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Journée de la ville : comment le centre-ville d'Oran a changé à travers les siècles ?- Les places d'Oran

par Metair Kouider*

Oran est née de la source de Ras el Aïn. Ceinte par une multitude de fortifications et de remparts, elle s'est développée au fond du ravin éponyme et elle y est restée durant près de 10 siècles. Après le tremblement de terre de 1790, le bey Mohamed el Kébir fera grimper la ville sur la rive droite du ravin mais toujours à l'intérieur de la muraille, la Barrera, érigée par les Espagnols.

Les habitations, marchés, mosquées et ou églises s'agglutinaient autour d'une placette qui existe encore de nos jours: la place Abdelbaki Benziane, appelée aussi place de la Perle, ou anciennement Plaza Mayor ou de Armas à l'époque espagnole.

La Plazza de Armas

Elle portait, du temps des Espagnols, les noms de place de l'Hôpital, ensuite «Plaza Principale» et enfin Plaza de Armas et fut le centre-ville historique de la cité durant des siècles.

Il faut dire que nous ne connaissons pas bien la configuration de la ville durant la période arabo-musulmane depuis sa fondation jusqu'à son occupation par les Espagnols, qui vont transformer cette ville d'origine andalouse en ville du Moyen Age.

Toutes les ruelles, comme «La Calle» de la Carrera, de Amargura, de la Merced ou de la Parra convergeaient vers la place, Plaza Mayor, devenue Plaza de Armas, et servait pour les festivités officielles et la parade militaire. Le site va connaître des aménagements et des travaux d'embellissements du temps du bey Bouchelaghem et plus tard des gouverneurs Valejo et Alvarado. Une plaque en espagnol accolée au mur d'une maison indique les quelques travaux effectués en ce moment-là sur la place.

La ville et la place ont beaucoup souffert du tremblement de terre. A l'arrivée des Français, la plupart des maisons et bâtiments étaient en ruine, séquelles.

L'inconvénient de cette place, c'est qu'en plus elle était enclavée. Elle l'est toujours. La colonisation française va procéder à des aménagements importants et en particulier des percements de voies qui vont structurer le vieux quartier de Sidi el Houari et faire glisser le centre de gravité de la vieille ville.

La place Kléber (actuellement Boudali Hasni)

On va commencer, en 1844, par le percement de ce qui va devenir le boulevard Oudinot (actuellement Frères Guerrab) en suivant le tracé de la muraille d'enceinte.

Ensuite et simultanément l'ouverture du boulevard de Ras el Aïn, plus connu sous le nom de Stalingrad, actuellement Kheddim Mustapha. A l'instar des voies précédentes, la rue Basse Orléans et la rue Charles Quint, percées, vont aboutir à la place Kléber: «Sa situation en faisait vraiment le point de contact de tous les quartiers, le carrefour principal des communications à l'intérieur des murs, le centre même de la ville»(1). La borne du km zéro y sera d'ailleurs plantée à ce niveau. Cette borne est toujours là et au même endroit. La Porte de Canastel permettait, elle, de rejoindre la vieille ville par la rampe de Madrid.

A cela, va s'ajouter l'érection du beau bâtiment de la préfecture (1852) et l'hôtel de la Paix ou séjournera Napoléon III lors de son passage à Oran en 1865. Mais comme la place reste de dimension modeste, à peine un peu plus large que celle de la Perle, on va songer à créer une esplanade de 5.000 m²: la place Impériale, dénommée plus tard place de la République. Une belle promenade avec une balustrade donnant sur la mer, un kiosque à musique, des immeubles au gabarit haussmannien: «La création de cette place fut assurément la plus heureuse de toutes»(2). La mairie y sera domiciliée. L'ingénieur des ponts et chaussées Aucour, acteur de tous ces aménagements, va léguer sa fortune avec laquelle sera érigée une gracieuse fontaine. Les énormes ficus dont les branches s'entrelacent, les immeubles en réhabilitation et l'ouverture aux abords de plusieurs restaurants de poissons font que cette place n'ait rien perdu de sa superbe, mais nécessite néanmoins un lifting intelligent qui tiendrait compte de la mémoire des lieux.

La vieille ville va se trouver à l'étroit, recroquevillée sur elle-même au fond du ravin, elle ne peut s'étaler sur le plateau en raison de l'existence de la muraille d'enceinte et de nombreux établissements militaires. René Lespes note : «... l'armée a joué un rôle prépondérant dans ces premières années de notre établissement à Oran, et que les travaux exécutés par elle en vue de la défense ou de l'installation de ses services, occupent la première place dans l'histoire de la ville. Elle pouvait se faire la part belle sur le site d'une cité à moitié ruinée ; elle n'y a pas manqué, et son emprise, dont il serait difficile de contester l'utilité à l'époque où elle a été opérée, devant avoir des conséquences graves pour l'aménagement futur de la cité moderne»(3).

Durant ce que René Lespes appelle la période militaire (1831-1848), il y a eu une emprise militaire sur le site urbain, ce qui a généré une longue période de conflits entre les édiles de la ville et l'armée, des conflits de compétence entre les ingénieurs civils et les officiers du génie qui a duré près d'un siècle.

Et nous allons voir comment au fur et à mesure de l'extension de la ville et des déplacements de son centre, ce conflit a contrarié l'évolution « naturelle » de la cité.

