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DU POIS CHICHE ET DU POIS CASSE

par M. Abdou BENABBOU

Maintenant que les esprits se sont un peu calmés, il serait se fourrer le doigt dans l'œil que de croire que les émeutes, saccages, rapines et destructions ont eu pour causes une petite histoire d'augmentation de prix. Le sucre et l'huile ne seraient que des arsenics, très aléatoires du reste, à avaler pour tracer un état d'être sans issue. Comme ces embarcations sans amarres perdues en haute mer, à la recherche d'autres horizons aux contours très flous.

 Il serait ridicule de penser que des jeunes ivres de dépit se seraient formalisés du poids d'un couffin et de son coût, eux qui ne l'ont jamais porté et jamais vu et qu'un ou trente-six mille comités interministériels arriveraient à bout d'un volcan fatigué par des décennies de sommeil forcé.

C'est de suicide d'un peuple qu'il s'agit. Quand un président de la République clame haut et fort à l'adresse de tous que s'il avait été jeune, il aurait pris le maquis, il n'y a plus lieu d'aller farfouiller dans les marmites ménagères, pour expliquer les raisons d'un malaise social trop amer et plus qu'épicé. Sur la situation du pays, un tel éclairage aussi éblouissant est terrifiant.

 Nous n'avions pas cependant à attendre un tel monumental aveu, ni à nous émouvoir face aux scènes de caillassage passées et présentes pour nous convaincre du véritable désastre, qui se déroule irrémédiablement et sûrement au pas de nos portes. Les Algériens n'avaient qu'à regarder autour d'eux et au cœur de leurs chaumières pour tâter l'évidence d'une indépendance très mal assurée et très mal assumée. Les égorgements des populations de villages entiers n'étaient pas qu'un rot incontrôlé, mais bien le vomissement d'une société corrodée par un mal incurable.

 L'autonomie d'un peuple et sa sérénité ne se mesurent pas au prix du sucre, ni à celui de l'huile. Tant qu'à faire, on sera tenté d'aller toucher à celui des pois chiches et des pois cassés. Pour autant, on n'empêchera pas le crucifiement d'une succession de générations.

 Peut-être faudrait-il aller chercher à la loupe un seul père de famille algérien qui n'ait pas de soucis d'avenir pour ses enfants. Sans doute aussi faudrait-il partir démêler de fond en comble les ressorts d'un état des lieux hors normes, qui imposent l'absence sidérale de perspectives d'être et d'exister pour celui qui n'a pas été à l'école comme pour celui qui sort de l'université bardé de diplômes.

 A l'évidence, l'Algérie a besoin d'une autre révolution dans la sérénité et dans le calme à des milles des chamaillades de l'instant. Il y a un sérieux problème quand on construit un musée à coups de milliards alors qu'on n'a rien à y mettre, sinon pour y écouter des singes et des coqs pérorants et quand on bâtit des palais de congrès coûteux pour y aller jouer aux dominos, alors que des étudiants sont logés à six par chambrette et que des classes d'écoles par pans entiers n'ont pas de chauffage.

 Au présent, la conjugaison de l'espoir reste inaccessible. La construction des autoroutes, des barrages et des logements nous avait permis de nous y exercer au futur antérieur malgré toutes les tares qui s'y sont greffées. Nous nous sommes aussitôt rendu compte que tous ces grands efforts déployés relevaient de la procession des aveugles en mal de vue.

 L'immense défi est à engager au bénéfice des générations qui ne sont pas encore venues. Celles d'hier et d'aujourd'hui sont, peut-être, irrémédiablement condamnées.