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La «nouvelle politique économique» : consolider le «mal acquis» des prédateurs

par Mourad Benachenhou

La vacuité institutionnelle, à l'habillage constitutionnel trompeur, que connait actuellement l'Algérie, serait à la limite acceptable, si le pouvoir sans partage en place allait dans le chemin de la relance réelle de l'appareil de production nationale, sur des bases de mobilisation rationnelle des immenses ressources humaines et naturelles dont dispose le pays.

Aucun contrepoids légitime et légal au pouvoir occulte qui tient les rênes du pays

Ce n'est pas, hélas ! le cas. L'épais brouillard de l'activisme électoral et diplomatique, entretenu avec art, tout comme les bruits de chaises ne peuvent plus cacher le la désolation dans laquelle s'enfonce peu à peu, et par petites touches, ce pays, du fait de l'absence de pilotage des affaires urgentes et vitales de la communauté nationale.

Le système actuel ne comporte aucun mécanisme de contre poids légal assurant la réorientation des décisions de politique économique ou autres, dans le sens des intérêts de toute la population, et non pour le compte d'une minorité, enrichie par l'appauvrissement et la dépendance extérieure de l'Algérie.

La crise économique, financière et monétaire actuelle exige une correction dirimante de la politique de l'Etat dans ces domaines. Or, loin de voir un indice quelconque , une lueur d'espoir dans la gestion des affaires de la communauté nationale, on constate, à travers les dernières tribulations au sommet, -et en dépit des belles et sages paroles dictées par le protocole des circonstances,- une volonté de statuquo, en fait donc la porte ouverte à des évolutions dangereuses.

La rhétorique comme ligne politique

La logomachie n'est pas la solution, et jeter la confusion dans l'esprit des gens ne réduira pas l'ampleur de la crise. Pourtant, on va assister à un flot de rhétorique, plus ou moins mensongère, plus ou moins manipulatrice, dont le seul objectif est de brouiller les cartes et de faire croire que les dirigeants , et ceux qui en tirent les ficelles, seraient finalement décidés à casser le cercle vicieux dans lequel le pays est engagé depuis ces dernières années, et dont le révélateur a été la chute de la rente pétrolière. Et , pour prouver cette volonté de changer de cap, on ne trouve rien de mieux que de ramener au devant de la scène ceux mêmes qui ont contribué, avec un zèle sans faille, à exécuter «en bon soldat» ces politiques aux conséquences désastreuses sur le pays. Ceci est soit le comble de la continuité dans l'erreur, soit le comble de l'absurdité et de l'irresponsabilité politique, soit le summum du cynisme politique, ou, évidemment, les trois à la fois.

Au lieu d'entreprendre une révision cohérente du cheminement économique du pays, le pouvoir en place va se lancer dans une vaste opération de bavardage en plusieurs langues ou dialectes locaux. Les paroles mielleuses, les circonvolutions verbales aussi insipides qu'incompréhensibles, les analyses plus ou moins farfelues, l'avalanche des chiffres plus ou moins fantaisistes, les commentaires, plus ou moins mal venus, les insultes et insinuations plus ou moins malfaisantes et malhonnêtes, vont constituer une tentative délibérée de substituer, à la définition d'une véritable politique de redressement du pays, un fleuve de verbiages, qui ne constituera qu'un sursis mortel, une perte de temps dangereuse.

Le «nationalisme de pacotille,» qui sans doute refera surface dans les temps à venir, et dont certains sont les vigoureux et «éloquents» défenseurs, ne changera rien à la situation de subordination totale, par prédateurs nationaux interposés, aux intérêts étrangers, dans laquelle le pays a été engagé depuis quelques décennies.

La crise économique et sociale est appelée à s'accentuer

La dextérité oratoire ne fera ni disparaitre les problèmes, dont le plus sérieux est la main mise de la nouvelle classe des prédateurs sur l'appareil d'état , classe qui bénéficie exclusivement de cette mise sous tutelle du pays, ni les dissoudre dans son fleuve verbal qui va se déverser sur une population de plus en plus sceptique.

La montée du chômage va continuer; l'inflation va s'accélérer, la dépendance du pays à l'égard des importations de toute nature va se maintenir, la pénurie va empirer, créée, non par l'arrêt des importations, mais par l'absence d'investissements dans la production nationale, l'appareil de production nationale va continuer sa régression annoncée et «scientifiquement» planifiée. Bref, la longue séance de «roqia,» auquel les gouvernants veulent soumettre le pays, ne pourra que mal se terminer.

Une crise multidimensionnelle

Le remède n'est pas l'intensification du bavardage «autorisé» et «officialisé,» qui remplacerait la définition et la mise en œuvre d'une politique en rupture totale avec celle suivie depuis quelque deux décennies, et qui a débouché sur la crise multidimensionnelle actuelle.

Car, en fait, l'Algérie traverse bien une crise multidimensionnelle, à la fois constitutionnelle et politique, à la fois cause et conséquence d'une crise économique financière et monétaire, dans laquelle la chute du prix des hydrocarbures a joué un rôle de révélateur, plus que de cause. Ce sont, en fait, les mesures de libéralisation et d'ouverture qui ont abouti à la dévastation du potentiel productif nationale et à l'exacerbation de la dépendance à l'égard de l'étranger, et dans tous les domaines, et ont créé le bouillon de culture qui a permis l'éclosion et la montée en puissance des milliardaires prédateurs.

La classe des prédateurs : des boursouflures sur le corps malade de l'Algérie

Car cette classe des prédateurs a trouvé le milieu lui permettant d'éclore et de prospérer, -non en accroissant le potentiel de production du pays, mais pour accumuler sans peine des milliards de dinars et de devises étrangères,- qu'est cette ouverture défiant la raison. Cette classe constitue maintenant des boursouflures dont les germes mortels infectent le corps malade de l'Algérie.

