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Aux abonnés absents

par Mahdi Boukhalfa

Le front social commence à donner des signes d'extrême nervosité, de retour à la protesta. Hausse des prix annoncée avec l'entrée en vigueur de la LF 2018, marasme social, colère des milieux professionnels, grèves et marches de protestation en cascade. En face, le gouvernement fait ce qu'il peut, c'est-à-dire rien, pour calmer ou rassurer les citoyens sur sa politique sociale et économique en instaurant un débat sur toutes les questions qui touchent directement à la vie publique. Il laisse ce privilège aux partis politiques, auxquels il laisse « la patate chaude », pour rester à l'abri des bourrasques sociales.

Car si les lois impopulaires passent aussi facilement à l'Assemblée nationale, si le gouvernement mène parfois une politique économique impopulaire, c'est qu'en face il n'y a pratiquement aucune vie politique ni débat sur les grands dossiers de l'heure. Rien, les partis politiques se sont inscrits aux abonnés absents à un moment de fortes turbulences sociales. D'importants enjeux économiques, en particulier le nouveau modèle de partenariat public-privé qui est passé sans que l'on enregistre la moindre réaction des partis politiques. Même le parti de Louiza Hanoune, qui a été de toutes les batailles pour la préservation de l'outil de production dans le giron du secteur public, s'est distingué par un silence déconcertant.

Faut-il croire que les partis politiques algériens ne se réveillent que lors des échéances électorales, ou pour aller poinçonner les lois de finances, pour après entrer dans une longue période de sommeil éveillé ? En réalité, les partis politiques restent à l'écart de la vie politique, la vie publique qui les interpellent sur tous les dossiers chauds. Le gouvernement Ouyahia, comme les précédents d'ailleurs, a beau jeu devant une opposition pratiquement inexistante. Sinon, comment interpréter le mutisme assourdissant de ces partis, ils sont plus d'une soixantaine, dont les majors comme le RCD, le FFS ou le PT et même Talaie El Hourriet, face à la grève des médecins résidents, l'affaire du tifo d'Aïn M'lila, les marches de protestation à Bouira, la privatisation lente et déguisée des entreprises publiques, ou cette politique commerciale aventuriste ?

En fait, le plus troublant dans ce silence des partis politiques est que l'exécutif n'a pas été attaqué ni recadré sur les grands dossiers sociaux et économiques, ce qui aurait en réalité aidé ce gouvernement à corriger ses erreurs. Sinon à éviter les dérapages, comme ces sempiternelles mesures de réduction des importations qui étranglent le secteur productif en limitant l'accès aux intrants et demi-produits sur le marché international, alors que la facture n'a jamais été vraiment réduite et cette année encore le montant sera de plus de 42 milliards de dollars d'importations. Entre-temps, les licences d'importation ont été supprimées, les médicaments entrent au compte-gouttes et la facture à la fin de l'année reste encore dans les cimes des 40 milliards de dollars.

Le rôle des partis politiques aurait été salutaire pour aller demander les yeux dans les yeux au gouvernement à quel jeu il joue lorsqu'il annonce la suppression de plus de 800 positions tarifaires sans que certains produits superflus et fabriqués localement ne soient concernés. Car apparemment, et en dehors des périodes électorales, accessoirement durant les débats sur les lois de finances, les partis politiques algériens ont construit un mur infranchissable entre eux et le peuple pour se désintéresser à ce point de la vie publique. Comment, dès lors, le gouvernement pourrait-il être recadré dans ses choix sociaux et économiques quand l'opposition est absente ?