Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Lettre de Gaïd Salah : la présidence impose son tempo !

par Abdellatif Bousenane

Après plus d'une semaine du congrès du FLN, l'événement le plus marquant de ces derniers jours continue à livrer ses secrets. La lettre inédite du chef d'état-major Ahmed Gaïd Salah, l'un des alliés les plus fidèles et les plus primordiaux pour le chef de l'État, n'a laissé, en fait, aucun doute sur la prédominance de la Présidence.

Doit-on considérer ainsi cette sortie, qui a surpris beaucoup de monde, comme étant une bourde, parce que l'armée n'a pas vocation à s'ingérer dans les débats partisans politico-politiciens et elle doit rester au-dessus de tous les partis. D'autant plus que c'est la volonté officielle affichée qui prévoit, à travers les dernières restructurations, la professionnalisation de l'armée afin que l'institution militaire garde la même distance envers tous les protagonistes, inspirant ainsi le respect de tout le monde. Puis dans la vie politique moderne, qu'espère le pays, les militairesont un rôle bien défini : protéger le pays et garder la sécurité de nos frontières. De ce fait, un coup dur a été infligé à l'impartialité de l'armée.

Ou s'agit-il plutôt d'un message explicite aux appels à l'ingérence de l'armée pour imposer au président de la République des choix souhaités par l'opposition. Un coup d'État masqué ! Sinon d'un autre message implicite destiné aux dernières « poches de résistance » au sein du régime ?

La succession tombe à l'eau ?

En tout cas, contre l'avis d'une grande majorité des politiques, commentateurs et observateurs qui prédisaient déjà un compromis aux plus hautes sphère du pouvoir entre les différentes composantes de l'élite gouvernante qui aboutira par le retrait du président Bouteflika au profit d'Ahmed Ouyahia, ce soutien ferme et déterminé affiché par M. Gaid Salah chef de l'état-major et vice-ministre de la Défense, nous confirme la thèse que nous avons avancée au Quotidien d'Oran de jeudi dernier, à savoir que la présidence a fini par exiger sa vision des choses et ses hommes pour aller jusqu'au bout du quatrième mandat et jouer un rôle majeur dans le choix des futures décideurs au-delà de 2019. Car, il n'y a aucun changement dans le ton, ni dans la méthode ni même dans la détermination du camp présidentiel qui nous donnent un indicateur sérieux de cette succession tant attendue. En plus de cette lettre, une semaine après le congrès, la liste du comité central a été élargie à l'adhésion de ministres supplémentaires. Les jeux sont faits !

Dans ce contexte bien particulier vient la réplique très timide et peu éclatante de la CNTLD en se basant dans sa lecture sur des rumeurs qui parlent d'une « éventuelle explosion » de la rue qui tarde à venir, et en misant sur une probable guéguerre au sein du pouvoir qui mettra fin au règne de Bouteflika pour qu'au final elle sera confrontée à des « joueurs » plus maniables. Ce manque de « sources » qui rend l'opposition radicale très mal informée de ce qui se passe dans le sérail nous révèle à quel point elle est aujourd'hui hors-jeu et on peut même supposer qu'elle était instrumentalisée par les stratèges du système.

Repli sur soi !

Si on lit bien le sens sous-jacent de la succession de ces « événements » surtout la dernière en date, la lettre du général-major Gaïd Salah, on se retrouvera devant une évidence, l'élite gouvernante a fait son choix de renforcer la démocratie contrôlée ou dirigée et la faire durer le plus longtemps possible. C'est à dire, faute d'instaurer deux vrais pôles idéologiques opposés comme c'est le cas dans le modèle de la démocratie occidentale, gauche/droite, libéraux conservateurs versus socialistes progressistes, on n'a pas trouvé, à tort ou à raison, que le choix d'un « centrisme hétérogène » où le FLN joue le rôle de meneur. Ce modèle est constitué effectivement de plusieurs tendances idéologiques, plusieurs cultures politiques mais qui sont toutes d'accord sur la modération et la souplesse dans les postures ainsi que le compromis et les concessions sur les sujets les plus problématiques en sacrifiant quelques idéaux, fussent-ils fondamentaux.

Mais une question de taille se pose dans cette perspective : aujourd'hui il y a un dénominateur commun, c'est la fidélité au programme et à l'homme, Bouteflika, mais demain que faire en l'absence de cet élément fédérateur ? Seront-ils capables de continuer sans « guide » ?

En choisissant de s'enfermer sur lui-même et d'opter pour une démocratie contrôlée, le fameux « système » exhibe ses muscles et parle désormais aux restes de la classe politique d'un ton ferme dans une logique d' à prendre ou à laisser. Cependant, a-t-il mesuré les risques que porte une telle posture ? Va-t-il continuer jusqu'au bout de sa stratégie en méprisant des partis qui ont un discours beaucoup plus conciliant comme le PT, le FFS, les redresseurs du FLN et d'autres partis ?

Bref, autant cette lettre est révélatrice d'une partialité flagrante de l'institution militaire qui est contraire aux normes de la vie politique moderne, autant elle démasque les « défenseurs » de l'Etat civil, les adeptes de la démocratie à l'occidentale, des éradicateurs et tous ceux qui ont appelé l'armée à destituer le président de la République élu par le peuple, ceux qui appellent l'armée pour aller dans leur sens et qui s'indigent lorsque elle soutient l'autre partie ! Donc, tous ceux qui ont une définition de la démocratie à géométrie variable !