au cœur de l'approche du développement économique. Nous avons vu que l'argent seul ne fait pas le développement.A mesure que le prix du baril de pétrole augmentait le pouvoir se sentait omnipotent et s'enferme dans la logique de l'étatisme outrancier, du centralisme et de l'autoritarisme. Il retarde aussi longtemps que possible toute réforme politique et verrouille le jeu démocratique.Sur le plan social, on avait assisté à ce paradoxe algérien où à mesure que les ressources financières du pays augmentent le pouvoir d'achat des masses diminuait. En même temps les malversations et les détournements de fonds se multipliaient.Cette situation de dépendance quasi-totale envers le pétrole a fragilisé dangereusement l'économie du pays et retardé l'avènement d'un développement durable à même de garantir le bien-être de la population et l'avenir des générations future.

En matière de santé :- L'Algérie doit développer un système de santé intégré, géré selon les meilleurs standards internationaux. Ce système doit être accessible à toute la population et offrir des services médicaux à travers des institutions publiques et privées.- La politique nationale de santé doit établir et surveiller des normes relatives aux aspects sociaux, économiques, techniques et administratifs de soins médicaux et promouvoir des services performants et à la portée de tous. Un système de santé capable de permettre aux Algériens de vivre plus longtemps et en bonne santé. Des soins préventifs et curatifs prenant en compte les besoins de tous. Une recherche de haute qualité favorisera la santé publique, la biomédecine et l'efficacité clinique. En matière d'éducation :- L'Algérie doit mettre en place un système d'éducation et de formation de niveau international qui dispense une éducation de toute première qualité comparable à celle offerte par les meilleurs établissements scolaires, universitaires et écoles techniques dans le monde. Ce système doit comprendre des programmes qui encouragent la pensée analytique, les matières quantitatives, la créativité, l'innovation et l'entrepreneurship, tout en favorisant la cohésion sociale et le respect de la culture et des valeurs algériennes.- Le système doit offrir des opportunités aux étudiants pour développer tout leur potentiel et les préparer au succès dans un monde qui compte de plus en plus sur un niveau de technicité élevé. Il doit élever la performance à tous les niveaux et offrir des possibilités pour l'éducation et la formation au-delà du niveau secondaire. La formation continue et l'expansion des capacités du corps professoral doivent aussi constituer un élément important du système.- L'Algérie devra accroître les capacités de la main-d'œuvre algérienne en vue de la préparer au passage d'une économie dominée par les hydrocarbures à une économie diversifiée basée sur le savoir, une économie animée par deux secteurs, le public et le privé, qui travaillent harmonieusement ensemble, dans un esprit de complémentarité et de fertilisation croisée, loin de la domination d'un secteur par rapport à l'autre.- Il faudra encourager les emplois rémunérateurs dans des secteurs à très haute valeur ajoutée. Grâce à cela l'Algérie devra pouvoir retenir les meilleures compétences et amorcer un processus de retour des compétences expatriées. C'est grâce à cela que le pays pourra sortir de la logique de la rente et de son rôle de pourvoyeur de matières premières dans lequel le confine la spécialisation mondiale. C'est aussi grâce à cela qu'il pourra bâtir son avantage concurrentiel, mettre en oeuvre une véritable réforme financière et favoriser un secteur privé national fort en vue de diversifier l'économie et réduire sa vulnérabilité.- Investir dans les nouvelles technologies du numérique et se départir des entreprises et des secteurs sans avenir, peupler le pays de PME, d'entreprises apprenantes et irriguer financièrement l'ensemble du pays pour faire régresser l'informel.

Cette vision nationale doit avoir comme objectif de transformer l'Algérie à l'horizon 2030 en un pays émergent prospère, avec un haut niveau de vie, capable de compter sur une économie diversifiée et qui n'est plus entièrement dépendante des hydrocarbures. Elle doit conduire à la résorption des disparités régionales, des écarts entre les classes sociales et redonner de la dignité et de l'espoir à tout un pays.

Quel type de leadership pour l'Algérie pour mener à bien ce défi?

