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LES HOMMES... LA FEMME... LA VIE

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Les dupes. Roman de Ahmed Benzelikha. Casbah Editions, Alger 2021, 103 pages, 700 dinars



Quelque part dans le monde occidental. Une belle femme (encore jeune) s'ennuyant auprès d'un époux trop occupé par ses affaires et femme recherchant des sensations fortes ailleurs et grâce à internet auprès d'un peintre raté, faussaire de surcroît, un ancien légionnaire mercenaire, gangster et trafiquant d'œuvres d'art. Une société secrète qui œuvre clandestinement à mettre le monde au pas et dans le «droit chemin» des émirs arabes fortunés (cela va de soi !) acquéreurs de tableaux de maîtres pour le plaisir de rendre jaloux d'autres cousins émirs et non pour le plaisir des sens et des yeux. Un policier qui enquête sur la disparition d'un tableau de grande valeur dérobé, mais qui, presque arrivé au bon résultat, se retrouve mis à la retraite par une hiérarchie qui ne «veut pas de vagues». Un chassé-croisé entre amour, argent, violence, pouvoir, art, entre virtualité, matérialisme, fausseté, cupidité dans des mégapoles déshumanisées. Le procès d'une société remplie de «dupes» et de duperies ? De temps à autre, quelques brins de beauté, de valeurs et d'espoirs se renouvelant. Des brins seulement...

L'Auteur : Né à Constantine. Universitaire ayant occupé plusieurs fonctions supérieures, linguiste, financier, spécialiste en communication, écrivain. Déjà auteur de «Elias» en 2019 (Casbah Editions, 87 pages).

Extraits : «Les systèmes se succédaient, rien ne changeait, les hommes restaient les mêmes, quelques bons et la plupart mauvais, qu'emportait le temps vers le mort comme un fleuve en crue charrie les cadavres des noyés» (p 61), «La mort faisait partie de ce monde dont elle était, finalement, la chose la plus vraie ou la moins fausse, malgré tous les efforts fournis pour en masquer la réalité, en maquiller le spectacle et la reléguer dans un oubli civilisé. La vie, elle, ne faisait que duper ceux qui croyaient en elle» (p 67), «Partout dans les grandes villes, qui formaient désormais le monde, la vie se faisait et se défaisait en d'innombrables boucles, conjuguant les vies et les malentendus, gommant le réel au profit de l'artifice, niant le vrai pour le faux, révoquant l'humain et convoquant le profit. En un vaste clinquant et incessant marché de dupes» (p 77).

Avis : Un roman qui, au premier abord, paraît «hors temps» mais qui, en réalité, vise juste et est en «plein champ» pour ceux qui n'aiment pas beaucoup l'Occident. Un petit livre, mais une critique «intellectuelle» d'une façon de vivre accompagnée, heureusement, d'une leçon de vie grâce à l'amour et la vie quotidienne vécus simplement. Comme pour «Elias», «du lourd dans du court».

Citations : «L'amour comme l'art était un mélange de vrai et d'illusion, de sensibilité et d'émotion, de réalité et de s» (p 30), «L'amour n'est pas toujours celui qu'on croit, celui de la présence et des réponses probantes, mais souvent celui de l'absence et des silences» (p 39), «Le mentir-vrai se déclinait désormais en pixels (...). L'image supplantait le réel, le faux remplaçait le vrai et la machine dépassait l'homme et l'artiste» (pp 100-101).



ELIAS. Roman de Ahmed Benzelikha. Casbah Editions, Alger, 2019, 87 pages, 500 dinars (Pour rappel. Fiche de lecture déjà publiée)



Elias ? ou Lyès dans notre «dardja». Il y a des prénoms, parfois choisis au hasard ou parce que ça sonne bien, sont lourds ou légers à porter. D'autres vous «prédestinent» à on ne sait quelle (mé-) aventure. Ainsi, celui-ci est proche d'Ulysse.

