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Gouvernement : Les projets «pas importants» différés

par Ghania Oukazi

Les deux principales mesures retenues par le dernier Conseil interministériel (CIM) consistent, la première «à discipliner l'importation», la seconde «à différer les projets dont l'importance n'est pas impérative pour l'économie nationale».

Avant que «les consignes» du 1er ministre ne s'élargissent à tout le gouvernement dont le Conseil se tient aujourd'hui, le CIM tenu lundi dernier sous sa présidence a regroupé les ministres dont, nous dit-on du côté du Premier ministère, «les secteurs sont budgétivores». Ceux concernés sont entre autres, l'Energie, l'Industrie, l'Habitat, les Travaux publics, l'Enseignement. S'il est qualifié «d'extraordinaire» par nos sources, c'est, nous soulignent-elles, «parce qu'il a été programmé pour faire le point sur la situation financière et économique du pays en ces temps où le prix du baril de pétrole a chuté». On nous avoue alors qu' «il y a des dépenses qui sont jugées faciles qu'il faut revoir». La seule condition imposée par le président de la République, selon nos sources, est que «le programme du développement ne s'arrête pas et le budget pour la réalisation des programmes sociaux ne soit pas touché d'un centime». Au Premier ministère, «il est interdit, assure-t-on, de parler d'augmentation pour l'eau, l'électricité ou autres produits incompressibles pour les Algériens». Toujours selon nos interlocuteurs, les investissements créateurs d'emploi seront réalisés. «Tout ce qui a été lancé comme infrastructures sera réalisé puisque ça sert l'économie nationale», disent-ils. Reste que «ce qui n'est pas impératif pour le développement économique du pays sera différé d'une année ou deux», affirment nos sources. Les projets comme ceux des tramways dans certaines villes, les extensions de métro qui ne sont pas encore lancées, et autres chantiers devant être ouverts pour, commentent nos sources, «qu'on ne dise pas qu'on fait dans du favoritisme en faveur du Nord et notamment de la capitale par rapport aux autres régions, ces chantiers dont les études ne sont même pas finies seront différés d'un an ou deux». La deuxième restriction importante touche la sphère des importations qu'on doit, affirme-t-on, «absolument discipliner». L'on soutient ainsi qu'«on ne peut plus continuer à tolérer d'importer n'importe quoi, des produits de gourmandise et autres de luxe, facultatifs pour l'Algérien moyen notamment». Conformément aux instructions données par le 1er ministre durant le CIM de lundi dernier, il est question pour tous les secteurs de «consommer national». On nous explique qu'en particulier «pour le BTPH, l'Eau, la Santé, l'Industrie, l'Enseignement, l'Energie, devront impérativement s'approvisionner pour leurs projets auprès des entreprises nationales, tout sera passé au peigne fin en matière d'importation». Les ministres ont été instruits, selon nos sources, pour qu'«aucun produit local ne soit concurrencé par un autre importé».

TRANSFERTS ILLICITES DE DEVISES ET «KHORDA»

A plus de 60 milliards de dollars, le «budget» des importations concurrence de très près celui des transferts sociaux qui, eux, profitent «en principe» à de nombreux Algériens contrairement aux importations qui enrichissent une caste dont les pratiques ne sont pas toujours honnêtes, selon les propres dossiers des douanes nationales. «Nous avons un grand nombre d'affaires de transferts illicites de devises devant la justice», nous a affirmé le DG des douanes en novembre dernier. Des containers de marchandises importées sont parfois bourrés de «khorda, des sachets de vieux vêtements ou de n'importe quoi pour alourdir le container et pouvoir faire un transfert de devises selon ce poids. Parfois, on le remplit avec de grosses pierres», nous dit ce cadre du ministère du Commerce. Tout pour justifier un transfert de devises qui saigne les caisses de l'Etat. Mais ceci est une autre histoire d'un commerce extérieur ouvert pour faire plutôt des affaires que pour relancer l'économie. «Discipliner les importations» s'inscrit, selon nos sources, «dans une logique économique qui devait être appliquée depuis longtemps sans que la chute du prix du baril nous y oblige. Ceci si on veut avoir une économie créatrice de richesses comme le veut le discours politique», nous dit un haut responsable.

D'ailleurs, au Premier ministère, on reconnaît qu'«on traverse des moments difficiles parce qu'il y a une diminution dans les rentrées en devises du pays mais on déplore l'angoisse et l'alarmisme entretenus et propagés par des milieux qui parlent déjà de trous financiers dans les caisses de l'Etat». L'on avoue d'ailleurs que «cette chute du prix du pétrole est une excellente chose pour le pays, elle va secouer tout le monde pour que chacun prenne les mesures qu'il faut pour construire une économie qui ne reste pas otage des hydrocarbures».

