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Réserves de pétrole en Algérie : pourquoi cette confusion dans leur annonce?

par Reghis Rabah*

Dans le quotidien national «le Soir d'Algérie» dans sa livraison du 14 janvier 2019, un article qui relate la visite du ministre de l'Energie dans la wilaya de Bouira pour inspecter le centre emplisseur de Sidi-Khaled, situé dans la commune d'Oued-el-Berdi à 10 kilomètres au sud de Bouira, on lit : «des travaux au niveau de ce centre, surtout en cette période de froid et de neige où la pression sur le gaz butane se fait sentir» Très accoutumé comme il l'a promis à maintes reprises d'ouvrir son secteur à plus de communication, il s'est étalé sur plusieurs sujets avec la presse.

D'abord rassurant la population locale qui se bouscule ces derniers jours sur les bouteilles de gaz butane dont le centre qu'il a visité produit autour de 15 000 bouteilles par jour. Ce qui pourrait satisfaire amplement la demande locale en hiver. Il a fait la promotion du GPL. Plus important il a annoncé qu'une réflexion est en cours pour étudier la possibilité d'exporter le surplus production d'électricité qu'il a évalué à 9000 mégawatts pour une offre de 19000 mégawatts. Jusqu' ici, le ministre était dans une cohérence par rapport aux statistiques de la compagnie qui en a la charge. Mais lorsqu'il est passé aux ressources souterraines, une confusion totale déroute plus d'un. Ainsi lit-on « selon l'AIE, l'agence internationale de l'énergie, avec quelques 24 000 milliards de m3 de gaz de schiste, 10 000 milliards m3 de gaz non-conventionnel et, enfin, 6 000 milliards de barils de pétrole???.» On retient d'emblée le dernier chiffre de 6000 milliards de barils de pétrole, on ne sait pas s'il s'agit du conventionnel ou du non conventionnel mais quel que soit le cas de figure l'imprécision persiste car le chiffre de 6000 milliards est exagéré, et suppose dans les conditions les plus pessimistes de production de 1 millions de barils par jour, une durée de vie total des ressources plus de 160 siècles ce qui est énorme et frôle l'impossible. On aurait pu prendre ce niveau pour une erreur de transcription du journaliste ou du l'imprimeur mais malheureusement il n'y a pas que le chiffre mais aussi la source et la ressource sont aussi fausses. Ce qui suppose que le rapporteur ne peut inventer tout cela de sa tête.

1-De la source

Depuis quand l'Agence Internationale de l'Energie donne t- elle des reserves des pays producteurs alors qu'elle a été crée pour les contrer au profit de ses adhérents principalement et presque uniquement consommateurs.

Créée donc en 1974 à la suite du premier choc pétrolier, l'AIE est une organisation internationale destinée à faciliter la coordination des politiques énergétiques des pays membres. Elle s'est tout d'abord donné pour but d'assurer la sécurité des approvisionnements énergétiques (pétrole principalement) afin de soutenir la croissance économique. Elle entend accomplir au XXIe siècle cet objectif, tout en contribuant à la protection de l'environnement, à la réflexion sur les changements climatiques et sur les réformes des marchés. Sa mission originelle est la gestion coordonnée des réserves stratégiques de pétrole de ses membres et de leur utilisation en cas de ruptures physiques d'approvisionnement en pétrole brut ou produits pétroliers. Ce fut le cas notamment à la suite des dégâts occasionnés par l'ouragan Katrina et les catastrophes naturelles qui s'en sont suivies. Elle compte 30 pays membres, tous de l'OCDE à l'exception de 5 d'entre eux (Chili, Islande, Israël, Lettonie et Slovénie).

2-De la ressource

Rappelons que lors de sa conférence de presse qu'il a animée conjointement avec le Commissaire européen en charge de l'Action pour le climat et l'énergie, Miguel Aias Canete, à l'issue de la 3e réunion annuelle du dialogue politique de haut niveau sur l'énergie entre l'Algérie et l'Union européenne, le ministre de l'Energie, Mustapha Guitouni a confirmé que les reserves de pétrole conventionnel sont estimées à 6 milliards de barils. Si l'on se base sur ces nouvelles donnes, les réserves du pétrole sont revues à la baisse pour passer de 1,387 million de tonnes équivalent pétrole (TEP) soit 10,17 milliards de barils, chiffres communiqués lors du Conseil des ministres le 06 octobre 2015. En termes de durée de vie, on serait passé de 20 ans à un peu plus de 10 ans.

