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De l'origine des maux

par Belkacem Ahcene-Djaballah

LE POUVOIR DES RENTIERS... Essai de Smaïl Goumeziane, Editions Edif 2000, Alger 2000/200 , 193 pages, 400 dinars

Connaissez-vous les quatre phases de la formation et de l'appropriation de rentes... en Algérie ?

1. Gérer durablement un déséquilibre permanent entre l'offre et la demande

2. Les produits offerts en quantités limitées par l'administration ou ses monopoles doivent être acquis au prix «planifié»

3. Revendre sur le marché parallèle les quantités plus ou moins importantes acquises sur le marché administré, à des prix plus rémunérateurs permettant de dégager un surprofit ou une rente spéculative

4. La rente est accaparée par une couche «mercantilo-administrativo-spéculative» qui la transforme en un nouveau placement spéculatif ou en consommation somptuaire.

En Algérie, nous l'explique l'auteur, entre 1974 et 1988, ces rentes ont été multipliées par plus de 20 fois? Des rentes spéculatives qui ont alimenté les fuites de capitaux hors d'Algérie grâce au change parallèle de devises : près de 15 milliards d'euros sur trente ans ! Peut-être bien plus, mais sûrement pas moins.

Imaginez la suite et vous allez vous perdre dans un océan de rentes et de «détournements» des richesses nationales... dans le monde? et en Algérie? Croissance géométrique garantie !

De la théorie ! Heureusement, mais en phase avec une réalité bien concrète, dure à avaler par ceux? qui ne sont pas des rentiers. Les autres, les «as» de la rente, ils s'en foutent. D'ailleurs, ce genre de bouquins et de «ratiocinations», ils n'arrivent pas à les lire et encore moins à les comprendre. Ça bloquerait leurs magouilles et leurs crimes. Car la rente, c'est, aussi, la prostitution, le trafic de drogue et des armes, les détournements et le blanchiment d'argent? et des «cibles nouvelles» naissent au fil du temps : la publicité, les événements planétaires, le sponsoring, le sport, le commerce de la «harga», le change parallèle... Même les Etats sont contaminés.

«Non seulement, les rentes n'ont pas disparu, mais il est pour l'essentiel impossible de les faire disparaître? Elles constituent, au contraire, une part importante du revenu national dans la plupart des pays?»

Avis : Déconseillé aux non ?rentiers car cela risquerait de les décourager, tant il est désormais vrai que «si jamais la création de richesses n'a été aussi forte dans le monde»? «sa distribution, dominée par les rentiers, prive une grande partie des populations des fruits de leur créativité»

Extrait : « En vérité, ce n'est pas l'absence de travail qui est un malheur ; c'est l'absence d'argent, bien sûr, c'est la misère, c'est l'exclusion... Mieux vaut être rentier que smicard, et cela en dit long sur le travail?» (p 141)

LE POUVOIR DES RENTIERS... Essai de Smaïl Goumeziane, Editions Edif 2000, Alger 2000/200 , 193 pages, 400 dinars

Né en Algérie, ayant passé une grande partie de son enfance au Maroc, ayant étudié (et travaillé) en Algérie... il s'établit par la suite au Canada où il y devient Docteur en Management et un enseignant connu et reconnu? dans les domaines de l'économie et des affaires.

D'abord un ouvrage, «La stratégie de l'autruche», dont le titre est à lui seul toute une philosophie. Ensuite, celui-ci, «Halte au gâchis». Il y tombe, cette fois-ci, à bras raccourcis, sur le système de marché autorégulé (ultralibéral) qui, pour lui, est loin d'être le meilleur. Le pire par beaucoup de ses côtés !

Il décortique le système économique américain et le «taille en pièces», prônant, sans le dire, une sorte de libéral-socialisme...où l'éducation, la santé, l'énergie, le logement, les produits et services de première nécessité, la production des milieux de vie? «ne doivent pas être laissés aux lois du profit et de la fructification de l'argent».

Une démarche ou, plutôt, une théorie économique qui, au niveau de l?analyse se tient très bien tant les (mauvais ) exemples du (mauvais) affairisme américain sont parlants?mais les propositions (que l'on tire soi-même des critiques émises) paraissent, peut-être, acceptables seulement... au Canada et dans des pays aux capacités productives énormes (comme la Chine ou la Malaisie)... mais pas dans des pays même pas émergents (dont nous faisons partie) où il y a encore énormément de «restes» et de «boulets» techniques, organisationnels et psychologiques du socialisme spécifique, une économie encore dominée par l'Etat et, surtout, un nouvel affairisme bien douteux. De ce fait, tous les enseignements, même les plus novateurs en matière de management ne donneront que des résultats minables, quand ce ne seront pas des échecs

Avis : Le titre et le sous-titre de l'ouvrage sont, à eux seuls, des indications plus que claires sur l'orientation et les objectifs de l'auteur. Une analyse qui s ?apparente beaucoup plus à un pamphlet beaucoup plus qu'à une analyse. Que dis-je ? Un brulôt. Qui se lit facilement si vous avez dans votre ligne de mire le management «à l'américaine».