L'intérêt que représente un leader pour ses administrés ne réside ni dans sa personne physique- élégance, beauté des traits, taille -, ni dans l'étendue de son savoir, ni dans sa belle écriture, ni dans la perspicacité de son esprit {Ibn Khaldoun}. Il dépend surtout de sa relation avec eux. Le pouvoir et l'autorité sont quelque chose de relationnel, c'est-à-dire impliquant une relation entre deux termes qui doivent aller ensemble. Dans la vérité, le leader est celui qui gouverne ses concitoyens et qui dirige leurs affaires. Le leader est celui qui a des administrés, et les administrés, ce sont des personnes qui ont un leader. Cette relation de leader à administrés est ce qu'on appelle l'exercice du pouvoir. Si l'exercice du pouvoir et ses conséquences sont suffisamment bons, le but de l'autorité est pleinement atteint. Selon Ibn Khaldoun, ce qui fait une bonne autorité c'est la douceur. Si un souverain emploie la force de contrainte et est prompt à punir, ceux-ci seront craintifs et vils. Ils se protègeront contre lui derrière le mensonge, la ruse et la tromperie dont ils feront la base de leur conduite. Leur intelligence et leur caractère seront corrompus. Souvent ils conspireront contre lui. Ainsi l'Etat se disloquera.Une bonne autorité, se doit d'accorder ses bienfaits aux citoyens et d'assurer leur défense. Car c'est la défense qui donne sa véritable signification au pouvoir. Quant aux bienfaits et à la bienveillance, ils font partie de la douceur que doit montrer le dirigeant envers ses concitoyens et de l'attention qu'il doit porter à leurs conditions d'existence. C'est un des meilleurs moyens pour lui de gagner l'amour de ses administrés.

L'exercice du pouvoir en Algérie est moins régi par les principes énoncés par Ibn Khaldoun ou par le principe de la « wassatiya » islamique, qui prône la concertation, que par celui de la coercition absolue.

La relation entre l'autorité et le citoyen que nous observons, cependant, est celle d'un gouvernement de type coercitif, où la force prend le dessus sur le droit et où celui qui détient le pouvoir détient le droit. Il existe une grande distance entre le pouvoir et le citoyen et, de fait, le pouvoir est un fait dans la société qui précède le choix entre le bien et le mal. La question de sa légitimité ne se pose pas. La force prend le dessus sur le droit. Ceci est le résultat d'un manque d'une véritable représentation et donc de médiation. Le style autocratique est de ce fait dominant. La pierre angulaire de la plupart des zaouias est la légitimation des actions du leader. L'hypocrisie est tolérée et les actions du leader sont souvent justifiées et approuvées. Cette situation contraste singulièrement avec les styles consultatifs, participatifs, et de délégation qui découlent des enseignements de la culture islamique de base. Il y a, en réalité, un phénomène où les hauts dirigeants contrôlent le comportement des administrés à travers la manipulation. Bien que les enseignements du Coran réclament la consultation (« Consultes-les en ce qui a trait aux affaires du moment, et lorsque que vous arrivez à une décision faites confiance à Dieu », Le Coran 3 : 159). Les dirigeants ne sont pas élus démocratiquement et l'autorité n'est pas basée sur le consentement des gouvernés. Cette situation a créé des tensions découlant d'une division de loyauté: adhérer aux principes islamiques et obéir en même temps aux ordres du dirigeant, « la double pensée (double think », un terme utilisé par George Owell pour désigner une situation où l'on maintient simultanément deux principes contradictoires, où ce (principe islamique) idéal est défendu officiellement mais violé en pratique. Ce que Child appelle la tricherie mentale (« mental cheating »). Le dirigeant cherche souvent à préparer les administrés à accepter des décisions déjà prises par les dirigeants et à améliorer son image personnelle.

Les postes sont obtenus à travers un dosage de régionalisme et de propension à la loyauté plus que a compétence ou le mérite personnel. Par ailleurs le régime a mis en place un système pseudo-consultatif où les représentants du peuple sont à toute fin pratique nommés ; leur élection n'étant qu'une formalité. Leur rôle est d'avaliser sans remise en question sérieuse les décisions du pouvoir. Il s'agit d'un système pluraliste de façade, le passage du pouvoir d'un parti à un autre ou à une autre coalition se fait dans la douleur et rarement sur la base de résultats électoraux transparents.