3-Alors quels sont les véritables chiffres selon les experts

La question des « gaz et de pétrole de schiste » est venue dans le débat public dans le monde en général et l'Algérie en particulier avec la publication par l'Agence Américaine d'Information sur l'Energie (EIA), en avril 2011, de chiffres tendant à démontrer que l'Algérie occuperait la 3éme place dans les reserves de gaz de schiste et serait l'un des pays les mieux doté dans cette ressource. Bien que ces chiffres aient été, depuis lors, révisés à la baisse, ils font état de ressources extrêmement importantes. Ce n'est qu'à partir de la publication d'une cartographie complète mondiale que les communications scientifiques ont commencé à pleuvoir sur le sujet. À la différence de l'Algérie qui n'a pas visiblement réussi à surmonter une contestation sociale sur le sujet, plusieurs pays ont décidé de procéder à des estimations nationales de leurs ressources, afin de préciser les informations publiées aux États-Unis, notamment la Chine, la Pologne, le Canada, l'Australie, le Royaume-Uni et l'Argentine Les estimations de l'agence américaine EIA pour le monde et, en particulier, pour l'Algérie, sont des estimations sommaires. Seuls les bassins des États-Unis sont suffisamment bien connus pour faire l'objet d'évaluations crédibles, en raison des nombreux travaux d'exploration et d'exploitation qui y ont été réalisés. Les estimations de l'EIA ont été établies par un consultant extérieur, Advanced Resources International (ARI), qui est une entreprise dédiée à la fourniture de services de consultation et de recherche dans les domaines des hydrocarbures non conventionnels et de la séquestration du CO2, à l'intention d'organismes publics américains de compagnies gazières et pétrolières et d'autres entreprises du secteur de l'énergie. Elles sont fondées sur des paramètres incertains (proportion de matière organique, épaisseur de la couche, étendue du bassin, taux de récupération...). Compte tenu des incertitudes sur l'ensemble des paramètres pour le bassin sud-est, les estimations de gaz récupérable peuvent varier de 1 à 1 000. Il s'agit des informations publiques, de littérature technique et de données publiées par les entreprises. Elles se fondent aussi sur de précédents travaux non confidentiels d'ARI.

? Elles portent sur les ressources techniquement récupérables, étant considéré que celles-ci représentent généralement 20 à 30 % des ressources en place.

? Elles n'intègrent pas de variables économiques (coûts de production, prix de la ressource) et ne portent donc pas sur les réserves.

? Elles ne prennent pas en compte de données de surface (urbanisation des bassins, régime de propriété des sols et sous-sols, disponibilité d'eau pour la fracturation...).

? Elles n'incluent ni le pétrole et le gaz dits de réservoirs compacts, ni le gaz de houille, ni les hydrocarbures de roche-mère offshore.

Elles restent donc des estimations sommaires réalisées par extrapolation de données de teneur en hydrocarbures issues de quelques sondages à l'ensemble de la superficie des bassins supposés, sans tenir compte de leur variabilité géologique. Les auteurs de ces estimations sont eux-mêmes très circonspects sur la portée de ce travail, qualifié en toute modestie en avril 2011,: «de premiers pas vers des évaluations à venir plus exhaustives des ressources en gaz de roche-mère » Selon toute vraisssemblance, cette publication n'est donc pas qu'énergétique. Elle a des conséquences géostratégiques car ces ressources, très présentes aux États-Unis, en Chine et en Europe, peuvent diminuer la dépendance aux fournisseurs traditionnels d'hydrocarbures conventionnels que sont la Russie et les pays du Moyen-Orient.



Combien cette agence a donné à l'Algérie pour le pétrole de schiste ?

Gisement ..............Age Géologique..............Réserves estimées en milliards de barils

Ghadamès Berkine Illizi ..............Dévonien/Silurien..............4,8

Timimoune..............Dévonien/Silurien..............0,38

Ahnet..............Dévonien/Silurien..............0,19

Mouydir..............Silurien..............Néant

Reggan..............Silurien..............0,56

Tindouf..............Silurien..............0,07

TOTAL............................6,00

Source : extrait du rapport EIA 2013



Combien cette agence a donné à l'Algérie pour le gaz de schiste ?

Gisement ..............Age Géologique..............Reserves estimées en 1000 milliards de m3

Ghadamès Berkine Illizi ..............Dévonien/Silurien..............10

Timimoune..............Dévonien/Silurien..............1,4

Ahnet..............Dévonien/Silurien..............1,7

Mouydir..............Silurien..............0,3

Reggan..............Silurien..............4

Tindouf..............Silurien..............0,6

TOTAL............................21

Source : extrait du rapport EIA 2013



Reserves des ressources conventionnelles

Source..............Milliards de baril de pétrole..............Milliards de m3 de gaz

Officiel conseil des ministres du 06/10/2015 ..............10,17 (20 ans)..............2745 (29,0 ans)

BP review 2018..............12,2 (21,1 ans)..............4500 (57,8 ans)

Rapport Attar au FCE ..............13,39 (23 ans) ..............2385 (25,3 ans)

Sources portail du premier ministère voir communique du conseil des ministres à cette date. Statiscal review of BP 2018. Présentation de Monsieur Attar au Forum du FCE

*Consultant, Economiste Pétrolier