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Affaire Chakib Khelil : Le début de la fin d'une époque?

par Ghania Oukazi

L'inculpation officielle de l'ex-ministre de l'Energie et des Mines sonne le glas d'une époque. Elle marque la fin de l'ère Bouteflika.

« Je persiste à dire que les autorités judiciaires n'ont pas attendu que les juridictions étrangères agissent pour qu'elles bougent,» a déclaré le Procureur général près la Cour d'Alger, lors de la conférence de presse qu'il a organisée, lundi dernier, pour annoncer l'inculpation officielle de Chakib Khelil.

Belkacem Zoghmati a aussi précisé que la lutte contre la corruption ne doit pas se faire par la répression. Il est adepte de la prévention «à tous les niveaux». Il reconnaîtra ainsi, à demi-mot, que les responsables algériens ont failli à leur mission de prévenir le mal même s'il a déclaré qu'il ne pouvait se prononcer sur la responsabilité politique dans ce détournement des richesses de la Nation. Quelles que soient les tournures de phrases qu'il a employées, le verdict du manque de prévention est tombé de la bouche d'un Procureur général qui, dit-on, connaît bien son métier de «justicier» et en même temps «ses limites» politiques. Cet énarque «bien considéré,» dit-on encore, semble avoir eu le feu vert pour donner le ton à une affaire qui n'a que trop traînée. Affaire qui, forcément, marque le début de la fin d'une époque.

Pour sa genèse, dès sa survenue, il s'est agi d'une affaire lourde de corruption avérée. C'est un dossier où toutes les preuves ont été réunies, depuis bien longtemps, pour une inculpation formelle et officielle du ministre, au temps déjà où il était en poste. L'affaire BRC ne lui a jamais été oubliée par ceux-là mêmes qui l'ont fait éclatée et qui avaient, par la suite, accepté que la société soit dissoute. Une manière «technique» de l'étouffer. «Les fiches sont là, bien ficelées, seulement, on attend le moment propice pour abattre les cartes qu'il faut,» nous explique un haut responsable. La justice devient, alors, cet instrument probant pour le faire légalement. «Il faut dire que c'est sa mission première de préciser et de retenir les faits,» dit-il encore.

RELENTS DE REGLEMENTS DE COMPTES

Preuve en est, depuis qu'elle a été jetée sur la place publique, l'affaire Sonatrach a été émaillée d'une multitude de non-dits, d'hésitations et de grands marchandages. Elle a suivi le même cheminement que toutes les grandes affaires qui ont éclaboussé les arcanes du pouvoir. De ce fait, elle dégage forcément de forts relents de règlements de comptes par laquelle ceux qui l'ont constituée devaient obliger le clan présidentiel à se ressaisir et à s'avouer que nul n'est infaillible «même si l'on tient le sommet de l'Etat entre ses mains».

 Ainsi déclaré, l'acte aurait été pour concevoir, pour cette fois, «un enfant dans le dos du président de la République,» a pensé ce haut responsable à l'époque. Bouteflika avait, lui, réagi à sa manière. Dans ces mêmes colonnes, nous avions dit qu'il avait exigé, selon des sources qui lui sont proches, la constitution d'une commission pour enquêter sur la mort du général Saïdi, intervenue en 1995 dans un terrible accident de la route. C'était au bout d'une ruelle où un camion avait violemment heurté la voiture dans laquelle il se trouvait, aux côtés de l'ancien wali d'Oran, (avant de Laghouat), Mustapha Kouadri. Le général Saïdi, devait selon nos sources, remplacer Mohamed Médiène (Toufik) à la tête du DRS. Bouteflika avait, dit-on, en outre, demandé par la même occasion, de (r)ouvrir le dossier de l'assassinat de Boudiaf. Vraies ou fausses manœuvres, les faits sont têtus, l'affaire Sonatrach commençait alors, après publication de telles informations, à devenir un simple écho de quelques petites officines, sans grande importance. L'on soutient même que la justice algérienne était très embarrassée parce qu'elle ne trouvait pas «d'astuces» pour classer le dossier et mettre fin aux poursuites. Il a fallu que des pays étrangers ouvrent des brèches dans cette affaire pour s'y engouffrer et en sortir des preuves de corruption avérée, pratiquée par leurs propres sociétés. Quand elle parle de corruption, l'Italie sait de quoi il s'en retourne pour en être une plaque tournante dans tous les sens.

