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Crise diplomatique franco-italienne: Solder les comptes ?

par Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

La crise politico-médiatique franco-italienne sert d'abord les populistes et extrémistes italiens. Macron, le «Jupiter» français, oublie-t-il que «Jupiter» est un dieu romain ?

Entre l'impasse sur le Brexit et la brouille diplomatique franco-italienne, l'Europe «s'ouvre», à près de trois mois des élections européennes, une campagne électorale qui sied comme un gant aux partisans du souverainisme, aux nationalistes et eurosceptiques et, bien entendu, aux extrémistes de gauche comme de droite. Les attaques verbales et «croche-pieds» à la coopération économique traditionnelle menées par les vice-ministres italiens Di Mayo et Matteo Salvini contre la France ne sont pas des sautes d'humeur innées dues à la seule nature «populiste» du gouvernement italien. Elles ont des raisons, pour le coup, politiques, et un «compte à solder» entre les deux voisins.

D'abord, contrairement à ce qu'avancent les médias français, ce n'est pas la première fois depuis 1945 qu'un rappel d'ambassadeur a lieu entre les deux pays. En juin 2018, c'était l'ambassadeur français qui fut convoqué par le ministère des Affaires étrangères italien suite aux déclarations du président Macron qualifiant le gouvernement italien de «cynique et irresponsable» parce qu'il refusait au bateau humanitaire «l'Aquarius» d'accoster sur ses côtes. Puis, en octobre 2018, la police des frontières française est entrée en territoire italien, sans avertir les responsables italiens, pour renvoyer, encore une fois, des migrants venant d'Italie. En réalité, le gouvernement français et une grande partie de l'Europe avaient laissé l'Italie seule face aux flots de migrants venus de Libye, pays détruit sous la conduite de la France de Nicols Sarkozy. Le ressentiment de l'opinion italienne est à fleur de peau envers le reste de l'Europe. Ressentiment que les partis de Salvini et Mayo ont su bien exploiter et cultivent de plus en plus. Conséquence, l'Italie fait de la résistance sur le plan économique, comme son blocage de la construction du nouveau tunnel du mont d'Ambin, long de 57 km sous les Alpes, et bien d'autres sujets de coopération. Cela dit, est-il judicieux pour la France de suivre l'Italie dans cette escalade en surenchérissant dans des gestes politiques à gros risques à l'approche des élections européennes? Alors que l'Europe est engluée dans le dossier du Brexit, autre sujet qui joue en faveur des eurosceptiques et populistes en tout genre, cette dispute politico-diplomatique n'est pas pour réveiller l'enthousiasme de «l'idéal de fraternité» européen. En revanche, c'est tout bénéfice pour les populistes et extrémistes de droite qui gouvernent l'Italie. Les «guéguerres d'egos» des chefs ne servent jamais des politiques rationnelles et encore moins la démocratie. Emmanuel Macron comme le couple Salvini -Mayo semblent jouer à «qui est le plus fort» sans tenir compte des retombées sur leurs politiques internes et sur la cohésion de l'Europe.

Dans de telles circonstances quelle crédibilité pour la politique extérieure de l'UE, déjà bien ternie et sans cohérence, face aux offensives des diplomaties américaine, russe et chinoise dans ce monde en pleine mutations ? Il est quand même curieux que chacun des Etats membres de l'UE continue de jouer sa partition politique en solo, souvent en courant derrière les thèses populistes pour des raisons électorales, attisant le «feu» déjà dans la cour de la maison européenne. Le Brexit, les dissidences à peine déguisées des pays de l'est ( groupe Visegrad), l'arrivée de partis d'extrême droite dans les parlements de plusieurs pays, les revendications populaires pour une Europe plus sociale et solidaire, etc. Toutes ces alertes et SOS des peuples ne semblent pas inquiéter les gouvernants européens sur le péril d'une implosion de l'Union européenne. La réaction du gouvernement français sonne comme un piège tendu par le gouvernement italien à la veille des élections européennes. Emmanuel Macron, le Jupiter français n'est pas encore descendu de sa planète, oubliant que «Jupiter» est un dieu romain.