Lors de sa visite à Oran, en 1865, l'empereur Napoléon III va enregistrer et répondre positivement aux doléances des autorités civiles en déclassant la muraille d'enceinte datant du 16ème siècle. C'était suffisant pour que la ville à l'étroit saute enfin la ligne fixée par les remparts et s'étale sur le plateau de Karguentah. Un nouveau centre-ville se dessine en perspective à partir des années 1880. La construction d'une mairie en 1886 sera suivie par des travaux d'édilité prévus dans le plan daté déjà de 1867 et repris par celui de 1880 : Hôtel de ville, Palais de justice, prison, gendarmerie, lycée de garçons, lycée de jeunes filles, cathédrale, synagogue, théâtre, ouverture des grands boulevards Joffre, Seguin, Gallieni, etc.

Depuis, la ville haute tourne le dos à la ville basse. Seule la préfecture va rester en fonction jusqu'en 1958, date d'ouverture du nouveau bâtiment actuellement siège de la Wilaya.

L'Oran moderne va tourner irrémédiablement le dos au Vieil Oran et le centre-ville aura changé trois fois en moins d'un siècle.

La place d'Armes

Le démantèlement des anciens remparts va permettre de créer la place d'Armes, anciennement place Napoléon, ses dimensions furent réduites de 115 à 100 m de côté, suite aux réserves de l'armée qui gardait jalousement le cercle militaire.

Ornée de haies d'arbres, ficus, dragonniers et palmiers, elle servait aussi de parking vu l'existence de deux salles de spectacles : l'opéra et le cinéma Royal et d'une monumentale Mairie. Au milieu trônait l'obélisque de Sidi Brahim avec la statue de la Victoire ailée et le bas-relief de l'Emir Abdelkader en lieu et place de Marianne.

La place d'Armes, malgré son importance, restait excentrique en raison des réticences du génie militaire français d'abandonner le glacis, c'est-à-dire l'ancien mess des officiers. De ce fait elle n'avait pas accès à cette vue sur la mer tant désirée.

Toujours durant la période coloniale, certains élus avaient réclamé la démolition de ces « murailles de pacotille » (les remparts du Rosalcazar) pour ouvrir une voie vers la mer. La question est restée un sujet de controverse durant plus d'un siècle. Et même après l'adoption du plan d'aménagement, d'embellissement et d'extension de la ville, élaboré par l'architecte Wolff, suite à l'application de la loi de 1919, l'armée française qui s'est retirée de toutes les casernes en ville, à l'intérieur de l'enceinte, ne lâche rien en ce qui concerne le Rosalcazar et le mess des officiers situé sur le glacis. Il faut dire, aussi, que le Palais du bey, construit au sein même de la fortification du Rosalcazar, était le siège du gouverneur militaire jusqu'en 1962.

Après l'indépendance et dans les années 70, l'ANP emménage dans son nouveau siège de la 2ème Région militaire actuelle, sur l'ancien site du vélodrome. Elle quitte la fortification du Rosalcazar mais garde le glacis, même après la démolition du beau pavillon qui servait de mess. A sa place, elle y construit en 2001 un centre d'information.

Il a fallu attendre 2008 pour que la proposition de délocalisation du centre d'information, présentée par notre association et portée par l'APC de l'époque, soit agréée par les responsables du secteur de l'ANP. Notre plaidoyer, soutenu sur site en présences des autorités civiles et militaires et du ministre de l'Intérieur de l'époque, reprenait l'historique des lieux et les contraintes posées par la fortification du Rosalcazar.

Une perspective s'ouvre pour enfin concrétiser un vieux rêve, celui de l'extension de la place d'Armes et l'accès à travers une passerelle au belvédère tant désiré. Et tant qu'à faire ouvrir un troisième accès au jardin Ibn Badis (ex-Promenade de Létang) qui contribuera, sans doute, à son désenclavement. Ce projet attendu depuis plus d'un siècle doit être mené en questionnant la mémoire des lieux qui va nous renseigner sur la logique constructive et nous suggérer une logique d'intervention, nous permettant des économies en temps, en argent et en... erreurs.

C'est une opportunité urbaine qui pourrait changer la face du centre-ville. On ne connaît pas une cité méditerranéenne qui disposerait d'une réserve foncière de plus de 7 ha en plein centre-ville. La question des servitudes militaires, même si un temps a constitué un frein à l'urbanisme, a servi, in fine, de réserve foncière pour permettre, au moment où l'on attend le moins, à la ville de tirer tous les avantages de son site et lui permettre enfin de regarder et voir la mer depuis les remparts et le jardin Ibn Badis.

La place du 1er Novembre, ex-place d'Armes, pourra retrouver son rôle de place centrale, un lieu de retrouvailles, d'évènements culturels, de convivialité. En comparant la ville à un appartement, l'architecte Jean Nouvel disait que si les pièces seraient les quartiers, la place, elle, serait le salon, où se retrouvent tous les membres de la famille et les invités. L'extension de la ville vers Akid Lofi et le nouveau quartier du Golf s'est faite sans prévoir de place, c'est juste des quartiers à forte densité urbaine et commerciale et ne pourraient remplacer le cœur de la cité. Une ville a besoin d'une place digne de ce nom, c'est pourquoi il faut revoir le dernier aménagement qu'a subi la place du 1er Novembre lors des travaux du tramway et raser les obstacles érigés pour servir de bassin et de cascades et que maintenant on a rempli de terres pour faire pousser du gazon. Il faut faire ressurgir les nombreux arbres qui ont dépéri suite aux nombreux aménagements ratés. Avec l'extension, une opportunité s'offre à notre ville pour se réapproprier une place emblématique. Reste à favoriser la pratique du lieu et susciter d'autres vocations liées à l'art de la rue, à la distraction, à la détente et doter ce cœur de la ville d'un mobilier urbain attractif.

*Président de l'association culturelle Bel Horizon

(1-2-3) Lespes René, Oran, Etude de géographie et d'Histoire urbaines, Ed. Bel horizon, 2003.