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Opinion - L'Univers a un nouveau centre : Noureddine Boukrouh

par Abed Charef

  Peut-on s'opposer à un éventuel cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika ?

Oui, à condition de demander l'aval de M. Noureddine Boukrouh. Ou, au moins, de rappeler que l'idée vient de l'ancien ministre du Commerce, initiateur de la proposition, et qu'à ce titre, il a un droit de préemption et un devoir de veille, pour que l'idée ne soit pas dénaturée, ni utilisée à d'autres buts.

Trois personnalités qui ont compté dans la vie politique du pays durant la seconde moitié du dernier siècle l'ont appris à leurs dépens. Ali-Yahia Abdennnour, Ahmed Taleb Ibrahimi et l'ancien général Rachid Benyellès, ont été accusés d'avoir «plagié» M. Boukrouh. Les trois hommes, sentant que l'idée d'un désastreux cinquième mandat du président Bouteflika commence à se mettre en place, ont publié une déclaration commune pour lancer une alerte. «Trop, c'est trop», ont-ils dit, appelant entre autres l'armée à se démarquer des cercles qui se sont accaparés du pouvoir. «A défaut d'accompagner le changement qui s'impose et de participer à l'édification d'une République véritablement démocratique», l'armée devrait «se démarquer de manière convaincante du groupe qui s'est emparé indûment du pouvoir et entend le conserver en laissant croire qu'il a le soutien de cette même institution», écrivent ces anciens hauts responsables aux itinéraires très divers.

Violence outrancière

M. Boukrouh leur répond par une salve d'une incroyable violence. Sur sa page facebook, il exprime son «indignation» face à ce qu'il considère comme une attitude «mesquine» ; il les accuse de commettre une «forfaiture politique et morale», et les invite à «se taire».

Répondant ensuite à des critiques qui estiment inapproprié de s'attaquer à des personnalités qui émettent la même opinion que lui, M. Boukrouh persiste et signe. Il s'agit de faussaires qui s'approprient les idées des autres, dit-il.

La preuve de leur couardise est, selon lui, évidente: ces trois personnalités n'ont décidé de rendre publique leur déclaration qu'après «s'être bien assurés que le chemin était ouvert, sécurisé, qu'il n'existait pour eux aucun risque de représailles après les salves tirées contre moi par le ministère de la Défense nationale, le premier ministère, les présidents des deux chambres du Parlement, sans parler des aboiements d'une presse aux ordres et autres coups bas».

M. Boukrouh en profite pour rappeler son initiative du 16 septembre 2017. «Personne ni aucune formation n'a pris jusqu'ici l'initiative de sonner le rassemblement non pas des partis qui ne s'uniront jamais, mais de la nation», écrit-il. Selon lui, «les trois ont commis une forfaiture, un vol, plus pour saboter l'idée que pour la voir réussir».

Récidive

Ce type d'attitude n'est pas nouveau chez M. Boukrouh, qui a une très haute idée de sa pensée, de ses écrits, et de la place qu'il devrait occuper dans l'histoire du pays. Oubliant qu'il a été ministre avec le président Abdelaziz Bouteflika, il a utilisé des mots choquants pour parler du chef de l'Etat, n'hésitant pas à dire que c'est un «malade mental».

Plusieurs polémiques l'ont également opposé à M. Saïd Saadi. Invité à assister au premier congrès du RCD, en décembre 1989, il avait, peu après l'ouverture des travaux, improvisé un point de presse pour dire que le RCD lui avait piqué son programme! Il avait alors créé un incident alors qu'il était simple invité. Il y a un mois, M. Boukrouh avait soutenu, mordicus, qu'il avait réuni les candidats à la présidentielle de 1995, dont Saïd Saadi, pour les inviter à se retirer pour protester contre la décision de Liamine Zeroual de briguer la magistrature suprême. Trois années plus tard, il avait participé à la cabale contre le président Zeroual, et il reste convaincu qu'il a joué un rôle essentiel pour pousser Zeroual à la démission.

Mégalomanie

Chez les anciens du PRA (Parti du Renouveau Algérien), qu'il a créé la fin des années 1980, les avis sont d'une extrême violence. Celui de Zoheir Hamedi, un ancien cadre du parti, est tranché : il le qualifie d'imposteur. «J'ai eu la malheureuse occasion de voir comment il se faisait manipuler par le général Toufik. Il a vendu le parti pour des promesses de postes et de sièges à l'assemblée. Il a fermé les yeux à la fraude électorale des élections législatives de juin 1997. J'en suis personnellement témoin», écrit-il, ajoutant que «c'est une personne dépourvue d'honneur et de principes».

Sur les réseaux sociaux, c'est un autre aspect de la personnalité de Noureddine Boukrouh qui est commenté : son «absence de modestie» pour les uns, sa «mégalomanie» et son égo démesuré» pour les autres. Ce qu'il est écrit dans les débats montre cette incroyable opinion qu'il a de lui-même. Les trois «attendent que je publie pour piquer dessus comme des vautours», et présenter «leur chapardage pour de la création intellectuelle», écrit-il. Pour affirmer son courage, il ajoute que les trois «n'auraient jamais tenu ce langage en premier, en s'exposant». Et il assène une sentence définitive : «ceux qui trouvent que la façon d'agir des trois est bonne ne discernent plus entre le voleur et le volé, entre le vrai et le mensonger, entre la dignité et l'indignité».

A lire M. Boukrouh, on comprend que l'Algérie a désormais un nouveau Danube de la pensée, et que l'Univers a un nouveau centre.