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Les énergies renouvelables victimes du vide institutionnel

par Abed Charef

Le débat sur les énergies renouvelables s'est transformé en une polémique sans queue ni tête. En cause, l'absence de canaux institutionnels pour élaborer et gérer une politique de l'énergie.

La fetwa de Youcef Yousfi est tombée. L'énergie solaire coûte quatre fois plus cher que celle produite à partir de sources conventionnelles, selon le ministre de l'Energie. Ce chiffre tranche avec ceux avancés par de nombreux experts, qui font état d'une baisse importante du solaire durant la dernière décennie. Des spécialistes parlent même de parité entre le solaire et l'énergie produite à partir du gaz dans des zones bénéficiant d'un ensoleillement suffisant.

A partir de ce diagnostic, M. Yousfi estime qu'il est inutile de se presser d'aller vers les énergies renouvelables. A quoi bon, en effet, investir dans une source d'énergie aussi onéreuse, quand on dispose de réserves en gaz élevées en mesure de garantir à l'Algérie son indépendance énergétique à un coût raisonnable ?

M. Yousfi précise même que le fameux Desertec a désormais peu d'intérêt, du moment que l'Europe dispose, aujourd'hui, d'un excédent d'électricité, et serait peu enthousiaste à l'idée de s'approvisionner hors du marché européen.

Comment M. Yousfi arrive-t-il à déduire un écart aussi élevé entre deux sources d'énergie ? En utilisant des chiffres sans signification réelle, nous dit un économiste. M. Yousfi calcule le coût de l'énergie produite en Algérie avec du gaz subventionné. Cela lui permet d'écraser le prix de l'énergie conventionnelle. Les chiffres les plus récents, annoncés le 21 avril, par le P-DG de Sonelgaz, M. Noureddine Bouterfa, font état d'un kilowatt/h qui revient à trois dinars hors taxe. Mais ce prix est obtenu avec du gaz «domestique» facturé à un prix sans rapport avec ceux pratiqués sur le marché international. «Tous les coûts de production sont subventionnés, même l'électricité utilisée pour faire tourner les centrales», ironise un économiste.

Par contre, quand il s'agit d'énergie solaire, M. Yousfi en évalue les coûts sur la base de prix internationaux, qui sont, en net, décalage par rapport à ceux pratiqués en Algérie. Le modèle économique américain ou australien, où tout est pris en compte, de la location du terrain au coût des émissions de carbone, en passant par les salaires très élevés du secteur, diffère largement du modèle algérien.

SONELGAZ SE DEMARQUE

Cette méfiance de M. Yousfi envers les énergies renouvelables ne l'empêche pas d'annoncer des investissements massifs dans le secteur, pour produire 30% de la consommation du pays, à partir de ressources renouvelables, à l'horizon 2030. Ces chiffres lointains n'engagent pas, à grand-chose, mais quand il en fait état, le ministre de l'Energie fait preuve d'autant d'entrain que M. Noureddine Yassa, directeur du Centre de recherches en énergies renouvelables, qui affirme qu'en ce qui concerne les coûts de production, l'énergie solaire a atteint la parité avec celle produite à partir du gaz, dans des régions moins ensoleillées que le Sahara algérien. Et M. Yassa promet, encore, des baisses de 20% dans les années qui viennent, après une chute de 40%, entre 2008 et 2015.

Pourquoi, avec un tel tableau, M. Noureddine Bouterfa, P-DG de Sonelgaz, affirme-t-il que le renouvelable, «ce n'est pas (sa) priorité» ? Avec une telle déclaration, M. Bouterfa prend, clairement, ses distances avec le ministre. Y aurait-il du gaz entre les deux hommes ? En tout état de cause, M. Bouterfa se démarque aussi de M. Yousfi sur la question des prix. Il réclame, publiquement, une augmentation des tarifs, affirmant que Sonelgaz vend à 2,20 dinars le kilowatt/h qui lui coûte 3 dinars, alors que le ministre se contente de répéter le discours du président Bouteflika, selon lequel, il n'y a pas de révision de prix à l'horizon.

PAS DE LIGNE DIRECTRICE

Ce qui est frappant dans ce tableau, c'est l'absence de ligne directrice. Visiblement, le souci de M. Yousfi est de tenir un discours apaisant, en vue d'éviter, coûte que coûte, tout risque de remous sociaux. M. Bouterfa, de son côté, défend la chapelle de son entreprise, et se limite à un carré très strictement marqué : on m'a demandé de produire l'électricité pour satisfaire la demande interne, le reste n'est pas de mon ressort, dit-il.

Quant aux autres intervenants, ils sont animés de motivations très différentes. Chacun est emmuré dans sa chapelle, avec une guéguerre infinie, entre les chiites du renouvelable et les sunnites des énergies conventionnelles. Entre les deux, la République n'a ménagé aucun espace pour organiser ou canaliser les débats. Le débat est alors transposé dans la rue, considérée comme l'arbitre suprême, un rôle qu'elle a joué, dans la polémique sur le gaz de schiste.

Dans ce montage très sommaire, manque, évidemment, le Conseil national de l'Energie. Quelle que soit l'opinion qu'on puisse avoir de cette institution, de sa composante et des opinions qui peuvent en émerger, son absence se fait, cruellement, sentir, car elle est la mieux placée pour aider à la prise de décision. Après les dégâts causés par l'épisode Chakib Khelil, l'Algérie semblait immunisée contre les décisions prises en solitaire par des hommes «providentiels». Tout plaidait pour un retour rapide vers un fonctionnement institutionnel, au moins dans quelques secteurs essentiels pour le pays, comme l'énergie. Mais quelle institution peut fonctionner dans un pays où le conseil des ministres, lui-même, ne se réunit que deux fois par an ?