Extraits : «Comparer les institutions étatiques à l'entreprise privée, c'est comme comparer une baleine et un cheval, en prenant comme système de référence l'océan, et en reprochant au cheval de ne pas plonger aussi vite qu'une baleine. L'Etat n'est pas un bussiness et il n'a pas à l'être» (p 11), «Aujourd'hui, nous sommes donc en présence d'une nouvelle forme de «guerre» des marchés, des prix, avec de tout nouveaux joueurs qui, de toute évidence, «jouent» autrement» (p 50)

IDEOLOGIES, STRUCTURES, CONTRE-POUVOIRS?

Essai de Georges Corm. Editions Apic, collection Dissonances, Alger 2013 (Editions La Découverte, Paris, 2010). 301 pages, 850 dinars

Universitaire spécialiste de l'économie et de l'histoire, ministre des Finances du Liban (décembre 1998-octobre 2000 dans le gouvernement de Emile Lahoud, réformateur et dénonciateur de la corruption envahissante dans le pays),auteur de plusieurs ouvrages, l'auteur poursuit, en fait, un travail de réflexion entamé en 1993 avec Le Nouveau Désordre économique mondial, enrichi, dit-il, par les enseignements tirés du court passage dans l'arène politique, nais aussi de quarante cinq ans de vie professionnelle, dont une bonne partie à l'échelle internationale, en tant que banquier, puis consultant de divers organismes internationaux de financement ou de sociétés privées.

 Ni socialiste, ni capitaliste, ni libéral ni autoritariste ou interventionniste. Il iinnterventionniste.il se veut surtout partisan d'une pratique sociale permettant la production du bien-être matériel, équitablement réparti au sein d'une société, comme entre elle et le monde extérieur, de l'équité plus que de l'égalitarisme. Vaste ambition. Pas facile à réaliser (cf. sa courte expérience gouvernementale) dans un monde où se sont imposés les dogmes certes simplistes du néolibéralisme (pensée libérale classique dévoyée) mais bien efficaces. D'autant que le système de formation des nouveaux économistes a enfermé les managers dans la démarche mathématicienne et une masse de logiciels, dans la surenchère dans l'orthodoxie néolibérale, facilitant les «extravagances» financières les plus invraisemblables et l'abandon des principes légaux, enrichissant au-delà de toute raison les membres des pouvoirs, les nouveaux étant pires, plus rapaces que les anciens.

Un constat que l'on retrouve chez nous : Les sciences humaines et sociales ont cessé d'être des sciences morales, pour se replier sur des descriptions impressionnantes du présent, détaché de tout contexte historique, politique et économique. Le plus souvent, les études n'appréhendent la réalité sociale et son évolution qu'à l'abri d'un appareil conceptuel de plus en plus sophistiqué, mais à faible consistance épistémologique. «Un voile très efficace pour occulter les phénomènes de puissance et de déstructuration des rapports sociaux».Voilà qui avait permis à nos «Golden boys» et à d?autres managers ( ?????) «exilés» ou sortis de l'ombre, des «forts en maths», des «surhommes»....de «faire passer», dans un pays sortant d'un cauchemar, traumatisé, perdu, «des vessies pour des lanternes» et, les échecs constatés, aux nostalgiques du socialisme de remettre sur le tapis des méthodes de gestion obsolètes?. sous l'œil narquois, et tout aussi rapace, des partisans de l'économie dite islamique.

Avis : A lire... en restant éveillé pour ne pas «avaler» toutes les critiques et pour ne pas aller aveuglément dans le sens d'analyses magistralement menées. Le constat est une chose, la mise en œuvre en est une autre. La globalisation-mondialisation est, hélas, un mouvement irrépressible? . Mais, «il ne faut pas s'interdire de penser autrement l'évolution du monde». Attention, «penser est une affaire sérieuse», et ce ne sont pas les manifestations de rue et des slogans disparates qui y aideront.

Extrait : «La fin du communisme soviétique a provoqué un grave dégât collatéral, celui de la marginalisation de la pensée critique, très prisée à cette époque dans l'univers des démocraties libérales, tant que deux systèmes philosophiques et économiques contradictoires s'affrontaient pour la domination globale du monde. En fait, cette période avait préparé celle qui allait suivre, puisque l'un des systèmes s'étant effondré, l'autre ne pouvait que ramasser toute la mise et parachever rapidement l'œuvre «mondialisatrice» initiée en 1492 par l'arrivée de Christophe Colomb en Amérique» (p.13)