L'Algérie est aujourd'hui à la croisée des chemins. La population est appelée à choisir un leader pour les cinq années à venir. Comment faire ce choix. En d'autres termes, de quel type de leader l'Algérie a-t-elle besoin ?Par le passé l'Algérie a fait l'expérience du leadership de type paternaliste et autoritaire avec les présidents Ben Bella et Boumediene. Le style paternaliste se caractérise par une attitude bienveillante et paternelle. Ce type de leadership assure l'adhésion des citoyens mais il a le désavantage d'opprimer leur liberté.Le leader autocratique commande, prend toutes les décisions et exige de ses administrés qu'ils fassent exactement ce qu'il désire. Ses administrés ne participent pas au processus décisionnel ; la communication se fait à sens unique, du haut vers le bas. Le leader autocratique n'a pas confiance en ses administrés qu'il juge paresseux, manipulables et corruptibles. Il croit devoir surveiller et contrôler tout ce qu'ils font. Il centralise la prise de décision et refuse de déléguer son autorité. Ce style autocratique permet, en outre, au leader de prendre des décisions rapides sans consultations ni études préalables. Ces styles de leadership qui ont prévalu au cours du demi-siècle écoulé ont connu leur limite et n'ont pas permis de mener l'Algérie dans le concert des nations véritablement démocratiques sur le plan politique et parmi les pays émergents sur le plan économique, malgré les richesses humaines, matérielles et financières dont elle dispose.

Pour sortir l'Algérie de l'ornière les Algériens doivent choisir un leader transformationnel capable de mener à bien une véritable transition.Le leadership transformationnel est celui qui va apporter une nouvelle façon de regarder l'Algérie, plus précisément une vision de ce qu'elle pourrait et devrait être. Il se concentre sur l'avenir du pays et les changements nécessaires pour améliorer sa situation. Les administrés travaillant sous ce style de leadership vont se consacrer à l'atteinte de cette nouvelle vision. De plus, ils devront se concentrer davantage sur leurs objectifs plutôt que sur leurs intérêts personnels.Quelles sont les principales qualités d'un leader transformationnel ? Selon Warren Bennis et Burt Nanus, elles sont au nombre de quatre :

- élaborer une vision séduisante : le dirigeant a une vision unique de l'avenir du pays qui encourage les administrés à travailler davantage pour réaliser cette vision ;

- faire partager sa vision aux autres : d'excellentes aptitudes en communication et le pouvoir de rallier les administrés à sa cause distinguent le leader transformationnel des autres dirigeants ;

- Susciter la confiance : la confiance est un élément important dans la relation d'un dirigeant avec ses administrés ; en se montrant fiable, le dirigeant aide à entretenir une relation honnête entre lui et ses administrés.

- se réaliser en ayant confiance en soi : le dirigeant connaît bien ses aptitudes et points forts mais a une aussi bonne compréhension de ses faiblesses et de ce qu'il doit faire pour continuellement s'améliorer.

L'Algérie a donc besoin aujourd'hui d'un leadership transformationnel mais aussi démocratique qui incite les administrés à prendre part au processus décisionnel. Un leader véritablement démocrate sait écouter, évite d'imposer ses idées et consulte largement avant de prendre une décision. Ce type de leadership privilégie une communication bidirectionnelle, délègue son autorité et fait participer à la prise de décision mais la délégation implique le contrôle et la nécessité de rendre des comptes. Il s'entoure de compétences et privilégie la méritocratie.Le leader transformationnel qui prendra en charge le pays ne devra pas perdre de vue que l'Algérie est un pays dont plus de la moitié de la population a moins de trente ans et que les détenteurs du pouvoir réel sont des septuagénaires et octogénaires. Par conséquent, il faudra prendre garde à ce que la conception d'une stratégie pour l'Algérie ne soit pas faite par et pour la génération de la machine à écrire qui gouverne le pays aujourd'hui, mais par et pour la génération des réseaux sociaux comme facebook, twiter, internet, etc., c'est-à-dire la génération du virtuel, pour laquelle il n'y a plus de frontières et qui ne partage pas les mêmes valeurs que leurs grands-parents. C'est l'ère du post-matérialisme, de la fin de la ruralité et même de la territorialité. Cela implique un changement radical de perception et de préoccupations. Pour les jeunes, les frontières n'existent plus. Leur approche par rapport à celle de l'ancienne génération quant aux rapports entre hommes et femmes a changé. Les jeunes se rencontrent de plus en plus via internet qui ne connaît pas de frontières. La génération de la machine à écrire ne se reconnaît pas forcément dans les valeurs de la génération internet. Les jeunes d'aujourd'hui adhèrent à de nouvelles croyances et à de nouvelles valeurs en surfant sur internet. La mondialisation y est pour quelque chose.

Les États Généraux doivent se réunir dans les plus brefs délais pour se mettre à la tâche et avant tout scrutin qui devra se faire sous ces nouvelles bases. Nous espérons que cette proposition de feuille de route sera utile pour mener à bien le cheminement vers une Nouvelle République.

Bibliographie

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*Docteur en stratégie des organisations, mba et diplômé de science po. Banquier international