«LE LOGEMENT PASSE AVANT LA VOITURE»

Le manque à gagner provoqué par cette chute des prix est évalué à près de 20 milliards de dollars que l'Etat puise dans le fonds de régulation. Le gouvernement rassure cependant «pour l'instant», nous indique-t-on, que «tout ce qui est programmé dans le quinquennat 2014-2019 a déjà sa dotation budgétaire bien arrêtée et retenue». Pour en expliquer l'approche, l'on tient à noter que «comparaison n'est pas raison». Ceci, lorsqu'il s'agit, nous affirment nos sources, de «comparer la situation actuelle du pays à celle des années 91». Pour nos interlocuteurs du gouvernement, «aucune donnée actuelle ne correspond à celle des années 90 où il y avait une succession de problèmes politiques, économiques et sociaux suite à la crise économique de 88, au lourd endettement qu'on traînait, à la politique de déstructuration du tissu industriel et les grosses pertes d'emploi dès 92 sous les effets des plans d'ajustements structurels imposés par le FMI après le rééchelonnement de la dette extérieure, le tout conjugué à la crise sécuritaire qui a plongé le pays dans des situations inextricables qui ont failli emporter l'Etat même». L'on estime alors que «les terribles répercussions de ses années noires sur tous les plans perdurent à ce jour». Depuis et jusqu'en 2003, la demande de logement «à titre d'exemple», s'est chiffrée à 3 millions. «Les familles se sont déplacées en masse pour fuir le terrorisme», rappellent nos sources. «Il fallait les loger convenablement. C'est ce que l'Etat a fait. Aujourd'hui il ne reste qu'un million de logements sociaux et ruraux à lancer pour juguler la crise d'ici à 2018», nous dit-on comme déjà annoncé récemment par le ministre du secteur. C'est ce qui fait dire nos sources que «nos besoins sont aujourd'hui moindres par rapport à ceux des années 90». L'on note même que «les Algériens ont dans leur majorité acheté des voitures, ils en sont même gavés, ce n'est pas que le marché a baissé mais ils n'achètent plus, aujourd'hui. Ils préfèrent économiser pour acquérir un logement parce qu'il passe avant». Nos sources gouvernementales tiennent à souligner que l'emploi est aussi pris en charge «puisque le chômage est de 9,7% (chiffre retenu par le FMI), un taux qui n'augmentera pas parce que le Produit intérieur brut (PIB) est très bon grâce à une croissance hors hydrocarbures qui se tient entre 6,5 et 7% (chiffres aussi du FMI)».

«LA REALITE DONNE DES ANALYSES ERRONEES»

A une remarque «d'analystes» que les politiques publiques ne règlent ni la crise du logement ni ne jugule le chômage, les transferts sociaux ne garantissent pas l'équité, nos interlocuteurs répondent que «dans le monde économique, il y a toujours cet affrontement entre la théorie et la réalité, par exemple : aucune théorie n'a pu juguler la crise du capital, la tension sur le logement se trouve dans tous les pays occidentaux ; régler cette crise relève, en effet, de l'utopie. Mais entre les 3 millions de demandes des années 90 et les 900 000 d'aujourd'hui, il y a une réalité qu'on feint d'ignorer. On doit s'atteler bien sûr à régler le passif, mais dès 2018, précisément dans le prochain quinquennat, on doit rentrer dans la normalité en matière de logement, c'est-à-dire permettre aux personnes qui s'estiment à l'étroit d'acquérir un logement. L'Etat a enregistré aujourd'hui 1,6 million de demandes toutes formules confondues. Si on enlève les 900.000 qu'on doit régler dans ce quinquennat, resteront 700.000 qu'on programme dans le prochain quinquennat». Au Premier ministère, on est persuadé que «les politiques publiques, comme celle du logement, menées par l'Etat ont ramené la paix sociale, la sérénité au sein des populations, réanimé l'esprit patriotique et nationaliste des Algériens». L'on souligne que «les gens votent pour des intérêts et garantir l'emploi, le logement, l'école, la santé en font partie en premier». Interrogé sur l'importance financière des transferts sociaux (plus de 60 milliards de dollars), l'on nous précise que «les problèmes sociaux sont à la charge de l'Etat, personne d'autre ne peut s'en préoccuper». Encore une fois, nous dit-on, «la théorie confrontée à la réalité, ça donne des analyses erronées». Nos sources gouvernementales reconnaissent qu' «il faut que l'Etat cible par ces transferts ceux qui sont dans le besoin et dont le pourcentage atteint 20 à 25%, à condition qu'ils soient recensés convenablement. Il faut pour cela des enquêteurs honnêtes, des fiches claires et sûres». Ceci, précise-t-on, «inclue la réforme des mentalités dans les réformes de tous les secteurs et du système politique lui-même. L'Algérie y arrivera bien un jour».