Voilà donc notre homme qui décide de partir, sans hésitation et sans retour, avant qu'il ne soit trop tard, avant que ce sentiment ne se double de la réalité, indiscutable, elle, de la maladie ou de la vieillesse. Laissant derrière lui sa femme, son ex-femme, des enfants (heureusement adultes) et une ville «sans devenir». Il n'avait pas d'amis à quitter. Il voulait «jouer son dernier hymne à la vie». La quête d'un autre monde. Etre soi. Exister, enfin ! Car, «à quoi bon se mentir ? Il devait partir, il ne laissait rien, et s'il restait, il ne serait rien». Mais aller où ? Parcourir la Méditerranée, sa mère, revenir à l'eau, à la matrice, à la liberté Que disais-je ? Ulysse et son Odyssée ! A la recherche du «Masque de Dieu», un masque qui avait (selon un ouvrage imprimé en 1878, traduction annotée d'un texte ancien écrit en grec par un auteur anonyme), le pouvoir de révéler à celui qui le revêtait tous les secrets de l'existence. Rien que ça ! Le voilà donc larguant les amarres.

D'abord un bateau grec, «le Moïse» bateau assez vite pris en otage par un terrible pirate des mers, Mark IV, venu du golfe de Guinée se prenant pour mi-Pharaon, mi-Poséidon.

Ensuite, prisonnier (un rêve ?) des bras et des jambes de Gada, bien douce geôlière, la Maîtresse d'une île.

Il est par la suite recueilli dans une île gouvernée par un dictateur, tout mielleux, un ancien criminel de guerre recherché par toutes les polices du monde et devenu gros «affairiste, cupide et prévaricateur.

Puis, toujours à la recherche de l'épave contenant le masque, l'île de Spélaion où il y rencontre un ermite qui lui confie que «Le Masque» n'est qu'un symbole. Il n'existait même pas, il n'y avait que le miroir de lui-même qui lui masquait la vérité. Et, pour être soi-même, il fallait s'oublier. Sage conseil qui sera écouté.

Sac au dos, il repart donc. Alors que d'autres, dont le terrible pirate, qui avait eu vent de l'existence du Masque, continuaient leur recherche.

Hélas, la recherche du Masque de la connaissance du monde et de la Vérité (de soi et des autres) n'est pas une mince affaire, l'entêtement de l'être humain et ses découvertes (souvent imméritées) pouvant mener jusqu'à la mort ou jusqu'à l'Olympe des héros. Quelques rares Elus ! Elias ? Conclusion: tous les hommes ont, en eux, une odyssée à accomplir. A chaque fois recommencée.

L'Auteur : Voir plus haut

Extraits : «Ses tentatives avaient été vaines, son voyage n'avait servi à rien, le Masque n'avait été qu'une nouvelle illusion et sa quête une ultime défaite, un naufrage et, bientôt, une mort certaine et effroyable !» (p.34), «Le Masque ne remplaçait pas les autres pour comprendre le monde, car l'autre était nécessaire pour construire la vérité du soi» (p 35), «L'hébétude, le détachement et la fatigue n'étaient pas seulement dus à la monotonie du présent, aux déceptions du passé et aux peurs de l'avenir, mais aussi à nos mauvaises réponses, au travail introspectif de notre conscience et aux poids de nos fautes et de nos abandons impossibles à solder» (p 53).

Avis : De la philo en roman. Du lourd dans du court ! Assez originale comme écriture en Algérie, mais très intéressante. Et plusieurs histoires qui se croisent.

Citations : «Les victoires ne valent que par les triomphes dont on les pare» (p 24), «Oui, le monde virtuel sait tout de nous, depuis que chacun est convaincu que le Net est le prolongement de sa petite personne, si importante à ses propres yeux !» (p 25), «Le destin ne satisfait pas à notre bon vouloir, ni, d'ailleurs, à nos efforts. Nos parents s'en vont avant que nous réalisions leurs vœux, nos enfants nous voient nous en aller avant que nous ne fassions leur bonheur et nous comprenons alors que rien ne dépend de nous, surtout nous-mêmes» (p 46), «La mer, comme toute la nature, est le lieu et pour certains le lien, d'intelligence, de partage, avec la création. La mer se pose comme un questionnement esthétique et, pour les plus sensibles de plénitude existentielle» (p 72).