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Les contraintes économiques vont ramener les Egyptiens à la raison

par Reghis Rabah *

Après l'assaut par la police et l'armée pour évacuer les deux places de protestation de la confrérie au Caire avec un bilan très lourd, près de 700 morts et des milliers de blessés d'après les autorités et beaucoup plus à en croire les Frères musulmans.

Le vendredi dernier a confirmé la détermination des uns et autres avec près de 173 morts qui s'ajouteront au premier bilan et éloigne encore plus une solution politique. Ce vendredi justement, aucune chaîne de télévision privée ou d'Etat n'appelle à la sagesse.

Toutes favorisent les tables rondes qui diabolisent les frères musulmans et celles qui sympathisent avec ces derniers fond de même envers l'armée mais un des deux pôles semble agir á l'ombre et pour le bénéfice des dignitaires de l'ancien régime Moubarak. En effet, dans une des discussions organisée par la?chaîne Nil culture, un général à la retraite, exerçant aujourd'hui le métier de consultant en stratégie militaire, commentant la démission d'El Baradei et de Khaled Daoud du front du Salut National s'est trahi en s'interrogeant sur leur détermination d'œuvrer pour une réconciliation avec la confrérie et pas avec les Moubaraks qui « pourrissent » en prison.

La speakerine a rougit mais n'a pas osé l'interrompre. La haine et la rancœur empêchent le raisonnement serein, pragmatique pour avancer vers des solutions objectives loin de toute passion. Il faut souligner que les pays qui n'ont pas approuvé les manières fortes de l'armée égyptienne croient en ce qu'ils voient, des morts par centaines et des blessés par milliers du côté de la population, offensive de la mosquée El Fath de ramesses où des civils armés agressent les manifestants qui quittent la mosquée au vu des policiers etc. Mais de l'autre côté, on parle de morts de policiers et de soldats et officiers supérieurs de l'armée mais aucun journaliste n'a rapporté la moindre image pour pouvoir en témoigner. On évoque des églises, des établissements publics, des postes de polices saccagés et brûlés mais aucune preuve formelle n'a été établie de la main de la confrérie. Les Etats-Unis par le biais du Mossad savent très bien que la confrérie n'a aucun contrôle sur les groupes terroristes qui opèrent au Sinaï. Le massacre des détenus d'Abou Zaâdel déroute les organisations humanitaires sur ses circonstances.

De l'isolement politique de l'Egypte

Il faut préciser peut être que la destitution de Morsi n'est pas un secret pour les Etats-Unis et à travers eux l'ensemble des pays de l'OTAN. Mme Anne Paterson, ambassadrice des USA en Egypte devait suivre toutes les étapes de préparation et lorsqu'elle a découvert les vrais commanditaires qui ne sont autres que les dignitaires de l'ancien régime Moubarak, elle aussitôt rendu compte au pentagone qui a pris la décision de ne pas s'associer à cette entreprise des milliardaires mais ne s'opposerait pas non plus. Lors de la mise en œuvre de cette opération, le général Al-Sissi avait déclaré à Washington Post que le secrétaire d'Etat à la défense Chuck Hagel était informé par lui-même à chaque étape de l'opération. Alors dans ce cas où est le problème ? Et bien les Etats-Unis et leurs alliés ont déduit que le jeune général gère mal ses manœuvres et les embarrasse dans leur position dans ce conflit. Il s'agit des arrestations arbitraires des leaders des frères musulmans, un prétexte fallacieux pour retenir le président déchu et surtout une position rigide incompréhensible d'Al-Sissi à toute solution que les USA et l'Europe proposent. Il donnait ainsi l'impression que lui-même est entraîné dans un engrenage qu'il ne contrôle plus. Le divorce est consommé définitivement entre les Etats-Unis et le général lorsque ce dernier à narguer Obama au téléphone pour l'inviter par le biais de ses conseillers de s'adresser au président de l'Egypte, Ali Mansour. (01) Le lendemain, le président Obama s'est exprimé publiquement pour condamner le massacre des civils par l'armée et annuler les manœuvres militaires conjointes.

