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Gouvernement: Les travers d'une mission

par Ghania Oukazi

Les déplacements officiels des ministres se suivent et se ressemblent à travers l'ensemble des wilayas. Censées être des visites de travail et d'inspection, elles sont plutôt le signe ostentatoire d'un train de vie arriviste et prétentieux de l'Etat.

Les ministres, tous secteurs confondus, semblent se plaire aux «rituels» que les autorités locales s'activent à leur consacrer dès qu'ils foulent le sol de leur wilaya. Depuis l'indépendance, l'Algérie n'a jamais réussi à se détacher d'une euphorie qui lui fait perdre du temps, de l'argent et des énergies. Euphorie qui refuse de s'accommoder de la compétence et du pragmatisme. De qui décide du programme des «sorties» des ministres sur le terrain ou de ceux qui en font la proposition, on n'en saura rien mais on en constatera les inepties. L'on s'interroge, en premier, sur le comment du pourquoi d'inaugurer des édifices alors qu'ils l'ont été auparavant par d'autres officiels, parfois même par un Premier ministre, et sont depuis longtemps mis en fonction. Le nombre effarant de «points» à inspecter en une seule journée laisse pantois. D'autant qu'il ne s'agit pas toujours de projets qui nécessitent une inspection puisqu'ils sont finis et livrés. Les cérémonies de remise de clefs de logements sont, dans ce sens, d'une futilité absolue. A chaque arrivée de ministres et à chaque point qu'ils visitent, l'on assiste à des parties de baroud, de youyous, de musiques folkloriques, de danses traditionnelles, sans compter la présence de la petite fille habillée en tenue traditionnelle qui les attend avec un bouquet de fleurs en guise de bienvenue. Les autorités locales n'éprouvent aucune gêne à déplacer des enfants très tôt le matin, qu'il vente, qu'il pleuve, qu'il y ait canicule. Les enfants attendent debout pendant de longues heures jusqu'à ce que le ministre arrive. On les sent exténués à force d'avoir attendu mais aussi parce qu'ils ont faim et soif. Sétif n'a pas fait mieux en la matière. Plus de 3.000 élèves de plusieurs établissements scolaires ont été ramenés mardi dernier au stade du 8-Mai 45 pour participer à une fresque historique qui devait être présentée au ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire et à celui des Ressources en eau.

Quand le zèle défie la raison

Les organisateurs ont ramené ces enfants à 11h du matin pour ne présenter la fresque qu'un peu plus tard que 21h. Le spectacle a duré trois quarts d'heure. Les enfants ont été «lâchés» vers 22h15 pour rejoindre leurs parents qui les attendaient à la sortie du stade. Ceux d'entre les élèves que nous avons interrogés nous ont fait savoir que pendant les longues heures d'attente, ils n'ont eu droit qu'à un bout de pain, une portion de fromage et une banane. Les responsables de tous les services administratifs ont tous le chic de faire venir les petites gens très tôt avant que les ministres ne décollent même d'Alger. Les services de communication ont toujours demandé aux journalistes de se présenter au lieu de départ des ministres à des heures indues, en général avant le lever du soleil, bien avant l'arrivée du ministre. Les autorités locales de Sétif ont voulu faire assister la foule aux festivités de la commémoration du 8 Mai 45 qui se sont déroulées au centre-ville. Mais dès que les ministres voulaient se déplacer pour monter dans le tramway, les services de sécurité, tous corps confondus, se sont positionnés en cordon pour empêcher la foule de se mêler à la délégation officielle. C'est la cohue, l'anarchie, la débandade.

Les journalistes ont été repoussés d'une manière violente. Rares sont ceux d'entre eux qui ont réussi à se faufiler pour pouvoir travailler. Les SSI de la Gendarmerie nationale et les BRI de la Sûreté nationale ont été particulièrement insolents. Des écarts de langage ont été légion durant les trois jours de visite du ministre de l'Intérieur à Sétif. Ont-ils reçus des instructions pour «taper» sur la presse ? L'on s'interroge sinon sur l'agressivité dont ces services ont fait preuve à l'égard de la presse. L'on s'est déjà demandé dans ces mêmes colonnes si les ministres se retournaient derrière eux pour voir le nombre de personnes qui les accompagnaient et qui se bousculaient pour pouvoir se placer à leur niveau. L'on retrouve l'ensemble des autorités locales, des élus aux cadres administratifs d'un grand nombre de communes concernées -ou non- par la visite d'inspection. Tout le monde se rue vers les tables garnies de plats sucrés du terroir, de fruits secs et de différentes boissons. Ceux qui n'osent pas pousser des coudes devront tenir toute la journée sans manger jusque tard dans la soirée, si le ministre daigne bien s'arrêter pour dîner.

Combien coûte une mission d'un ministre ?

Et là encore, les journalistes sont parfois «jetés» dans des arrière-salles d'où ils en sortent empestant des odeurs de cuisine qui donnent des haut-le-cœur. Les responsables semblent aussi trouver un malin plaisir à entasser journalistes, techniciens, cameramen et autres photographes dans un seul bus. Ils se retrouvent très souvent avec des perches sur la tête, les pieds sur des bagages, des caméras sur les genoux? Autre désagrément, le bus ne peut en aucun cas rouler à la même vitesse que tous les autres véhicules qui forment le cortège officiel. En général, il arrive toujours en dernier. Entre-temps, au passage de la délégation, les rues sont bouchées et la circulation bloquée par les agents de sécurité. Et si on demande au bus de démarrer avant tout le monde, les journalistes ratent une partie des déclarations du ministre. Le cortège officiel est souvent formé d'un nombre effarant de véhicules qui appartiennent en général au parc des collectivités locales. Roulant à grande vitesse, ils doivent consommer des quantités considérables de carburant. Le zèle de certaines autorités locales les a poussées à dérouler le tapis rouge (au vrai sens du terme) pour recevoir un ministre dans une administration. Mais aucun des responsables locaux d'aucune wilaya n'a réussi à mettre en place une sonorisation à même de permettre aux journalistes d'entendre ce que dit le ministre aux chargés des projets. La foule qui s'agglutine autour de lui décourage les plus consciencieux d'entre eux. Seules les longues perches des télévisions peuvent capter le son. Pour rappel, le Premier ministre a décidé de restreindre le nombre de personnes qui l'accompagnent dans ses sorties sur le terrain. Cependant, Ahmed Ouyahia s'est contenté de se séparer uniquement des journalistes. Il a d'ailleurs bien fait parce que quand il s'agit de les loger, ils sont mis en général dans des hôtels sales, dégradés et sans aucune commodité. Ça été le cas à Sétif (entre autres wilayas) parce que la wilaya a choisi d'avoir des conventions avec des hôtels qui, s'ils sont contrôlés, doivent être en principe fermés? La question à combien revient une mission d'un ministre dans une wilaya semble ne pas avoir été posée ne serait-ce qu'une seule fois. Pourtant, la réponse pourrait renseigner sur la possibilité de fermer des niches de dépenses de l'Etat et alléger les factures de son train de vie. En ces temps de vaches maigres?