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L'agriculture algérienne a pris le cap du Sud

par Abed Charef

Des exploitations agricoles s'étendant sur des centaines d'hectares, une mécanisation à outrance, des exploitants qui ressemblent à des investisseurs ou à des spéculateurs financiers : l'agriculture change en Algérie. Et son épicentre se déplace. Les plaines du Nord subissent une rude concurrence des grands espaces du Sud, où il y a du soleil, de l'eau, et des terres semblables à celles du Néguev et du désert de Californie.

L'épicentre de l'agriculture algérienne est en train de se déplacer. Des plaines du nord pour les agrumes, et des Hauts Plateaux pour les céréales, il glisse lentement vers le sud, le sud-est en particulier, où des résultats étonnants sont obtenus par de nouvelles générations d'agriculteurs. Dans cette mutation qui annonce une nouvelle agriculture algérienne, tout est nouveau : l'étendue des plantations, le profil des agriculteurs, les méthodes de travail, la relation à la terre et, bien entendu, les rendements.

" Ce ne sont pas des fellahs, mais des hommes d'affaires ", dit d'eux, perplexe, un paysan du nord qui les a côtoyés. Ces paysans d'un type nouveau voient grand. Les exploitations couvrent des dizaines, voire des milliers d'hectares. Ils investissent beaucoup, mais pas leur argent, car ils bénéficient du système mis en place pour encourager l'agriculture : des aides multiformes, particulièrement avantageuses, dont profitent largement ceux qui connaissent les rouages de l'administration.

Dans les Hauts Plateaux et le sud, la terre est cédée au dinar symbolique, sous forme de concession. La location est gratuite pendant les vingt premières années, et bonifiée pour la suite. L'exploitant bénéficie également d'une aide qui s'élève à un million de dinars par hectare, ainsi que de différentes formes de crédit en cas de besoin. Pour les plus grandes exploitations, une étude est financée par le gouvernement, a indiqué M. Abdelmalek Ahmed Ali, directeur du patrimoine au ministère de l'agriculture.

Ce dispositif a provoqué un véritable rush vers les terres vierges des Hauts Plateaux et du sud, où d'immenses superficies sont disponibles, contrairement au nord, où les terres, morcelées, ne permettent pas de constituer des exploitations suffisamment étendues pour être exploitées de manière moderne. Ce rush a été encouragé les premiers résultats obtenus par les premières expériences menés par des pionniers.

A Menéa, dans la wilaya de Ghardaïa, les exploitations de maïs ont donné des rendements de 80 quintaux à l'hectare. Pour les céréales, de nombreux fellahs ont atteint ce même rendement, ce qui est inouï en Algérie, où le rendement moyen tourne autour de vingt quintaux à l'hectare. Dans les wilayas d'El-Oued et de Biskra, la pomme de terre, introduite depuis une décennie, a donné des résultats exceptionnels.

RUEE VERS L'OR VERT

Selon le ministre de l'agriculture, M. Rachid Benaïssa, les wilayas du sud fournissent d'ores et déjà 18% de la production agricole du pays. A terme, leur part devrait s'élever à 30%. Biskra, qui était déjà connue comme la principale région de production des dattes, fournit désormais une bonne partie des produits maraichers d'Algérie, grâce à des milliers de serres qui ont poussé sur les terres jadis arides du Sahara. Quant à El-Oued, elle fournit 36% de la production de la pomme de terre d'Algérie, selon le ministre de l'agriculture, ce qui lui permet de supplanter la wilaya d'Ain-Defla comme première région de production de pomme de terre.

Cette ruée vers l'or a provoqué un engouement exceptionnel, mais aussi beaucoup de distorsions. M. Ahmed Ali a déclaré que de nouvelles procédures, avec appel à manifestation d'intérêt, seront mises en place pour introduire plus de transparence dans l'octroi des terres. Ce qui constitue une reconnaissance implicite de l'opacité des règles en vigueur jusque-là. Un immense scandale a d'ailleurs secoué le secteur, impliquant l'ancien président de l'Assemblée Nationale, M. Mohamed Saïdani, selon des informations de presse. M. Abdelmalek Ahmed Ali a également reconnu que 26.000 bénéficiaires de ce dispositif ont été exclus parce qu'ils n'ont pas exploité les terres qui leur avaient été accordées.

Mais l'opération se poursuit. Dans la seule wilaya de Biskra, 130.000 hectares ont été délimités pour être distribués. En outre, la formule touche toutes les régions. C'est ainsi qu'à l'orée du désert ou, dans la steppe, le voyageur découvre brusquement des plantations de milliers d'arbres, qui offrent un paysage saisissant, lequel tranche avec la couleur ocre de ces régions. Au total, 990 périmètres, d'une superficie de 350.000 d'hectares, ont été délimités pour être distribués.

Ces terres situées à l'entrée du Sahara sont très prisées pour trois raisons, explique un ingénieur agronome. La nature du sol permet une exploitation durant toute l'année. En outre, l'ensoleillement leur donne un avantage par rapport aux autres régions. Il suffit d'avoir de l'eau pour faire fleurir le désert, comme en Californie, dit-il. Et contrairement aux idées reçues, l'eau est disponible, même si son utilisation est anarchique. " Il serait absurde de cultiver des pastèques à Tamanrasset, où l'eau potable est ramenée à 1.000 kilomètres ", dit-il. " Par contre, les ressources hydriques disponibles peuvent satisfaire une bonne partie des besoins en légumes frais indispensables ", ajoute-t-il.

GASPILLAGES

La mutation en cours est devenue possible grâce à une mécanisation très poussée, à de nouveaux entrepreneurs agricoles, et aussi grâce à des investissements colossaux, qui ont d'ailleurs suscité certaines critiques. L'économiste Abdelhak Lamiri a ainsi mis en cause la viabilité de ces injections massives d'argent, se demandant si les résultats en valaient la peine. Pour lui, l'aide de l'Etat est nécessaire, mais elle risque de se transformer en gaspillage de ressources. Le ministre de l'agriculture, M. Rachid Benaïssa, a relevé de son côté la difficulté de donner de la cohérence à toutes initiatives. Il a ainsi critiqué une " mentalité d'assistanat " qui reste très présente. Il a cité les fellahs qui ont planté du maïs, mais qui ne sont pas arrivés à l'écouler. Ils ont une production de 70 millions de dinars pour 10 millions de dinars d'investissements. Ils peuvent faire l'effort de transporter leur produit jusqu'à l'usine de transformation, a-t-il dit. M. Benaïssa semblait faire référence à des fellahs qui s'étaient plaints, au cours du journal télévisé du soir, que leur produit ne soit pas pris en charge. M. Benaïssa a appelé les opérateurs à " transformer ces essais ". " Il ne faut pas que le succès des uns se transforme en problème ", a-t-il dit, faisant référence au manque de fluidité des réseaux commerciaux et aux difficultés enregistrées dans la collecte de la production. " L'Etat est disposé à accompagner ces fellahs, mais ce sont des privés ", a-t-il dit, quelque peu excédé. Il a aussi cité la tomate d'Adrar, produite en abondance, mais les exploitants se plaignent de ne pouvoir l'écouler au nord, en raison notamment du coût du transport. " On s'est retrouvé dans une situation où différents acteurs sont devenus des obstacle l'un pour l'autre au lieu d'être des partenaires ", a-t-il dit.