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Entre Toufik Mediène et Snowden, Houda Feraoun a fait son choix

par Abed Charef

Par son âge et son look, Imène Houda Feraoun semblait proche d'Edward Snowden. Mais dans sa gestion, elle fait plutôt du Toufik Mediène.

Si l'appellation de ce nouvel organisme est rébarbative, le rôle qu'il est appelé à jouer l'est encore davantage. L'Organe national de lutte contre les infractions liées aux technologies de l'information et de la communication, créé par un décret du 8 octobre 2015, est l'une de ces institutions naturellement destinées à faire controverse. Conçu, grossièrement, pour surveiller et censurer l'Internet, cet outil ne peut, en l'état actuel des institutions algériennes, que dériver progressivement, pour tendre vers l'instauration d'une sorte de big brother, tant les conditions sont favorables à cette évolution.

 Pessimisme ? Volonté délibérée de tout noircir ? Un penchant à ne voir, dans toute initiative du gouvernement, qu'une volonté de faire du mal ? Non, bien au contraire. Car tout plaide aujourd'hui, en Algérie, en faveur de ce genre d'évolution. Ce qui ne signifie pas que le pays n'a pas besoin de mettre en place, et en urgence, des organismes de régulation et de surveillance électronique.

 En fait, l'Algérie a sérieusement besoin de s'adapter dans ce domaine, tant les lacunes sont importantes. Un jeune ingénieur révélait, il y a plusieurs années déjà, que les systèmes informatiques d'une grande institution publique, manipulant des milliards de dinars, étaient totalement vulnérables à toute intrusion. Il a tenté d'alerter l'organisme concerné, sans résultat. Il a été contraint ensuite d'alerter la presse, pour inciter les institutions en question à réagir. Il a fallu que l'affaire fasse la « une » d'un journal populaire pour que les choses bougent un peu.

BIG BROTHER

 C'est dire si l'état des lieux est inquiétant. Mais le combler, comme le prône Imène Houda Feraoun, mène tout droit chez big brother. D'abord parce que la nature du pouvoir en place, qui fonctionne avec un logiciel fondamentalement sécuritaire, le pousse à toujours tenter de ficher plus, de surveiller plus, de contrôler plus. Cela répond à une vision sécuritaire d'un autre temps, d'un autre monde, mais qui a survécu en Algérie et dans quelques autres contrées.

Les déclarations de Amar Saadani sur l'émergence d'un Etat « civil » ne changent rien à la donne. Le départ de Toufik Mediène non plus. Le dispositif de contrôle de la société est intégralement en place. Seuls changent les noms de ceux qui le dirigent, et la tutelle à laquelle ils obéissent. L'élargissement tentaculaire du système de surveillance prend simplement un habit légal et systématique, après avoir été exercé de manière informelle et artisanale.

Il n'y a pas non plus de contre-pouvoirs qui permettraient de contrôler le fonctionnement du nouveau dispositif. Aucun parti, aucune institution n'est en mesure d'imposer le respect strict des règles légales fixées pour la gestion de ce nouvel organisme de surveillance de l'Internet. Les avocats ne sont pas suffisamment outillés pour faire face, la société civile non plus. En fait, un citoyen surveillé par ce big brother ne peut même pas s'en rendre compte. Et s'il devait l'apprendre, il n'aurait aucun recours sérieux, tant ceux qui l'exercent vivent dans l'impunité.

L'ESPRIT TOUFIK MEDIENE

Selon un mécanisme bien connu, ce dispositif, supposé protéger les Algériens, va ainsi se transformer en un appareil qui va les surveiller. Et le plus inquiétant est que la société va l'accepter, par résignation, par démission ou même par nécessité. L'installation de caméras vidéo n'a fait l'objet d'aucune contestation significative. Après tout, diront certains, dont l'attitude peut se comprendre, si une surveillance généralisée peut contribuer à empêcher des actes terroristes, il faut l'accepter.

Ceux qui pourraient contester ce dispositif sont, en outre, trop éparpillés. Ils n'ont pas de voix, par d'organisation, pas de porte-parole. Et ils ne sont pas islamistes : ceux-ci sont favorables à une surveillance systématique de tous les habitants.

Ceux qui remettent en cause le nouveau dispositif appartiennent à deux grands courants. Il y a ceux qui privilégient la liberté, y compris quand leur attitude constitue un risque pour la sécurité. Leur attitude peut être contestée.

Et il y a ceux qui estiment que liberté et sécurité sont si étroitement liées qu'elles ne peuvent être dissociées. Pour eux, le pouvoir se trompe de piste. Ce n'est pas en mettant tout le monde sous surveillance qu'on assure une meilleure sécurité. Ils soutiennent aussi que la sécurité est le premier garant de la liberté. Il faut donc concevoir un système très performant, qui immunise l'Algérie contre des systèmes connus, de type NSA, plutôt que d'étendre la surveillance des Algériens. Et plutôt que de vouloir suivre les pas de Toufik Mediène, qui se prenait pour Feraoun, Imène Houda Feraoun ferait mieux de redécouvrir Edward Snowden, pour savoir d'où vient la véritable menace contre l'Algérie.