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Le gouvernement tente de sortir du gouffre des subventions mais craint la réaction de la rue

par Abed Charef

Arguments rationnels et propagande primaire se côtoient, pour atteindre un même objectif : sortir l'Algérie du gouffre des subventions. Reconnues comme une nécessité, elles doivent changer de forme car elles faussent les règles économiques et favorisent gaspillage et contrebande.

Le gouvernement algérien a amorcé un virage délicat sur la question sensible des subventions. Alors que la ligne suivie jusque-là consistait à répéter, jusqu'au mimétisme, qu'il n'était pas question de toucher aux subventions des produits de large consommation, malgré les fortes critiques et l'impact destructeur sur certains aspects de l'économie, une nouvelle ligne semble se dessiner timidement, sans être pour autant complètement assumée par l'exécutif.

Pour l'heure, aucune décision n'a été prise. Le gouvernement en est encore aux premiers tâtonnements. Le ministre de l'agriculture Rachid Benaïssa a encore répété cette semaine que la suppression des subventions «n'est encore à l'ordre du jour». Mais comme le gouvernement fonctionne à l'ancienne, dans une logique de propagande primaire, il donne l'impression d'avoir mobilisé ses troupes pour mener une opération d'envergure.

La première salve a été tirée par le ministre du commerce, M. Mustapha Benbada, qui a annoncé la création d'une commission «chargée d'une réflexion sur les moyens de rationaliser les subventions de l'Etat pour les produits alimentaires de base», notamment le lait et les céréales.Aussitôt, un feu nourri a été déclenché contre les subventions, avec des arguments parfois solides, parfois loufoques, se basant sur des chiffres fantaisistes. Ainsi, une information a été reprise par les journaux et les sites plus ou moins spécialisés, selon laquelle les subventions atteindraient 30% du PIB de l'Algérie. Des spécialistes ont également découvert que les subventions bénéficient aussi aux riches, qui profiteraient ainsi du prix subventionné du pain et du lait, alors qu'une telle mesure ne se justifie ni sur le plan économique, ni sur le plan social.

Pourtant, le ministre de l'agriculture Rachid Benaïssa est formel. Le montant des subventions aux produits alimentaires de première nécessité, pain, lait, sucre, semoule et huile, ne représente que 1,1% du PIB du pays. Où va le reste des subventions ? Il est destiné l'électricité, l'eau, le logement social, etc. L'électricité a absorbé 2,13 milliards dollars de subventions (150 milliards de dinars), alors que les carburants auraient coûté 8,46 milliards de dollars (650 milliards de dinars). Au total, ceci aurait représenté 6,6% du PIB algérien en 2010. Selon le ministère des finances, la dépense sociale incluse dans le budget de l'Etat représenterait 13% du PIB.

SUBVENTIONS, MAUVAISE GESTION, ET CORRUPTION

Au vu de ces chiffres, le gros des subventions n'est plus destiné aux produits alimentaires de base, mais à des produits destinés à tous (eau, électricité), mais surtout aux classes moyennes, avec les carburants. Cela remet en cause l'argument, encore répété cette semaine par le ministre de l'agriculture Rachid Benaïssa, qui affirmait que les subventions devaient permettre au plus grand nombre d'accéder à une ration minimale de protéines. Les arguments les plus sérieux contre la subvention concernent en fait trois autres volets majeurs: la surenchère du gouvernement, qui utilise la subvention pour acheter la paix sociale, leur impact sur la production, et les énormes déperditions, avec notamment une forte contrebande destinée aux pays voisins. Le PDG de Sonelgaz, M. Bouterfa, a ainsi demandé pendant de longues années un relèvement des tarifs de l'électricité pour permettre à la compagnie de préserver ses équilibres financiers. Le gouvernement, redoutant des troubles sociaux, a refusé. Mais dans le même temps, il a financé la construction de nouvelles centrales, sur lesquels trainent des soupçons de gros pots-de-vin. Le nouveau ministre de l'énergie, M. Youcef Yousfi, s'est ainsi demandé comment des centrales électriques de même puissance ont pu coûter du simple au double, voire au triple, selon les contrats signés du temps de son prédécesseur Chakib Khelil. Parallèlement à cette dérive, les prix de l'eau, de l'électricité et du gaz domestique, maintenus à des niveaux très bas depuis une décennie, ont perdu tout contenu économique. L'eau coûte six dinars le mètre cube, 50 fois moins que dans certains pays européens. Pourtant, l'eau provenant des unités de dessalement est payée au producteur à 80 cents de dollars le baril (près de 60 dinars). Le pain, cédé à huit dinars la baguette (dix cents de dollar) depuis deux décennies, s'est tellement éloigné de sa vraie valeur que les boulangers ne trouvent plus leur compte. Ils réclament une révision des prix car leur activité, à ce niveau, n'est plus rentable.

LE PATRONAT APPLAUDIT

L'aspect le plus spectaculaire est toutefois celui à la contrebande. La wilaya de Tlemcen subit ainsi des pénuries récurrentes de carburant, qui est écoulé au Maroc malgré la fermeture des frontières. Selon le ministère de l'agriculture, l'Algérien consomme 247 kg de céréales et 147 litres de lait par an, contre 140 kg de céréales et moins de cent litres dans les pays voisins. Un ancien haut responsable affirme, sous le sceau de l'anonymat, que «cette situation était connue et admise» pendant de longues années, comme «forme de solidarité», notamment envers les pays du Sahel. «On savait qu'une partie de la population du Mali vivait de ces trafics, et on assumait», dit-il. «Vis-à-vis du Maroc et de la Tunisie, c'était plus subtil. Mais ceci était valable quand la subvention représentait un complément. Aujourd'hui, elle représente l'essentiel du prix, ce qui fausse les règles économiques», dit-il. Pour les carburants, le prix de vente représente 20% du prix réel pratiqué sur le marché international, dit-il.La centrale syndicale UGTA, traditionnellement docile envers le gouvernement, a gardé une certaine discrétion, alors que les organisations patronales sont montées au créneau. Le Forum des Chefs d'Entreprises (FCE) a même organisé un séminaire sur «la sécurité alimentaire», largement consacré à la question des subventions. Son président Rédha Hamiani, reproche au gouvernement de maintenir les subventions pour préserver la paix sociale, «mais jusqu'à quand ?». Il prône de remplacer la subvention par une aide ciblée, destinée aux plus démunis, et un encouragement des producteurs. Issaad Rabrab, considéré comme la première fortune d'Algérie, parle quant à lui de 12 millions de personnes dans les pays voisins, qui bénéficieraient de ces subventions, grâce à toutes formes de trafic.