UN AVANT-GOUT DE FIN DE REGNE

L'inculpation de Khelil n'est pas un fait de justice mais un acte politique. L'histoire nous rappelle qu'à chaque fin de règne d'un président de la République, des têtes doivent tomber pour noter le commencement d'un nouveau. A ne pas confondre avec ce qui pourrait provoquer le changement de la nature du pouvoir et qui n'a jamais eu lieu, loin s'en faut. «Il en restera toujours quelque chose et même l'essentiel,» commente un stratège. Bouteflika, en personne, a fait les frais d'une telle logique, deux ans à peine après la mort de Houari Boumediene. Présidée à l'époque par Messaoudi Zitouni, la Cour des comptes a ouvert à cet ex MAE, un dossier l'accusant de détournement d'argent public. Faute de preuves nettes, la Cour des comptes en est restée là. Elle n'a, d'ailleurs, même pas présenté «l'accusé» devant son magistrat instructeur. Bouteflika est simplement passé devant la commission de discipline du FLN. Certains disaient que l'argent transféré en Suisse finançait des mouvements de libération de nombreux pays. Aucune institution ni personne ne pouvait le prouver ou alors le contredire.

«Le président Bouteflika est aujourd'hui bien malade, il poursuit ses soins à l'ouest de la capitale sous les yeux avertis des responsables de l'institution militaire,» nous disent nos sources. «Personne ne peut s'en approcher que sur autorisation,» ajoute-on, ceci «pour que l'épisode départ précipité vers le Val-de-Grâce ne se répète pas,» assure-t-on. Le staff médical étranger est là pour veiller au grain et faire éviter de quelconques désagréments au patient. Il semble, selon des responsables que «le chef de l'Etat en ait fini avec la République mais pas avec le pouvoir.» Signe des temps, une grosse tête parmi celles qu'il a parrainées, est «symboliquement» tombée. Khelil pourrait ne pas passer devant un juge algérien.

LA CONSCIENCE DES MINISTRES ET LA FUTURE PRESIDENTIELLE

Au lendemain de l'affaire Tiguentourine, un diplomate américain avait dit à un groupe de journalistes que «les Etats-Unis n'ont jamais extradé personne vers un quelconque pays.» Il a même rappelé que «la Constitution américaine ne comporte aucune disposition qui le lui permet.» La justice algérienne devra faire le gué, «pour peu qu'il se retrouve ailleurs,» a déclaré lundi le Procureur général près la cour d'Alger. C'est, peut-être, pour tout ça que l'ami du fameux Dick Cheney dont la personnalité et le statut influent en Amérique et dans le monde, sur les cours du pétrole, les élections, les révoltes et les changements politiques, n'a jamais craint d'être pris la main dans le sac. Les langues se délient, aujourd'hui, pour dire que «c'est sur la demande de cet animateur de puissants lobbies, que Khelil avait, en 2004, réaménagé la loi sur les hydrocarbures de sorte à ce qu'elle permette une plus forte présence étrangère (américaine), dans l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures. L'affaire Sonatrach n'est pas unique en son genre. Beaucoup avant Khelil ont puisé dans les caisses de ce groupe que le pouvoir tient totalement entre les mains. Il y a, par ailleurs, des ministres dans le gouvernement Sellal qui pourraient perdre le sommeil pour n'avoir pas la conscience tranquille, en matière de gestion des finances publiques et d'exécution de grands projets. Ils feront, peut-être, le dos rond pour laisser passer la bourrasque. Ne reste que quelques petits mois pour que la présidence de la République change de mains.