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DES GREVES POUR UN PROJET DE SOCIETE

par M. Abdou BENABBOU

Sans doute faudrait-il extraire de la mélasse dans laquelle ne cesse d'être traînée l'école algérienne un gage bienfaiteur insoupçonné et répéter pour une énième fois que le malheur pourrait s'avérer bon. Quand une maîtresse d'école se présente devant ses élèves le matin en chemise de nuit et quand un professeur d'université est déféré menotté devant un juge pour un diplôme usurpé, c'est que quelque chose de grandiose ne tourne pas rond.

Nos syndicats font œuvre utile de gesticuler à grands cris pour qu'ils soient mieux positionnés. Quitte à anesthésier les écoles et les lycées pour un bout de temps car de toutes les manières ils ne cessent de tirer à blanc au fil des années, et le mieux qu'ils aient pu établir a été d'asperger de chloroforme des générations entières d'Algériens. Des vacances prolongées pour cause de grève n'ont aucune incidence sur une vacance plus large qui s'évertue à tisser du vent. Peu importe le degré des griefs et le contenu des réclamations matérielles s'ils permettent une bonne fois pour toutes une prise de conscience sur une éducation scolaire aujourd'hui dépravée et à l'opposé de ce que devait être une institution vitale pour le pays.

Il est essentiel cependant de ne pas dissocier l'école du reste de l'immense champ de la vie économique et sociale car la première règle veut que ce vaste reste soit immanquablement le miroir fidèle de l'école. Et plutôt que d'inscrire platement nos enseignants dans une démarche égoïste et décalée, ils offrent l'opportunité d'aller vers une grande question. Repenser l'école suppose d'abord redéfinir la société dans toutes ses profondes articulations. Parce qu'elle doit préparer l'homme de demain à obéir à la cadence de la marche de plus en plus implacable du monde, elle ne saurait se suffire de petits soins et de rafistolages qui lui seraient particuliers. L'asseoir seulement sur de vagues bases idéologiques et philosophiques est inopérant et elle restera une coquille vide dissipée par une poésie d'un autre temps.

Le présent et le futur de l'enseignant, du médecin, du fonctionnaire, de l'architecte, de l'entrepreneur, de l'écolier et de l'ensemble des forces vives sont intimement liés. Harmoniser avec efficacité leur avenir ne saurait se satisfaire d'épars positionnements restreints. Plutôt que de cadrer la colère des enseignants avec légèreté pour une accalmie sociale temporaire, il s'agit bien de se pencher avec sérieux sur la nécessité d'un statut pour le pays. Cela s'appelle un projet de société.