Elle a accumulé des richesses immenses par l'appauvrissement de ce pays, et ambitionne de pérenniser la possession de ces richesses par le contrôle de l'appareil d'Etat.

Ce contrôle est pratiquement acquis, comme le prouve les rebondissements récents où une dérisoire tentative de corriger la politique économique a été non seulement sabordée, mais , pire encore, qualifiée de «harcèlement,» comme si mettre un terme aux importations à but spéculatif et freinant l'essor de la production nationale, constituait un acte de malveillance délibérée, et non une décision politique de bon sens dictée par les intérêts supérieurs du pays.

Le remède qui aggrave la maladie !

Le remède appliqué pour sortir l'Algérie de l'isolement international et briser le cycle de violence a eu des effets secondaires pervers, dont la génération de cette classe de prédateurs, qui ont investi plus à l'étranger que dans leur pays, industriels outre-mer, y compris en Chine, et importateurs en Algérie, ont créé plus d'emplois pour les non-Algériens que pour les Algériens, qui ont inventé toutes sortes de ruses, -y compris le lancement d'ateliers de montages de produits aux techniques frappées, dans le court terme, d'obsolescence, du fait de la brusque accélération des changements technologiques profonds dans leur mode de production comme dans leurs composants, et qui vont faire disparaitre du paysage les traditionnelles pompes à essence- pour faire fuir à l'étranger leurs capitaux mal acquis, contribuant ainsi non seulement à la précarisation du pays, mais également aux pénuries dont il est menacé, sans compter l'épuisement des réserves de change qui pointe à un horizon pas si lointain.

Il est probablement grand temps de changer soit de médecine, soit de médecin, soit des deux à la fois. Mais, le contexte constitutionnel ne laisse aucune marge légale pour accomplir l'un et/ou l'autre de ces changements.

En conclusion

Il faut souligner que le système constitutionnel actuel ne comporte aucun mécanisme permettant de mettre un terme, de manière légale, aux errements de la gouvernance du pays, et au dérapage de la prise des décisions au sommet au détriment des intérêts de la Nation. Dans ce contexte, l'appel à «gagner la bataille du développement» ne sonne pas seulement creux. C'est le comble du double langage et du cynisme politique, une simple répétition de la ruse mainte fois utilisée: « mettre les clignotants à gauche, et tourner à droite.» Mais, si les «dupes» se sont éveillés et comprennent de quoi il retourne, ils demeurent impuissants à changer la mauvaise voie prise par le «train Algérie.»

On ne peut pas substituer les incantations au double langage, même en plusieurs langues «officielles,» ou «nationales,» ou aussi étrangères soient-elles, à la prise de décisions rationnelles confrontant les problèmes multidimensionnels du pays, -dont la manifestation la plus dangereuse est l'éclosion d'une classe de prédateurs, qui, jouissant de l'impunité, sinon de la complicité active des autorités publiques a créé de sérieuses distorsions dans l'économie, la société, et même le système politique du pays, et a exacerbé la dépendance extérieure multiforme.

Dans le contexte de statuquo qui préside au gouvernement du pays, et de l'ossification du système de prise des décisions au sommet engageant le pays, l'objectif n'est pas de changer de voie, mais de mener à bien, en guise de «Nouvelle Politique Economique»(NPE) la consolidation du «mal-acquis» des prédateurs. L'appel officiel à «un consensus national» a-t-il d'autre objectif que de faciliter la réussite de cette NPE nocive, si ce n'est destructive?

Ce dialogue social auquel les autorités invitent n'est-il rien d'autre que «l'appel au dialogue entre le mouton et son sacrificateur?»

Et ce fameux rituel ridicule et inutile qu'est la «Tripartite,» qui ne trompe même plus les «marionnettes» qui s'y agitent, y bavardent et festoient, n'est-il rien d'autre qu'une représentation théâtrale destinée à créer un «effet de foule unanime,» pour «légitimer» des décisions déjà arrêtées, ficelées, et dont l'exécution a déjà commencé sur le terrain?

Donc, pour la préparation de cette «Tripartite,» il n'y pas de «terrain à défricher,» ni «embarras,» ni même «période d'apprentissage,» puisque c'est la même pièce maintes fois jouée dans le passé, et même si ce n'est pas le même lieu, du moins avec les mêmes figurants ou presque, le même décor, les mêmes «tableaux,» le même «dialogue à une seule voix, « mais en plusieurs tons, et une mise en scène bien rodée!

Dans ce contexte, prétexter des pressions étrangères pour justifier des décisions politiques et économiques en contradiction avec les intérêts du pays n'est-il pas quelque peu de mauvaise foi, vu que tout a été fait au cours de ces quelque dix huit ans pour que l'économie de ce pays soit dirigée et dominée par les intérêts étrangers?

Les masques sont tombés depuis longtemps et les ressorts des actions en cours comme leurs finalités sont disséqués et connus. Faut-il une accentuation de la crise politique créée par la montée en puissance de la nouvelle classe des prédateurs, pour qu'enfin les «décideurs,» quels qu'ils soient, prennent les mesures de sauvetage, si ce n'est de salut public, afin de sortir le pays de cette crise multidimensionnelle, et arrêter la spirale de la détérioration de la situation du pays et de sa mise sous tutelle étrangère, avant que la septicémie prédatrice qui le frappe rende toute médication, si puissante soit-elle, ineffective? Seul l'avenir le dira. Et qui vivra verra !