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UNE «AFFAIRE» QUI N'AURAIT PAS DU EXISTER

par K. Selim

Dalila Touat, membre du collectif pour la défense des droits des chômeurs, poursuivie pour «incitation à un rassemblement non armé par le biais de distribution de tracts», a été acquittée jeudi. Il restera à la jeune diplômée-chômeur le souvenir d'une nuit passée en «garde à vue», dont elle a fait le récit à la manière de Kafka : «J'ai demandé du travail, je me suis retrouvée en prison». Espérons qu'elle s'en remettra et qu'elle ne renoncera pas à se battre.

 Il restera dans les annales de la justice algérienne une affaire ? comme d'autres sans doute ? qui n'aurait jamais dû exister? Mais qui a bel et bien eu lieu puisqu'elle a été enrôlée. Bien entendu, le verdict a légitimement fait le bonheur de la chômeuse puisqu'il ne voit aucune menée subversive dans le fait de militer dans un mouvement de chômeurs et d'essayer de transmettre son opinion aux autres Algériens. La juge qui a énoncé le verdict a choisi de rendre hommage à la jeune femme, ce qui constitue un jugement implicite sur le processus absurde qui l'a menée devant le tribunal de Mostaganem.

 Car cette affaire, qui n'aurait jamais dû exister, est instructive. Elle renseignera les historiens sur un état d'esprit sécuritaire, soucieux de prouver que l'Algérie, «qui n'est pas comme la Tunisie et l'Egypte », pousse à la disproportion. La jeune femme a distribué des tracts, elle n'a pas commis d'acte de violence. Elle s'est «exprimée» comme le lui permet la Constitution, elle n'a pas troublé l'ordre public.

 Dans le récit qu'elle fait de son arrestation et des interrogatoires subis, ce qui transparaît est la paranoïa de la manipulation politique. C'est un état d'esprit. On voit bien qu'il s'agit d'un combat pour les droits des chômeurs mais on ne veut pas croire qu'il ne s'agit que de cela. L'esprit sécuritaire est particulièrement imaginatif. Il était clair que la jeune dame n'étant pas un «élément subversif», l'affaire aurait pu s'arrêter au niveau de l'interrogatoire policier. Cela n'a pas été le cas.



 L'esprit sécuritaire est aussi très bureaucratique. Ainsi, du fait qu'elle a été arrêtée et même si les éléments du «dossier» sont impalpables, on poursuit une logique jusqu'au bout de l'absurde. La procédure n'a pas été interrompue au niveau du juge d'instruction qui aurait pu clore l'affaire. On a décidé de poursuivre une jeune dame qui disait, comme d'autres membres de son collectif, qu'elle voulait du travail.

 Cette affaire est révélatrice d'une appréciation démesurée de la «menace» que Dalila Touat était censée représenter. On peut supposer que cette vision de la «menace» a été accentuée par la vague de contestation politique qui traverse le monde arabe. Cela n'explique pas pourquoi l'histoire de «l'incitation à rassemblement » n'a pas été stoppée à un stade préliminaire de son développement. Est-ce le fait que «l'accusée» soit une femme, rendant encore plus perturbant son côté pacifiquement «subversif» ?

 Il faut, bien sûr, saluer la décision d'acquittement du tribunal de Mostaganem et son hommage à la jeune militante. Il met fin à une «affaire» qui est révélatrice d'une tendance préjudiciable à assimiler l'expression et la respiration sociales à des menaces et à des menées subversives.