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Ministre éphémère dans une république virtuelle

par Abed Charef

Messaoud Belagoune est un symptôme parmi d'autres d'une république à l'agonie, où l'exercice informel du pouvoir a laminé les institutions.

L'affaire Messaoud Belagoune a montré une évidence : oui, en matière de gestion gouvernementale, on peut faire pire que Abdelmalek Sellal. Oui, on peut entamer son mandat à la tête de l'exécutif par une pitrerie plus dégradante que celles de l'ancien chef de l'exécutif. Oui, dans sa quête de l'absurde, l'Algérie a encore de la marge. Elle peut aller encore plus loin dans la mauvaise gestion et les décisions loufoques. Celles-ci, depuis longtemps, ne sont plus l'apanage d'un homme ou d'un parti, mais elles sont générées de manière naturelle par un système de décision qui a perdu tout repère.

La dérive commence au sommet de l'Etat. Qui nomme les ministres ? On ne sait pas. Ce n'est sûrement pas le premier ministre. Abdelmalek Sellal l'a appris à ses dépens.

Il a commencé à consulter des hommes politiques susceptibles de rejoindre son équipe alors que lui-même n'était pas certain d'être reconduit. Ce qui montre un degré d'improvisation insupportable à ce niveau : le premier ministre lui-même a confirmé qu'il n'avait aucune idée de ce qui allait se passer le concernant.

Officiellement, c'est le chef de l'Etat qui nomme les ministres, sur proposition du premier ministre. En réalité, la liste des ministres est établie ailleurs. Validée peut-être par le chef de l'Etat, en fin de parcours, mais dans la conjoncture actuelle, il semble exclu que le président de la république soit en mesure de consulter, de soupeser, de penser aux équilibres, de fixer les priorités et de choisir les noms.

Loterie

Ce qui peut ouvrir la voie à des miracles. Et la nomination de M. Messaoud Belaggoune relève réellement du miracle.

Candidat aux législatives sur les listes du Mouvement Populaire Algérien, parti de M. Amara Benyounès, il n'a pas été élu. Mais son parti, récompensé pour sa fidélité au chef de l'Etat, a été invité à donner des noms de personnes susceptibles d'entrer au gouvernement.

Quels portefeuilles seront confiés au MPA, pour appliquer quel programme, au sein de quel gouvernement, et avec quelles alliances? Tout cela ne compte pas. Le profil des candidats ne compte pas non plus. M. Benyounès donne les noms et attend. Comme Tadj, le RND et le FLN, partis de la nouvelle coalition gouvernementale. C'est une loterie qui va décider pour tous. Aucun parti n'a le droit d'exprimer des préférences, ou de contester les choix qui seront faits pour lui.

Le processus est détaillé par Messaoud Belaggoune lui-même, dans une interview à un site électronique. M. Amara Benyounès « a présenté des propositions au Premier ministre », mais « ce n'est pas lui qui m'a choisi au poste de ministre du Tourisme ». Le MPA s'est contenté de répondre à une recommandation, celle de « proposer des jeunes cadres ». Pour Messaoud Belaggoune, ce sera le ministère du tourisme. Le jackpot pour ce jeune homme rompu aux luttes d'appareils, qui a fait ses (longues) classes au sein des organisations universitaires.

Merci Monsieur le Président

Comment l'apprenti ministre a accueilli sa nomination ? Comment va-t-il sa gérer sa fonction de ministre? Comment il envisage ses relations avec le chef du gouvernement, avec son parti et, surtout, avec le président de la république ? Comment envisage-t-il de développer le tourisme dans le pays ? Ces questions totalement décalées. M. Belaggoune excelle sur un terrain : remercier, à tous les instants, le chef de l'Etat, auquel il attribue des pouvoirs inouïs. « Le président a la prérogative de nommer et de démettre qui il veut », affirme M. Belaggoune. Plus encore, « le président de la République ne donne jamais d'explications aux décisions de fin de fonction ou de nomination ». Pour lui, « il s'agit là de prérogatives du chef de l'État ».

On n'est plus dans la politique, mais dans l'adoration. On ne parle pas de négociations, de compromis, de terrain d'entente, d'actions à mener en commun. On est dans l'allégeance la plus totale. Amara Benyounès lui-même n'y trouve rien à redire. Evoquant le limogeage de son ministre, il affirme qu'il s'agit d'une « procédure constitutionnelle ». Le Président de la République a exercé une « prérogative incontestable » en limogeant un ministre nommé quarante huit heures plus tôt, dit-il-il simplement.

Fiche bleue

Autre aspect confirmé par cette affaire, le poids écrasant des services de sécurité dans les procédures de nomination. « Avant d'être désigné à la tête » d'une organisation d'étudiants, le Mouvement National des Etudiants Algériens (MNEA), « j'ai fait l'objet d'une enquête d'habilitation des trois services de sécurité (DRS, police, gendarmerie) », reconnait Messaoud Belaggoune.

De même, il rapporte que « les membres fondateurs ont été entendus par les trois services avant le congrès constitutif du MNEA ». Il rappelle aussi « qu'une enquête a été également menée » avant sa candidature aux élections législatives du 4 mai 2017. Ce compagnonnage de tous les instants imposé à un jeune apparatchik n'a pas suffi pour éviter une bourde.

Mais plus étonnant encore apparait cette aptitude des « militants » et « dirigeants » politiques à s'accommoder et à composer avec l'idée de la fameuse fiche bleue, sésame indispensable pour accéder à certains postes. Amara Benyounès va même plus loin. Il reproche implicitement aux services de sécurité d'avoir failli. « Dans tous les cas de figure, la responsabilité de l'enquête ne peut incomber à notre parti », dit-il, rappelant que M. Belaggoune a « satisfait à toutes les obligations légales et a notamment présenté un casier judiciaire vierge ». Ceci remet les choses à leur véritable place : pour accéder à des postes de responsabilité, même éphémères, l'agrément des services de sécurité est à la fois primordial et indispensable. Il peut compenser l'échec de l'urne, l'incompétence et l'échec.