La dérive de la « révolution » 30 juin 2013

Sur les 27 Mohafazat que compte l'Egypte, 25 ont été remaniés en mettant à leur tête des cadres de l'ancien régime Moubarak. La connivence du mouvement Tamarrod avec les milliardaires égyptiens est devenue ouverte et gêne les autres parties qui ont appuyé la feuille de route, notamment le Front du Salut National et l'Institution d'El Azhar. Les responsables de la transition ont adopté un comportement politique peu adulte. En effet, faire pression sur les sociétés de droit commercial pour adopter des blocus envers les pays voisins, Arabes et Africains qui n'ont pas soutenu la feuille de route de l'armée. Le groupe de la chaîne El Hayat a décidé de ne plus diffuser les feuilletons Turcs, bloquer les opérations d'import/export avec le Yémen parce que ces deux pays ont soutenu les pro-Morsi, chercher des noisettes à la Tunisie parce qu'il la soupçonne de donner Asile à Mohamed Badie, le chef de la confrérie des frères musulmans dans leur ambassade en Egypte. En définitif, il a été arrêté dans un appartement á la cité Anasr tout près du lieu de protestation. La télévision et le mouvement Tamarrod ont en fait un tel tintamarre qu'on aurait cru qu'ils avaient attrapé un lion par sa queue. Ils avaient complètement oublié qu'ils allaient enterrer les 26 policiers massacrés par les troupes terroristes etc. Bien avant la déclaration de l'avocat de Hosni Moubarak le lundi 19/08/2013 de la libération imminente de l'ancien président de l'Egypte, Ahmed Chafiq qui se trouvait dans les Emirats Arabes Unis ont a fait allusion dans un entretien téléphonique qu'il a accordé à la télévision nationale égyptienne. Il est allé plus loin, en tant qu'ancien premier ministre en déclarant à propos de l'aide financière américaine qu'elle ne servait pas l'Egypte mais leurs propres bases et celle européenne n'est qu'au stade de promesse et que dans tous les cas l'Egypte n'en a que faire. La tournée de ces dignitaires de l'ancien régime dans les pays du Golf a porté ses fruits dés le lendemain de la destitution de Morsi puisque l'Arabie Saoudite, le Koweit et EAU ont débloqué 15 milliards de dollars d'aide pour éviter l'effondrement de l'économie égyptienne. Après la réunion des ambassadeurs des pays européens pour préparer et mâcher la question égyptienne à la rencontre d'un niveau ministériel prévu le mercredi 21 du mois d'août, l'Arabie Saoudite a devancé leur décision pour se déclarer prête de compenser toutes les aides occidentales quelque soit le pays donateur.

Du sort de la confrérie après la décapitation de sa tête par l'armée

La question soulevée par El Beblawi, le premier ministre du gouvernement de transition égyptien sur la dissolution des frères musulmans reste possible voire même réalisable dans le contexte actuel. Cette confrérie pourrait quitter la scène politique dans le scénario le plus pessimiste pour elle et optimiste pour l'autre partie.

Il faut dire que la notion de temps chez les islamistes est différente de celle compris par le commun des mortels. Il faut rappeler peut être pour mémoire que cette dissolution, la confrérie l'a connue dans tous les régimes de l'Égypte. La première dans les années quarante que Necrachy Pacha a payé de sa vie et la seconde a fini par une crise cardiaque qui a emportée Gamal Abdel Nasser. Donc quitter le champ politique pour reprendre la clandestinité est leur destinée historique mais les anéantir de la société égyptienne d'un revers de la main comme le pensent les responsables actuels de la transition reste un leurre. Et c'est justement là où se joue l'avenir économique de l'Egypte.

La question économique de l'Egypte.

