Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

A-t-on besoin d'importer un modèle pour développer notre agriculture ?

par Aissa Manseur*

L'agriculture en Algérie n'a jamais été considérée comme étant un secteur stratégique pour lequel il faut consacrer des réflexions et des moyens pour son développement afin qu'il puisse jouer son rôle dans le développement économique du pays et par conséquent alléger les importations des produits alimentaires qui pèsent lourdement sur la balance de paiement du commerce extérieur de l'Algérie.

Après plus d'un demi-siècle de l'indépendance, notre agriculture cherche toujours son modèle !

Après l'indépendance, en planifiant son modèle économique, l'Algérie a opté pour l'industrie en mettant en second plan l'agriculture. L'idée était de développer l'industrie qui va entraîner ensuite le développement des autres secteurs, mais hélas ça n'a pas été le cas, aucun secteur n'a atteint un niveau acceptable de développement.

L'agriculture, ce secteur vital peine à assurer à la population sa nourriture nécessaire, l'importation des produits alimentaires ne cesse d'augmenter, en dépit de toutes les subventions accordées au secteur pour son développement. Des années durant, des efforts «timides» de restructuration et de développement de l'agriculture ont été mises en œuvre: nationalisation des terres agricoles, création de domaines autogérés, puis vint la révolution agraire, ensuite la restructuration mais malheureusement il est encore bien loin le bout du tunnel.

En l'an 2000 c'était l'avènement du plan national de développement de l'agriculture, c'est la période du financement à outrance du secteur mais après quinze années (15) le constat est toujours le même, notre agriculture va encore très mal, la dépendance alimentaire est toujours d'actualité. Lassée par toutes les expériences «locales» et faute d'inefficacité des programmes passés, notre agriculture tente d'importer un modèle de développement qui puisse lui assurer, peut-être, de ne plus apporter de nourriture ! Dans cette optique, les uns souhaitent «calquer» le modèle espagnol d'Almeria, les autres préconisent le modèle brésilien.

Le modèle brésilien, une agriculture «sans état d'âme»

Le processus du développement agricole au Brésil a commencé depuis les années 80 et qui a conduit à adopter un modèle agricole capitaliste par excellence, c'est «l'agrobusiness productive» qui prône la réalisation de profits à court terme et à tout prix.

Ce modèle est basé essentiellement sur l'utilisation abusive de l'eau d'irrigation, l'utilisation «non raisonnée» des produits phytosanitaires et des engrais chimiques, donc dévastateur pour l'environnement, c'est une politique qui ne s'inscrit dans le concept du développement durable.

La pratique de ce modèle a engendré l'émergence d'une classe de grands propriétaires terriens qui ont mis la main sur toute l'activité agricole, ils contrôlent le marché intérieur et passent des contrats à l'international en vue d'exportation et l'appariation d'une autre classe de paysans pauvres qui sont contraints de se soumettre au diktat des «féodaux».

Modèle d'Almeria: une production intensive sous la plus grande bâche plastique du monde

Le modèle agricole d'Almeria repose essentiellement sur les cultures sous serres en hors-sol, la région présentait un paysage fortement érodé par les vents, dont le climat sec et chaud n'offrant pas les conditions idéales pour une production agricole performante. Actuellement la région compte plus de 40 000 serres formant un réseau sans fin de serres s'agglomérant les unes aux autres, faute de terres agricoles, ces dernières sont construites sur une surface de plus de 35 000 ha qui a été dégagée en aplatissant des collines et en chipotant sur les montagnes avoisinantes à grands coups de dynamite et de bulldozer. Le recours aux cultures sous serres et en hors-sol est dicté par les contraintes du sol et du climat pour lesquelles est affrontée cette région andalouse, c'est un modèle dicté par une conjoncture spécifique et demeure la seule alternative pour produire, un grand défi a été relevé et cette région est devenue en quelques décennies le potager de l'Europe. L'application de ce type d'agriculture industrielle prône l'utilisation abusive de produits phytosanitaires vu que la serre présente un milieu favorable au développement des différentes maladies, la pollution est inévitable avec des proportions critiques et dangereuses.

Faute de suivi et de contrôle, toute tentative de développement du secteur sera vouée à l'échec

Notre agriculture n'as pas besoin de modèle pour se développer, on a tous les atouts pour entamer une transition réussie vers une agriculture moderne et productrice.

On n'est pas obligé de faire recours à une agriculture «sans état d'âme» ni encore une agriculture qui se développe en rasant des collines et en «grignotant» sur des montagnes, l'étendue de la surface agricole, la diversité climatique et les ressources hydriques souterraines peuvent faire de l'Algérie un pays «agricole» par excellence.

Le problème en Algérie c'est la gestion catastrophique des programmes de développement agricole, l'exemple le plus éloquent est sans doute le PNDA qui a été appliqué depuis l'An 2000 et durant lequel on a financé n'importe quoi et n'importe comment.

La gestion du FNRDA (Fonds national de régulation et de développement de l'agriculture) et du FNDIA (Fonds national de développement de l'investissement agricole) était catastrophique, des programmes d'investissement ont été financés sans aucune étude, sans aucun suivi et sans aucun contrôle. Les prix de soutien de «référence» fixés par l'administration pour la réalisation des différentes opérations étaient beaucoup plus élevés par rapport à ceux pratiqués réellement sur le terrain, cette situation «alléchante» a attiré les pseudo-investisseurs rentiers qui ont violé ce secteur pour en tirer profit sans que leurs projets ne soient finalisés et n'ayant créé aucun emploi, ces programmes de développement ont été appliqués avec une précipitation incompréhensive et une légèreté extrême, l'argent coulait à flots mais sans contrepartie aucune.

Si un mécanisme de suivi rigoureux et de contrôle sévère a été mis en place, de telles pratiques ne pourront jamais être observées sur terrain, les résultats auraient pu prendre une agréable tournure vu les moyens financiers colossaux consacrés à ce programme inédit, c'est une véritable occasion qui s'est présentée pour placer notre agriculture à un niveau avancé de développement mais qui a été, malheureusement, avortée par des pratiques malsaines des personnes, peu ou pas consciencieux, tous les intervenants ont une part de responsabilité de cet échec retentissant : les concepteurs des programmes, les agriculteurs et surtout l'administration agricole par sa passivité flagrante.

En vue d'y apporter les remèdes les plus adéquats, il est primordial d'évoquer avec objectivité les réalités du terrain qui sont si désolantes et si choquantes. Il est inconcevable de caresser dans le sens du poil et applaudir à grands cris dans cette situation qui prévaut actuellement dans le secteur économique de notre pays, cerner les lacunes nous conduit inéluctablement à opérer les changements qui s'imposent et définir la voie adéquate qui mène au développement de l'agriculture, qui est aujourd'hui plus qu'une nécessité, une priorité car il y va de l'avenir de l'Algérie et de sa population. La politique agricole à adopter doit s'inscrire dans le concept du développement durable et conduire inéluctablement à l'autosuffisance alimentaire et par conséquent à la sécurité alimentaire. Il faut sérieusement penser à assurer la nourriture des générations futures.

*Expert agricole