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Le printemps arabe fait escale à Qatar

par Abed Charef

Une «révolution du 16 mars» est annoncée à Qatar. Mais les partisans de l'Emir répliquent, en piratant les sites qui leur sont hostiles.

A force de pousser à la révolution, le Qatar a fini par l'attirer chez lui. Et cela donne une drôle de guerre sur le web, entre partisans d'un pouvoir dit «éclairé», à défaut d'être démocratique, et des groupes d'opposants acharnés, très habiles, qui préparent une «révolution du 16 mars».

Réunis autour d'un groupe, «Révolution pour la Liberté, 16 mars, Qatar», ces opposants se sont organisés sur Facebook pour dépasser, en trois jours, le chiffre appréciable de 30.000 sympathisants. Sans mot d'ordre précis, sans leader apparent, ils ont réussi une mobilisation exceptionnelle, mettant en lumière la face cachée de cet émirat devenu célèbre grâce à la chaîne Al-Jazeera.

Et du coup, on redécouvre avec une certaine violence tout ce que le Qatar cache soigneusement: un pays sans élections, géré comme une entreprise, avec un émir tout puissant, distribuant l'argent dans de grandes opérations de prestige, et une face cachée assez sombre. Les partisans de la révolution du 16 mars parlent ainsi de l'interdiction des partis d'opposition, de la disparition d'opposants, dont l'un, ancien porte-parole du ministère des Affaires étrangères, aurait simplement écrit l'histoire de sa famille, ce qui n'aurait pas plu à l'Emir.

Ils évoquent également les liens, publics, entre le Qatar et Israël, et publient des photos de rencontres de l'Emir avec des dirigeants israéliens, ainsi que des vidéos de balades de dirigeants israéliens, dont le président Shimon Pérès, dans les marchés de Qatar. Ils rappellent aussi, avec force images à l'appui, le rôle central de la base militaire américaine au Qatar dans l'occupation de l'Irak puis dans la surveillance de toute la région: c'est là qu'a été basé le commandement américain dans la région.

Le groupe autour duquel s'est organisée cette action a connu une expansion fulgurante, pour dépasser 30.000 sympathisants en quelques jours. Il a été aussitôt piraté par des partisans de l'Emir, qui en ont radicalement changé le contenu. Le site vante désormais les mérites de l'Emir, ses réalisations, et accuse des Egyptiens d'être à l'origine du lancement de cette contestation.

Les échanges sont assez vifs. «C'est une page conçue par des non qataris, animés d'un esprit de vengeance envers le Qatar et son peuple», peut-on désormais lire sur cette page piratée. Les groupes hostiles «veulent semer la discorde dans un pays calme, respectueux de son cheikh», ajoute un partisan de l'Emir, qui reconnaît que la page a été piratée «par des fidèles à Qatar et à son émir». «Nous l'avons transformée en une page qui montre la réalité des sentiments populaires», et «l'amour du peuple envers Cheikh Hamad Al-Khalifa Al-Thani», ajoute l'un des animateurs du site. Sur fond de poésie bédouine et de chants patriotiques, il s'en prend aux Egyptiens: «Pourquoi ne rentrez-vous pas chez vous en laissant le Golfe aux gens du Golfe ? Vous prenez nos richesses et vous vous mêlez de nos affaires internes», leur reproche-t-il.

Aussitôt que cette page a été piratée par les partisans de l'Emir, une autre page Facebook a été lancée. En vingt-quatre heures, elle approchait les cinq mille sympathisants, avec les mêmes revendications: introduire des réformes, demander l'évacuation des bases militaires américaines, adopter une position de soutien plus prononcée envers les Palestiniens.

Ces points sobrement formulés sont cependant rapidement débordés par d'autres critiques, beaucoup plus virulentes. Ainsi, écrit un protestataire, «Qatar veut jouer un rôle unificateur au sein du monde arabe, alors que c'est de là que les marines ont envahi l'Irak et c'est de là qu'Israël se déploie dans le cadre de sa campagne de normalisation avec le monde arabe». Et, argument suprême, «c'est de là que partait l'aide américaine à Israël lors de l'attaque contre Ghaza et lors de l'agression contre le Liban en 2006 ».

Le rôle de la chaîne Al-Jazeera suscite, lui aussi, une forte controverse. Sous le pseudonyme de Soheib Hami, un animateur se demande «comment faire confiance à une chaîne d'un pays qui abrite la plus grande base américaine de la région, ainsi qu'un centre de commandement qui couvre de l'Afrique à l'Asie centrale?» Non sans malice, un autre animateur défie Al-Jazeera: «Va-t-elle parler de la révolution du 16 mars ? Ou va-t-elle l'occulter, pour parler de la révolution libyenne ?», se demande-t-il, en rappelant avec une pointe d'ironie qu'Al-Jazeera «est trop occupée à propager la démocratie dans le monde arabe pour parler du Qatar».