L'Egypte a une population de plus de 84 millions d'habitant en janvier 2013. Elle augmente chaque année de 1,6 millions. L'espérance de vie de l'égyptien se situe autour de 73 ans. Au moment du déclenchement des hostilités internes, elle totalisait une dette de 38 milliards de dollars et taux d'inflation qui avoisine les 13%. Cette agitation politique entraîne des désordres importants de l'économie. Les Egyptiens subissent des coupures d'électricité et des pénuries d'essence et d'eau, ainsi que la montée du chômage et du coût de la vie. Les revenus extérieurs se sont effondrés comme le tourisme qui, en 2011, avec 14 millions de visiteurs, faisait vivre 10% de la population active près de 5 millions et apportait près de 12 milliards de dollars. Dans le même temps, l'Egypte a dû continuer à importer des produits de base comme le blé ou les carburants et n'a actuellement dans les caisses qu'une autonomie d'à peine un mois. D'ores et déjà, les réserves de change sont passées de 36 milliards de dollars avant les événements politiques à un seuil critique de 10 milliards de dollars. L'agence de notation Standard and Poor's a abaissé la note de l'Egypte à 3C, une catégorie à haut risque pour les investisseurs. Quant à l'aide dont l'Egypte pourrait bénéficier de la part du FMI, elle se fait attendre. Un prêt de 4,8 milliards de dollars est toujours en discussion et l'incertitude actuelle qui pèse sur le pouvoir politique égyptien ne devrait pas contribuer à le faire aboutir rapidement. L'Egypte est le premier importateur de blé au niveau mondial, avec 84 millions de bouches à nourrir. Avec 10 millions de tonnes de blé importées chaque année, le pays subventionne encore largement le pain, vendu quelques centimes d'euros le kilo. Ce pain subventionné est essentiel pour la survie de la plupart des familles égyptiennes, une pénurie en 2008 avait d'ailleurs rappelons-le, provoqué des émeutes de la faim au Caire. La situation actuelle est critique, l'Egypte ne disposant plus que de 500 000 tonnes de blé importé et ne s'est plus approvisionnée sur les marchés internationaux depuis février dernier. Le gouvernement égyptien avait alors affirmé que le pays s'appuierait davantage sur ses récoltes, alors que la production intérieure est insuffisante et affectée par les pénuries d'essence qui diminuent les rendements des récoltes. La FAO a d'ores et déjà lancé une alerte concernant l'impact de la baisse des réserves de devise sur les stocks de blé du pays. Les coupures d'électricité et les pénuries d'essence au Caire et en province sont un des facteurs du mécontentement de la population égyptienne vis-à-vis de Mohamed Morsi. Contrairement à ce qu'annoncent certains journaux, ces deux phénomènes n'ont pas soudainement disparu depuis la mise en place du gouvernement de transition. Les coupures d'électricité sont la conséquence de centrales électriques anciennes et mal entretenues et surtout d'une consommation nationale en constante augmentation. Le fait que l'électricité soit lourdement subventionnée, pour les particuliers comme pour les industriels, ne fait qu'aggraver le problème. Quant à l'essence, la déconnection de son prix vente final vis-à-vis des cours mondiaux a progressivement aggravé le déficit public, et la récente suppression des subventions sur l'octane 95 n'a pas réglé le problème, les consommateurs ayant alors privilégié l'octane 80, ou le diesel. Rappelons que 40% du budget de l'état égyptien est dédié aux différentes subventions. Les deux principales sources de devises étrangères, à savoir les recettes tirées des investissements directs étrangers (IDE) et du tourisme se sont taries. Avant la révolution de 2011, les IDE s'élevaient en moyenne à 6.5 milliards de dollars. Au deuxième trimestre 2012, ils ont atteint 0.3 milliards de dollars, conséquence de la prudence des investisseurs de l'Union Européenne et du Golfe. Le secteur du tourisme, d'habitude résilient, traverse une crise sans précédent : le nombre de touristes en 2012 était en baisse de 25% par rapport à 2010, dans un pays où le secteur contribue à hauteur de 25% des devises, et emploie 12% de la population active. L'instabilité politique des deux dernières années (manifestations au Caire et insécurité dans le Sinaï) ainsi que des déclarations maladroites sur la volonté de promouvoir un « tourisme islamique » ont fait disparaître l'Egypte des catalogues de voyage européens. La diminution des devises étrangères a eu comme impact immédiat une dévaluation lente et progressive de la livre égyptienne, qui a perdu 15% de sa valeur depuis l'arrivée de Morsi au pouvoir fin juin 2011. Le glissement de la livre a entraîné une forte inflation, notamment sur l'alimentation, qui a grevé le budget des ménages égyptiens et fortement amputé leur pouvoir d'achat. La pénurie de devises se fait sentir au quotidien : difficile pour les détenteurs de comptes en dollars dans des banques égyptiennes d'accéder à leurs économies, et les entreprises égyptiennes peinent à trouver des banques en mesure de leur ouvrir des lettres de crédit pour financer leurs importations. En plus, les firmes étrangères quitte le pays une à une. Le constructeur automobile américain General Motors (GM) a annoncé début août qu'il avait temporairement fermé son bureau du Caire et suspendu sa production en Egypte en raison des violences qui secouent le pays. GM importe depuis 1926 des véhicules dans le pays et rappelle avoir été «le premier fabricant automobile privé à avoir établi des activités de production en Egypte en 1983». Il y fabrique des véhicules utilitaires légers, des voitures et minibus et emploie «plus de 1.400 Egyptiens». La compagnie pétrolière Royal Dutch Shell a fermé pour plusieurs jours ses bureaux égyptiens et réduit les déplacements vers l'Egypte.

Shell, numéro un européen du secteur, n'a pas précisé le nombre de salariés concernés par ces mesures, ni la localisation des bureaux fermés.

Conclusion

Un an après l'élection de Morsi, le constat est sans appel : l'économie égyptienne est au plus mal, malgré les perfusions en dollars et en gaz qataries. Le grand projet de Morsi, pompeusement appelé « projet Renaissance » a échoué, et laisse l'Egypte dépendante de l'aide internationale, qui tarde à venir. Le gouvernement de transition de Hazem el Beblawi devra inévitablement prendre les mesures sociales que le gouvernement précédent a sans cesse repoussées, au risque de fragiliser sa légitimité déjà contestée.

Alors comment peut-il faire adhérer à cette austérité la population en partant d'une idée d'exclusion d'une frange importante de la société égyptienne ? Dans tous les cas de figure, une sortie de la crise telle que conçue par l'équipe actuelle déboucherait sur un suicide économique. Jusqu'à quand faudra t-il continuer de recourir à l'aide Saoudienne ? Résistera t-elle à entretenir une population d'une telle taille ? Voilà les vraies questions qui vont ramener les protagonistes dans le droit chemin et dépassionner le débat.

(01)- Lire l'article de Maurice Picard publié le 16 août 2013 au Figaro.

* Consultant et Economiste Pétrolier